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Le titre du courriel : «Bonheur et DPJ».

Il m’a tiré la pipe un peu, il m’a dit que ça serait bien, des fois, de raconter de bons coups de la Direction de la protection de la jeunesse, en supposant que je ne m’intéressais qu’aux ratés. «C’est moins vendeur, on le sait», qu’il m’a écrit à la fin de son courriel avec une petite émoticône qui fait la baboune.

Au contraire, c’est très «vendeur», les gens aiment les belles histoires.

Et puis, moi aussi, j’aime bien raconter de jolies histoires, plus que des mauvaises, je raconte ce qui ne va pas dans l’espoir que les choses changent et que je n’aie un jour plus que des belles histoires à raconter. Je fais même attention à ne pas trop vous rebattre les oreilles avec ce qui cloche.

Alors quand j’ai une belle histoire, je saute dessus.

L’histoire de Mathieu et de Mylène commence il y a une trentaine d’années, dans les corridors de leur école. «On s’est connus au secondaire et on s’est retrouvés beaucoup plus tard.» C’était il y a environ sept ans, ils sont ensemble depuis. «On a essayé d’avoir des enfants, mais ça n’a pas fonctionné», me raconte Mylène au bout du fil.

Et c’est là qu’arrive… Joselito Michaud. «On a écouté la série télé Olivier, c’était l’histoire de Joselito Michaud qui a fait plusieurs familles d’accueil. Ça nous a ébranlés. Pas très longtemps après, on a eu un souper avec la famille élargie, il y avait un couple qui avait deux enfants qui venaient de la DPJ.»

Les préjugés sont tombés d’un coup.

Un et un font deux, ils ont tout de suite entamé des démarches pour adopter un enfant de la DPJ. Mais avant d’adopter, il leur a fallu se qualifier comme «famille d’accueil banque mixte», étape obligée de quelques années où la DPJ accompagne les futurs parents avant de procéder à l’adoption.

Pour se qualifier, ils ont dû se soumettre à une série de rencontres, d’évaluations et de questionnaires. «Il y a une première rencontre où ils nous expliquent comment les choses vont se passer, c’est là où il y en a qui décident de ne pas continuer, ça fait comme un entonnoir», résume Mylène.

Elle et Mathieu n’ont pas lâché, ont répondu à toutes les questions, même les plus personnelles, ils ont même dû faire des rénos. «C’est vraiment très strict, ils appliquent le Code du bâtiment. Ça va loin, jusqu’à la largeur des contremarches, au pourcentage de superficie des fenêtres par rapport à la superficie de la chambre, décrit Mathieu. Il a entre autres fallu cacher tous les fils au plafond dans le sous-sol.»

La DPJ est venue évaluer après les travaux, tout était OK, il ne manquait qu’un enfant à accueillir. «Parmi les questions qu’ils nous posent, il y en a beaucoup sur ce qu’on est prêts à accepter, comme les handicaps, l’origine. Ce sont parfois des questions troublantes, on a comme l’impression de magasiner.»

À part les handicaps très lourds, le couple était ouvert à beaucoup de choses. On leur a également demandé l’âge qu’il préférait. «Par rapport au lien d’attachement, on avait une préférence pour un enfant de moins de 18 mois», explique Mylène. Ce n’est pas ce qui est arrivé. «Ils nous ont appelés, ils nous ont dit : “on aurait un enfant de quatre ans”. On a répondu “oui” tout de suite.»

Alors maintenant, c’était l’heure de vérité.

La première rencontre a eu lieu dans un local avec un miroir sans tain, derrière lequel les intervenantes prenaient des notes. Et c’est dans ce décor, disons, plutôt terne, que la magie a opéré. «Quand il est arrivé dans la pièce, c’était comme s’il nous connaissait déjà, raconte Mathieu, encore émotif à replonger dans ces moments. Ça a vraiment cliqué, c’était incroyable. L’intervenante est sortie, elle pleurait!»

C’était un match parfait. «Pas longtemps après, il est venu passer un après-midi à la maison et quand il est entré, la première chose qu’il a faite c’est de monter à l’étage. Il est allé directement dans sa chambre et a dit “c’est ma chambre” comme s’il le savait déjà», raconte Mylène.

Un mois, plus tard, le garçon s’installait pour de bon dans sa nouvelle maison avec sa nouvelle famille, Mathieu, Mylène, et sa grande fille de 10 ans.

C’était sa troisième. L’enfant avait été retiré d’urgence un an plus tôt en raison de l’état d’insalubrité du logement où il vivait et de l’incapacité de sa mère de s’en occuper. «Quand il est arrivé, à quatre ans, il avait un très gros retard de langage, il disait juste “oui, oui”. Il avait manqué de beaucoup de choses, il partait de loin.»

On leur avait dit qu’il avait un appétit d’oiseau. «Il avait un médicament pour stimuler son appétit, il n’en a jamais pris ici! se réjouit Mathieu. Il mange de tout, il a un bon appétit, tout est rentré dans l’ordre.

Avec de l’aide, il a complètement rattrapé son retard de langage. «Les gens qui le rencontrent aujourd’hui ne peuvent pas savoir qu’il ne parlait presque pas, ça ne paraît pas du tout. Quand on lui dit un mot, on a juste besoin de lui dire une fois et il s’en rappelle, et il s’en sert dans le bon contexte.»

Pendant deux ans et demi, la DPJ a accompagné Mathieu et Mylène pour s’assurer que l’enfant était bien. «Ça s’est bien passé, on a été bien encadré depuis le jour 1. Oui, il y a eu du roulement de personnel, mais ça s’est quand même bien passé. On s’est sentis épaulés tout le long.»

Le petit bonhomme, lui, grandissait heureux. Enfin. «C’est comme s’il avait toujours fait partie de notre famille, c’est vraiment spécial», résume Mathieu. «C’est un petit gars qui est tellement intelligent, poursuit Mylène. Il pose plein de questions, il est hyper curieux. Des fois, il n’écoute pas les consignes, mais c’est normal pour un petit gars de sept ans!»

Il lui reste un peu de chemin à faire pour gérer ses émotions. «On nous oriente vers un psychologue, c’est probablement lié à un trauma.»

Ou à plusieurs.

Début décembre, ils ont eu un cadeau de Noël un peu à l’avance. C’est le jour tant attendu, Mathieu et Mylène sont arrivés au bout du processus, l’adoption. «On est passés devant le juge, il a officialisé l’adoption. Quand on est sortis de la salle de cour, [notre fils] s’est retourné et il a crié “merci!”»

Leur gars était soulagé. «Pour lui, ça lui enlève un poids. C’est important, ça veut dire qu’il n’y a plus de risques qu’il parte d’ici.»

En revenant du palais de justice, ils ont célébré. «On n’a pas pu lui organiser une grosse fête, mais il y a des gens qui sont passés toute la journée pour fêter ça avec nous», raconte Mathieu. Il y a même une des intervenantes qui est passée faire son tour, ça lui a fait du bien de voir une belle histoire qui finit bien.

Je vous le dis, tout le monde aime les belles histoires.

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