Impuissance et solitude chez les intervenants en santé mentale

Une étude menée par des universitaires démontre que les intervenants en santé mentale se sentent impuissants depuis le début de la pandémie.

Formés pour aider, les intervenants en santé mentale aimeraient participer davantage à l’«effort de guerre» contre la COVID-19. Or, les besoins sans cesse grandissants et le manque de ressources freinent cette volonté, entraînant un sentiment d’impuissance chez plusieurs d’entre eux.


Ce constat ressort d’une étude effectuée auprès de plus de 600 travailleurs en santé mentale (psychologues, travailleurs sociaux, psychiatres, psychoéducateurs, intervenants en relation d’aide, etc.) par des chercheurs de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), de l’Université McGill et de l’Université de Montréal.

«On ressent beaucoup d’impuissance», explique Pascale Brillon, psychologue spécialisée en troubles anxieux et post-traumatiques, qui a participé à cette rare étude ciblant les intervenants en santé mentale.

On doit refuser à répétition beaucoup de gens. On a été formés pour être très empathiques, alors nous avons l’impression [de laisser tomber] des personnes souffrantes. On nous écrit tous les jours. Encore ce matin, je prenais des courriels de gens désespérés qui n’arrivent pas à avoir de consultation.



«C’est très très difficile de ne pas se sentir à la hauteur et de ne pas avoir l’impression de pouvoir soulager », soutient la professeure au département de psychologie de l’UQAM.

Parmi les autres conclusions de la récente étude, la Dre Brillon note que les intervenants en santé mentale ressentent plus de solitude que la population en général en contexte pandémique. L’impossibilité de se «déposer» ou de ventiler après de longues heures auprès de personnes en détresse explique cette réalité, selon elle. Les demandes d’aide et de soutien provenant de l’entourage direct des intervenants ont également augmenté.

«Comme ils ont souvent le sentiment de devoir être un pilier ou un confident, ils ont dû l’être davantage dans leur famille et avec les proches. Mais ce côté sauveur rempli d’empathie peut faire en sorte d’en prendre trop», reconnaît la Dre Brillon, qui a publié un livre à l’automne 2020, intitulé Entretenir ma vitalité d’aidant.

Pascale Brillon est psychologue spécialisée en troubles anxieux et post-traumatiques et professeure au département de psychologie de l’UQAM.

S’adapter à une nouvelle réalité

La présidente de l’Ordre des psychologues du Québec, Christine Grou, souligne que les psychologues ont dû adapter rapidement leur façon de travailler en raison de la pandémie. Gravité accrue des problèmes affligeant leurs clients, sollicitation de toute part par des personnes en situation de détresse et migration des consultations en mode virtuelle; leur réalité s’est transformée de façon significative depuis mars 2020.

«Les psychologues sont en général assez bien outillés pour faire face à l’adversité. Mais personne n’échappe à la pandémie. Chez un petit nombre de gens, on a donc vu la détresse et on en a été témoin. C’est normal que ce soit comme ça. Je me lève en pensant à nos membres et je suis admirative de penser que tout le monde a élargi ses heures et que tout le monde cherche des solutions. Mais il faut également prendre soin de soi pour pouvoir prendre soin des autres», rappelle la Dre Grou.

Christine Grou est présidente de l’Ordre des psychologues du Québec.

Initiatives personnelles

Malgré cette frustrante réalité, plusieurs intervenants, ont décidé de «se réinventer» afin de mettre l’épaule à la roue. La psychologue Georgia Vrakas, professeure agrégée au département de psychoéducation de l’Université du Québec à Trois-Rivières, est l’une de celles-là. En plus de signer une chronique hebdomadaire traitant de santé mentale pour les Coops de l’information depuis maintenant plus d’un an, elle a offert des consultations via la plateforme Espace Mieux-Être Canada, une initiative du gouvernement fédéral.

«J’avais mes clients que je voyais. Mais en même temps, je voulais faire quelque chose pour contribuer davantage. […] Avec Espace Mieux-Être Canada, j’offrais des consultations d’une durée maximale de 90 minutes sur la ligne téléphonique pour les adultes. J’ai fait ça pendant un bout en plus de ma pratique», explique-t-elle.

Georgia Vrakas est psychologue et professeure agrégée au département de psychoéducation de l’Université du Québec à Trois-Rivières.

Par contre, la Dre Vrakas se désole que la campagne francophone visant à faire connaître ce service n’ait pas eu les effets escomptés, contrairement à celle en anglais. C’est du moins le constat qu’elle a fait durant les nombreux mois qu’a duré son implication.

«Je trouve ça triste, car du côté anglophone ou du reste du Canada, le téléphone sonnait tout le temps. Moi, du côté francophone, j’avais seulement deux ou trois appels par quart de travail», raconte-t-elle.

La psychologue déplore également que la volonté claire d’un groupe de psychologues québécois de mettre leurs compétences à contribution dans le cadre de la campagne «Je contribue» n’ait rien donné.

«On s’était mobilisés pour prêter main-forte du côté de la santé mentale. On s’est donc inscrit sur Je contribue en disant que nous étions des psychologues. Malheureusement, on n’a pas été sollicités [pour nos compétences]. C’était seulement pour des choses qui n’avaient de rapport avec la profession de psychologue, comme l’entretien, la sécurité, etc. C’était très frustrant, car nous savions ce qui s’en venait», relate-t-elle.



Les problèmes de santé mentale se sont parfois aggravés en raison des délais d’attente.

Plan d’action

Grandement affectés dans leur quotidien professionnel par cette réalité, les membres de la Coalition présidée par la Dre Gauthier proposent un plan d’action au gouvernement. Ce plan comprend l’embauche de 450 psychologues supplémentaires dans le réseau et un rattrapage salarial afin de contrer l’exode vers le privé.

Et bien qu’ils saluent le plan déjà mis en place par le gouvernement, ils considèrent qu’il est insuffisant pour stopper l’hémorragie. En novembre 2020, le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Lionel Carmant, avait annoncé un investissement de 100 M$ visant à agir sur plusieurs plans afin d’améliorer l’offre de soins et de services psychosociaux et en santé mentale pour la population du Québec, notamment par la diminution des listes d’attente.

C’est un pas dans la bonne direction. C’est quand même 100 millions de dollars. Mais il n’y a rien pour régler la pénurie de psychologues et augmenter l’accessibilité aux soins.

En attendant que leur cri du coeur soit entendu, les psychologues du réseau public espèrent que l’évolution de la pandémie n’entraînera pas de vague de délestage dans leur secteur. Rien n’est prévu en ce sens pour l’instant, mais qui sait ce qu’Omicron nous réserve pour les prochaines semaines et mois.

«On a été délestés pendant la première vague. Lors de la deuxième, la Coalition a fait plusieurs sorties dans les médias et le gouvernement a rapidement interdit le délestage dans nos services. Ç’a fonctionné, mais il y en avait quand même eu beaucoup [avant]. Et avec ce qui se passe présentement, il y a une peur de devoir laisser nos clients qui sont en détresse. Il y a des gens qui ne vont pas vraiment pas bien. Il n’y a pas de délestage pour l’instant, mais ce n’est pas clair à 100 %», précise Dre Gauthier.