Voir grand: le Franco-Ontarien qui cuisine pour les Clinton 

Le chef Franco-Ontarien, Alexandre Vachon dans sa cuisine du Manoir Hovey de North Hatley dans les Cantons-de-l'Est. 

Épicuriens, l’article qui suit pourrait vous donner soudainement le goût de vous sustenter au Manoir Hovey dans les Cantons-de-l’Est. Surtout que le chef, Alexandre Vachon, est un fier ambassadeur de son coin de pays, l’Est ontarien. De l’omble chevalier, en passant par le parfait de foie gras, ou les desserts inspirés du miel des ruches du réputé établissement, rien ne lui échappe. Rencontré par Le Droit un mercredi après-midi du mois de décembre, cet originaire de St-Albert, qui a grandi à Embrun met dans ses plats tout l’amour qu’il voue à la nourriture et au plaisir de recevoir. En place depuis maintenant trois ans, il a trouvé sa vitesse de croisière.


Menu, discret, le chef de 34 ans -et père de 3 enfants d’un an, 3 ans et 4 ans et demi- détonne avec tout le mythe entourant les grands chefs des Relais & Châteaux.

Il a du métier derrière la cravate, ou devrait-on dire, derrière sa veste de cuisinier. Rien ne laisse présager qu’il compte parmi ses clients des influents politiciens: Bill et Hillary Clinton (Bill qui ne «mange normalement pas de viande mais qui fait une exception pour le boeuf de l’Ile-du-Prince-Édouard, tellement il est savoureux»), Jean Charest, Mélanie Joly, Lucien Bouchard et Jean Chrétien. Il faut dire qu’Alexandre Vachon sait faire. «Tout est dans la simplicité mais du raffinement. Un pain savamment tiède maison, du beurre fabriqué avec le lait de la laiterie du coin La Pinte, des oeufs de la canne blanche de Stukely, le canard de La Canardière, les pommes de Compton.» Et sur le ton de la confidence il l'admet, le secret, c’est la sauce. «Tous mes plats sont accompagnés de sauces. Mes fonds de veau sont prêts, je ne me préoccupe que de les ajuster et de bien les monter.» 

Le regard du chef aux apparences calmes s’allume quand il est question de l’adrénaline procurée à l'équipe en plein coeur de la préparation des dizaines d’assiettes aux stations de travail.

Je suis comme le joueur d’échecs, qui place les bonnes pièces au bon moment, ou le chef d’orchestre qui supervise et soutient les équipes au besoin. Dans une journée, je ne prends qu’un seul repas par jour, après le travail. Mais sinon, je goûte tout, tout le temps. Je passe mes journées à goûter.



L'avantage de la pandémie selon le chef est que la clientèle est 100% locale. Elle provient surtout de Montréal, Québec ou même Toronto.

Il manque tellement de cuisiniers actuellement qu’on fait encore plus attention à nos employés. Je n’ai jamais fait autant de ‘plonge’ que depuis les derniers mois, faute de personnel. En même temps, quand les jeunes voient le chef se tremper les mains dans la vaisselle, ils comprennent ce que veut dire le travail.

Celui qui n’a visiblement pas la grosse tête a choisi les cours d’arts culinaires à La Cité pour lui permettre de voyager -«c’était travailleur social ou cuisinier»- et il a côtoyé les chefs des plus grands restaurants de la planète: de la Maison Boulud au Ritz Carleton à Montréal en passant par Le Baccara au Hilton du Lac-Leamy, à ceux de Lake Louise et l’Australie. Il est maintenant bien ancré dans le village de North Hatley dans les Cantons-de-l’Est. «On vient de s’acheter une maison ici, ma femme qui est chef pâtissière est à la maison pour le moment avec nos trois enfants. Et sais-tu, pour vrai, je me vois vieillir ici comme chef au Manoir.» Et si c’est le cas, les clients seront bien servis pour longtemps.

Le chef cuisinier fait des journées de 10h par jour et allonge certaines fins de semaine à trois jours à l'occasion pour se reposer.

Au menu des Fêtes

Parmi les plats de son menu du temps des Fêtes, on retrouve entre autres de la salade de betteraves au miel du Manoir, accompagnée de fromage de chèvre de Waterville, ou le magret de canard aux carottes confites et moutarde à l’argousier. Et pour dessert, «il faut essayer notre chocolaté mentholé avec crémeux Zéphir ou le miel du Manoir aux fleurs sauvages.» Autre incontournable? «Mon risotto aux truffes».

