Repenser le troisième lien Québec-Lévis

POINT DE VUE / En 2015, le ministère des Transports du Québec m’a confié la réalisation d’une étude de préfaisabilité sur un troisième lien routier à l’est de Québec. Ce mandat constituait une mise à jour d’études réalisées 20 et 40 ans auparavant. Depuis, le débat a évolué et les options se sont multipliées. Cette lettre présente une analyse du dossier sous l’angle de sa faisabilité, mais également de sa nécessité.


Le temps faisant son œuvre, il faudra éventuellement envisager des réparations importantes aux deux ponts actuels qui surplombent le fleuve Saint-Laurent à la hauteur de Québec. La création d’un lien routier additionnel ne doit donc pas être écartée, surtout dans un contexte de développement durable où la fermeture prolongée de l’un des ouvrages existants entraînerait des répercussions désastreuses sur les plans économique et environnemental.

Des risques élevés de dépassements budgétaires

Plusieurs options ont été envisagées jusqu’ici. Certaines offrent des avantages, alors que d’autres comportent un niveau de risque élevé. La proposition actuellement considérée compte parmi celles qui comportent le plus de risques.

Les projets de tunnels viennent en effet avec un haut niveau d’incertitude en raison principalement de la nature des sols, en partie inconnue. Il n’est pas rare que ce genre de projet voie son échéancier prolongé et engendre des dépassements de coûts importants.

Avec un diamètre de près de 20 mètres, le projet de tunnel envisagé est à la limite de ce qui est techniquement réalisable. Très peu d’entreprises de construction dans le monde sont présentement en mesure de réaliser pareil ouvrage. Compte tenu de la longueur du tunnel à creuser, et des surprises qui surviendront sans doute en raison de la nature des sols, le risque est important. Aucune entreprise ne s’aventurera dans un tel projet sans avoir la garantie que le propriétaire absorbera les dépassements budgétaires associés aux imprévus. Une société peut probablement prendre de tels risques lorsque l’enjeu le justifie. Il faut s’assurer que c’est le cas d’un troisième lien dans l’axe proposé.

Des normes de sécurité à respecter

Les tunnels sont des ouvrages où la sécurité des usagers doit être assurée. Les normes contemporaines pour les tunnels routiers exigent, en cas d’incendie, que les usagers, dont les personnes à mobilité réduite, puissent avoir accès à des issues de secours menant à des corridors protégés et ventilés. Les services d’urgence doivent aussi pouvoir accéder rapidement au site de l’accident, surtout pour un tunnel d’une telle longueur. Pareilles conditions seront difficiles à mettre en place pour un tunnel à six voies de circulation sur deux niveaux. 

Un double tunnel avec des interconnexions régulières serait sans doute préférable. En optant pour un diamètre moindre, on faciliterait du même coup la construction de l’ouvrage, ouvrant la voie à l’utilisation potentielle de deux tunneliers, et permettant à un plus grand nombre d’entreprises de soumissionner au projet. 

Contraintes et impacts du projet actuel

Un tunnel routier de la longueur du projet actuel doit déboucher sur des voies rapides, de sorte que la vitesse à la sortie soit plus élevée que celle permise dans le tunnel : être pris dans un bouchon de plusieurs kilomètres dans un tunnel n’est pas l’expérience la plus agréable. Ainsi, en faisant abstraction du volet transport collectif, le tracé actuel relie en fait l’autoroute 20 au sud à l’autoroute Laurentienne (A73) au nord à la hauteur de la rue Soumande. Si, à cela, on ajoute que les pentes du tracé et les courbes feront en sorte que le transport lourd roulera à vitesse réduite, rallongeant l’expérience pour les automobilistes, et que l’on ne pourra transporter de matières dangereuses, il est difficile de concevoir qu’une telle infrastructure améliorera la circulation des usagers de la route des régions de Québec et de Lévis. Elle pourrait être bénéfique pour l’est de Lévis, mais il est peu probable qu’elle soit utile pour les gens de la Capitale-Nationale. En fait, ce sont eux qui subiront les contrecoups lors de la construction, qui sera très dérangeante et s’étalera sur de nombreuses années, et de l’afflux de trafic au carrefour déjà très congestionné des autoroutes de la Capitale et Laurentienne, et ce, sans en tirer de bénéfices tangibles.

