Depuis sa mort, la Trifluvienne est hantée par plusieurs questions. Elle se demande s’il a été victime du délestage, si sa mort était évitable.
«S’il avait reçu les soins nécessaires la veille, peut-être qu’il s’en serait sorti. Il y a un peut-être dans mon coeur. Un peut-être qui fait mal.»
La dame de 55 ans craint que le fait qu’il était handicapé ait eu un impact sur les soins qu’il a reçus. «Je ne suis pas capable d’accepter qu’une famille puisse vivre des affaires de même et qu’un handicapé ne soit pas traité avec dignité. Il était trisomique, oui, mais il n’était pas prêt à mourir.»
Le 4 janvier, Réjean Blais ne va pas bien. Une résidente en médecine vient l’examiner à la maison. Elle conseille qu’il se rende à l’hôpital sur-le-champ. À son arrivée à l’urgence, le médecin demande à Mme Lupien quel est le niveau de soins de son frère. Une question qui la trouble et la choque. «Le niveau de soins, ça arrive en fin de vie, pas en entrant dans une urgence. Il n’était pas à l’agonie. Il avait besoin de soins.»
Son frère a peur des hôpitaux. Il retire le masque à oxygène de son visage sans arrêt. Il tousse. Mme Lupien, qui a elle-même la COVID, a l’impression que le personnel médical hésite à l’examiner. Elle affirme avoir demandé qu’il soit sous contention pour qu’il garde son masque, mais ça n’a pas été fait. On lui annonce qu’il a une pneumonie et la COVID. Alors qu’elle s’attend à ce qu’il reçoive des antibiotiques par voie intraveineuse et des traitements d’inhalothérapie, le médecin lui donne son congé. «Il m’a dit que si ça ne passait pas d’appeler son médecin de famille.»
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Il est environ 22 h et il fait un froid polaire. On lui dit que le transport adapté n’est pas disponible. Elle ne sait pas comment le ramener. «J’étais extrêmement fatiguée. J’avais la COVID. Je ne me sentais pas bien. Je me sentais vide.»
Son fils de 19 ans vient lui donner un coup de main. M. Blais est très faible. Ça leur prend de longues minutes pour le rentrer dans la voiture. «Personne n’est venu nous aider. [...] Tu trimballes une personne handicapée dans le froid qui n’a pas de force et qui a besoin d’oxygène, tu la fais forcer, alors imaginez ce que ça fait à son corps.»
Le lendemain, l’état de son frère l’inquiète. Mme Lupien appelle une inhalothérapeute du soutien à domicile. «C’est elle-même qui a appelé l’ambulance», raconte l’aidante naturelle. «Réjean, c’était rendu urgent. La veille, ce n’était pas urgent, et le lendemain, c’était urgent. Il avait dépéri.»
Cette fois, il est bien pris en charge à l’urgence, raconte la dame. «Il a été pris en charge mais 12 heures trop tard.»
Il a été transféré à l’unité COVID où il a reçu des bons soins, ajoute-t-elle. Malgré des moments où il semblait aller mieux, il est mort quelques jours plus tard.
La dame de 55 ans se demande si le délestage a quelque chose à voir avec le fait qu’il n’a pas été hospitalisé dès sa première visite à l’urgence. «D’après moi, il a été victime du délestage parce que la première question qu’on m’a posée c’était sur son niveau de soins.»
Elle se dit traumatisée par les événements. «Ç’a été atroce de nous faire vivre ce qu’on a vécu en tant que famille d’aidants naturels.»
Mme Lupien a l’intention de porter plainte à la commissaire aux plaintes et à la qualité des services du CIUSSS MCQ. «Je ne veux plus jamais qu’une famille d’une personne handicapée vive ce qu’on a vécu.»
Surnommé Toutou par ses proches, son frère devait avoir 45 ans mercredi. «Mon frère, c’était un vivant, un comique, un taquineux, un tannant. Il allait à des ateliers tous les jours. Il adorait ses ateliers. Il allait en répit. Quand j’allais le chercher à la maison de répit, il était tellement content. C’était magique. Il était toujours de bonne humeur. Il jouait avec ses jouets. Il avait des tablettes. Il allait dans le spa. Il était heureux.»
Sa mère l’a adopté. Il est entré dans sa vie quand elle avait 11 ans. Il vivait avec elle depuis 17 ans. «J’ai toujours été dans sa vie. Il n’était pas une charge. C’est époustouflant tout ce qu’il savait faire. On se comprenait.»
Dans un courriel, le CIUSSS MCQ a assuré que «les services d’urgence et les soins hospitaliers liés à la COVID-19 sont des services préservés qui ne sont pas touchés par le délestage».
Après avoir offert ses condoléances à la famille, le CIUSSS a indiqué qu’il ne commentait pas publiquement les décisions cliniques prises par ses experts.
De façon générale, il explique que les décisions sont prises en fonction de la condition clinique de chaque usager au moment de son évaluation à l’urgence. «Malgré la hausse des hospitalisations liées à la COVID-19, le CIUSSS MCQ s’assure d’offrir en tout temps des soins de qualité aux personnes atteintes du virus.»