L’après-midi avance et on commence à voir son équipe s’affairer dans la cuisine. On ne peut que demander à Alexandre Vachon s’il est heureux de ce qu’il devient. 

«Je ne pensais jamais dans mes rêves les plus fous être à la tête d’un restaurant affilié à Relais & Châteaux. Ma famille est venue manger ici. Ils sont fiers de moi mais ils sont simples. Je ne suis pas certain que mon père comprend tout ce qui se passe pour moi. Chose certaine, je viens d’une fermette à St-Albert, j’ai grandi à Embrun. Je sais que l’Est ontarien nourrit une bonne partie de l’Ontario et j’ai le plus grand respect pour les producteurs. Aussi, c’est vrai qu’on est gentil dans l’Est ontarien!»

Pourtant, après un temps au Casino du Lac-Leamy, il s’est totalement éclipsé de la région. Si plusieurs choisissent de faire carrière dans les environs qui les ont vu naître, d’autres, à l’instar d’Alexandre Vachon, s’exilent.

Il a roulé sa bosse un peu partout… et aboutit aujourd’hui au Manoir Hovey où il vient d’être nommé co-chef exécutif de cette prestigieuse cuisine affiliée au réseau Relais & Châteaux. Tout un beau mandat pour ce jeune trentenaire qui accumule les beaux emplois comme des cordes à son arc !

Cette conviction vers l’éternel s’est forgée tout particulièrement au contact du chef André Pagès, disparu subitement en avril 2017. « En 2005, c’est lui qui m’a branché avec sa passion contagieuse. » 

Il n’a cependant pas mentionné les insultes ( amicales, au fond ) faites par M. Pagés. De façon générale, les enfants grandissent dans la ouate de la famille, alors il faut bien leur montrer une autre facette de la vie. Alors ces invectives, elles n’étaient là qu’afin de secouer leur torpeur et de les mettre sur la voie de la réalité. Parce que travailler dans un restaurant, ce n’est pas de tout repos : outre les horaires, la chaleur, les tâches mornes et répétitives, il y a aussi des patrons agressants et crieurs, qui ne partagent que la frustration qu’ils vivent. 

Puis Alexandre Vachon a eu une pensée pour son autre professeur marquant, Wayne Murphy, ainsi qu’Hector Diaz, ex-chef exécutif au Hilton Lac-Leamy, puis Fred Archambeault, chef chez Arôme.

C’est là qu’il s’est mis à bouger. Il y a eu le Fairmont Lac Louise, puis quelques années dans un grand restaurant en Australie, avant de revenir à Montréal, chez Decca 77 et enfin, trois années passées comme sous-chef à la Maison Boulud, le chic restaurant de l’hôtel Ritz-Carlton. Ont suivi des séjours chez William Grey et un peu de consultation pour les pharmacies Jean-Coutu ( parce qu’ils ont une cuisine au bureau-chef ). Bref, vous voyez le portrait d’un chef changeant, qui glane son expérience à gauche et à droite.

Un mariage anglo-franco

Tout ça l’a préparé pour le Manoir Hovey, finalement. 

Au manoir, le chef Vachon oeuvrera de pair avec Paul Roberts, un autre jeune de talent, originaire d’Angleterre. Comment se fera ce travail d’équipe ?

« Je n’étais pas sûr au début, mais nous partageons vraiment les mêmes pensées, c’est frappant. Même s’il est Anglais et moi, d’inspiration française. Ça donne un beau mélange, mais classique en même temps. 

« Ensemble, nous avons l’intention de moderniser les classiques, mais tranquillement. D’abord, parce que nous ne sommes en place que depuis quelques semaines. Et puis, nous avons une clientèle assez conservatrice après tout. »

Ils entendent incorporer quelques ingrédients peu connus comme du boeuf nourri aux pommes de terre de l’Île-du-Prince-Édouard, des couteaux et des palourdes de l’Atlantique, de la morue charbonnière éco-responsable de la Colombie-Britannique, le porc de la ferme Beaurivage, au Québec, etc. 

Les chefs Vachon et Roberts prennent la relève de Francis Wolf, qui était en poste depuis plus de 10 ans. Lui-même avait pris le relais de Roland Ménard, un chef qui travaille encore à temps partiel au Manoir Hovey. Il est en quelque sorte la mémoire de la maison.

Alexandre Vachon est parti de l’Est ontarien, sa famille aussi. Il n’y revient qu’occasionnellement. Mais il porte en lui un peu de tout ce qu’il y a glané. Et ça, ça vaut plus que tout.