La construction d’un tunnel de la taille et de la longueur du projet proposé exigera d’éliminer le matériel excavé, pas nécessairement réutilisable, correspondant à près de trois fois le volume du Centre Vidéotron. De plus, creuser dans des sols meubles sous le quartier Saint-Roch et sous la rivière Saint-Charles exigera de prendre de grandes précautions qui auront un impact sur les coûts.

Remise en question nécessaire

La proposition actuelle constitue un choix que l’on devrait remettre en question. Les défis techniques qu’elle amène, les risques budgétaires associés et les bénéfices économiques réels impalpables militent pour une remise en question. Du point de vue des besoins en transport régional et interrégional, le vieillissement des ouvrages actuels fait en sorte que le statu quo n’est pas une option.

Scinder le projet pour réduire les coûts et mieux servir les usagers

Pour mieux servir la population, une option à envisager serait de scinder le projet en deux, en créant un lien de type transport collectif entre les centres-villes de Québec et de Lévis, similaire à la ligne jaune du métro de Montréal, et en ajoutant un troisième lien routier à l’endroit où il serait le plus avantageux. Chacun des liens répondrait ainsi à des besoins différents : le lien entre centres-villes faciliterait la mobilité des personnes, alors que le lien routier sécuriserait le transport interrégional en plus d’assurer le développement de la région de Québec. 

Ainsi, il est fort probable que deux projets distincts, bien intégrés aux réseaux de transport en commun et de transport routier, coûteraient au final moins cher à l’État et pourraient être réalisés plus rapidement que le projet actuellement considéré. Avec en prime beaucoup moins d’impacts sur les résidents de la rive nord lors de la construction.

Options de rechange pour le lien routier

Le lien routier pourrait prendre différentes formes, mais un pont serait le choix optimal du point de vue du coût et de l’échéancier. Trois sites sont envisageables : près des ponts actuels (ce qui serait probablement le moins coûteux), à l’ouest de Cap-Rouge (ce qui serait moins avantageux pour les gens de l’est et comprendrait plus d’impacts négatifs liés à la construction de nouvelles routes d’accès au sud et au nord) et à l’est de Lauzon, en ligne avec l’autoroute 40 au nord, et donc en face de l’île d’Orléans (probablement le meilleur choix pour le transport interrégional). Les options à l’est et à l’ouest auraient également moins de répercussions sur les résidents et le trafic routier durant la construction.

Pour le lien à l’est, l’option d’un tunnel, comme proposé dans l’étude commandée par le ministère des Transports en 2015, reste une solution envisageable. Celle-ci vient toutefois avec le même niveau de risque et les mêmes contraintes que l’option actuelle du tunnel. Combiner un tunnel pour la portion au sud de l’île d’Orléans et un pont au nord de l’île, où la nature des sols complexifie grandement le projet de tunnel, serait probablement la solution optimale pour ce site en ce qui a trait au contrôle des coûts. 

Repenser le projet collectivement

Mon intervention se limite essentiellement aux enjeux et défis techniques reliés à la construction d’un troisième lien. Les questions de développement économique, de protection de l’environnement, d’urbanisme et autres doivent être incluses dans le débat. Je laisse le soin aux experts dans ces domaines d’apporter leur éclairage sur ces points.

Il n’y a certes pas de choix simple, mais l’option présentement envisagée mérite très sérieusement d’être reconsidérée, collectivement, afin de faire le ou les meilleurs choix. Il s’agit d’un exercice qui doit être entrepris, sereinement et sans partisanerie politique, au bénéfice des générations futures.

Bruno Massicotte est professeur titulaire au Département des génies civil, géologique et des mines de Polytechnique Montréal. Les propos contenus ci-dessus reflètent son opinion personnelle et professionnelle seulement, et ne doivent d’aucune façon être interprétés comme une prise de position officielle de Polytechnique Montréal.