Fermeture des commerces le dimanche: un enjeu qui divise

Chaque entreprise a sa propre réalité. La fermeture des commerces une journée par semaine peut être une solution pour certaines, mais ne pas l’être pour d’autres.

Le premier ministre Legault a annoncé, mercredi, la fin de la fermeture des commerces le dimanche. Si certains sont soulagés de cette décision, plusieurs détaillants n’étaient pas mécontents de cette idée, en particulier pour contrer la pénurie de main-d’œuvre. Et plusieurs ont profité de cette nouvelle normalité pour s’approprier cette mesure de manière permanente ou comptent l’intégrer à leur horaire. D’aucuns estiment qu’elle pourrait devenir «un enjeu de la prochaine campagne électorale».


En août dernier, la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) a sondé ses membres à savoir si le gouvernement devrait obliger les commerces à fermer le dimanche, que ce soit pour contrer la pénurie de main-d’œuvre ou lutter contre la pandémie. Le constat : «les entrepreneurs sont extrêmement divisés sur cette question», soutient le vice-président Québec, François Vincent. 

Dans la province, 43% des PME manquent de personnel. Et 21% des PME ayant un nombre suffisant d’employés n’arrivent pas à embaucher plus afin de prendre de l’expansion, selon les données de la Fédération. 

La FCEI mènera une nouvelle étude en janvier. Malgré tout, les chiffres cumulés à la fin de l’été procurent un aperçu du pouls des commerçants dans les régions au fil des fermetures. 

Sur 816 commerçants ayant pignon sur rue dans plusieurs régions de Québec, 48% se sont dit en accord ou très en d’accord avec la mesure, tandis que 45% n’étaient pas chaud à l’idée. Un 6% reste indécis.

Pourtant, la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ) et la Chambre de commerce de Lévis (CCL) ont accueilli avec soulagement l’annonce de la fin de la fermeture obligatoire des commerces le dimanche et du couvre-feu, ainsi que l’exemption accordée aux épiceries, aux pharmacies et aux plus petits magasins concernant le passeport vaccinal.

Les pour

Plusieurs commentaires anonymes d’entrepreneurs, tirés de l’étude de la FCEI, permettent de voir cette division qui s’articule autour de trois points centraux : la concurrence avec les géants du web et les grandes surfaces, l’implication du gouvernement, et bien sûr, le manque de travailleurs.  

Un détaillant beauceron, ayant décidé de fermer son commerce le dimanche depuis mars 2020, déplore de ne pas avoir réussi à créer un mouvement de masse avec ses compétiteurs, afin d’éviter la perte de ventes pour l’un et l’autre. «Je crois que si le gouvernement donnait l’ordre de fermer le dimanche pour tous les commerces de détail, incluant les épiceries, le manque de main-d’œuvre qualifiée serait de beaucoup diminué.» 

Un écho similaire s’entend à Repentigny. La fermeture des commerces le dimanche donne «carte blanche à Amazon et aux grandes surfaces».

Pour un grossiste de Lanaudière, les commerces et les épiceries devraient réduire leurs heures d’ouverture en semaine, en plus de fermer le dimanche, «comme c’était autrefois.»

La fermeture des dernières semaines n’a pas déplu à Xavier Asselin-Dubé, gérant de district d’une PME de commerce de détail.

Si cette mesure permet à certains de mieux couvrir leur plancher et à d’autres d’enfin avoir accès à un congé, M. Asselin-Dubé raconte que six mois et des milliers de dollars ont été nécessaires à son entreprise simplement  pour trouver un assistant-gérant. «Il suffit d’aller dans un centre commercial un jeudi ou vendredi soir pour voir que plusieurs boutiques ne respectent pas leurs horaires [dû au manque de main-d’œuvre].»

Selon lui, le goulot d’étranglement en semaine découlant d’une fermeture le dimanche n’est pas réel. 

Même avant la pandémie, les jeudis et vendredis soirs étaient généralement tranquilles. En fermant les dimanches, cela redonnerait de la valeur à ces soirées.



«On peut entendre certaines personnes donner comme argument que cela va enlever des heures aux temps partiels [la fin de semaine], mais il en manque de temps partiel, déplore M. Asselin-Dubé. Ces heures ne seront pas enlevées, mais redonnées à ceux présents.» 

«Les Galeries de la Capitale avaient changé leur horaire avant la pandémie pour être ouvertes jusqu’à 21h du lundi au vendredi, rappelle-t-il. Cela pourrait être une solution pour remplacer le dimanche fermé et pour l’argument des temps partiels qui manqueraient d’heures.» 

Contrairement aux commerces avec pignons sur rue, qui décident eux-mêmes de leurs heures d’ouverture, les boutiques dans les centres commerciaux sont assujetties, sauf exception, aux conditions du bailleur. Puisque le contrat est la loi, le locataire est obligé d’exploiter son magasin, sous peine d’amende, même si cela peut lui faire accumuler des pertes financières.

François Vincent, le vice-président Québec de la FCEI, nuance. «La problématique, c’est qu’il faut aussi conjuguer ça avec les ventes en ligne, qui prennent de plus en plus de place dans les parts de marché du commerce de détail. En particulier, durant les confinements, les consommateurs se sont habitués et ont trouvé ça facile d’utiliser ces plateformes. Et les géants américains en ligne ne fermeront pas le dimanche, c’est un élément à prendre en considération.» 

Les contre 

Selon l’analyse de la FCEI, la dette moyenne d’un petit détaillant est de 93 574 $ dans la province. 

M. Vincent réitère que «la pandémie n’est pas un laboratoire social et que ce qui a été fait, c’est d’enrober une décision COVID en faisant croire qu’on répondait aux entrepreneurs, déclare-t-il.  Il y a une façon de faire les choses et une façon de consulter les entreprises visées afin de prendre la meilleure décision pour son ensemble.»

Un stationnement vide avec la fermeture des commerces le dimanche

Chaque entreprise a sa propre réalité. La fermeture des commerces une journée par semaine peut être une solution pour certaines, mais ne pas l’être pour d’autres. Le choix ne devrait pas venir par obligation du gouvernement, mais par décision volontaire du chef d’entreprise, souligne le président et chef de la direction du Conseil du patronat du Québec, Karl Blackburn. Il croit néanmoins qu’une telle mesure «est une fausse solution à la pénurie de main-d’œuvre».  

Même son de cloche à Montréal et au Saguenay-Lac-Saint-Jean, où l’implication du gouvernement dans les décisions des entreprises n’est pas la bienvenue dans les entreprises de services professionnels.  

«Le gouvernement ne doit pas être à l’origine d’une fermeture d’entreprise privée. Le gouvernement doit gérer les entreprises publiques. Les commerces privés ont le droit de faire du libre commerce, peu importe les décisions gouvernementales», souligne celle du Saguenay-Lac-Saint-Jean.  

François Vincent formule que plusieurs initiatives gouvernementales pourraient aider les chefs d’entreprises à souffler devant cette pression : augmenter le nombre de candidats pour l’immigration, diminuer les taxes sur la masse salariale afin que les PME puissent payer davantage et mieux communiquer l’offre des services et des programmes pour l’aide aux entreprises.  

«Il y a place à la discussion sur cet enjeu. Maintenant, il faut que ça se fasse d’une manière ordonnée, réitère-t-il. Il pourrait y avoir des consultations et ça pourrait même être un enjeu pour la prochaine campagne électorale, mais c’est une décision qui aura des conséquences sur les petites entreprises, qui, en ce moment, sont sous leurs revenus normaux en majorité.»