L’idée a pris forme au lendemain de l’élection, inspirée par les lectures et réflexions du chef de cabinet Clément Laberge.
On en retrouve la mention dans les lettres d’engagements remises aux membres de l’exécutif par le maire Bruno Marchand le jour de leur assermentation.
On y parle d’une «place symboliquement ajoutée autour de la table du comité exécutif pour nous rappeler les attentes des générations à venir...»
Des élèves de l’école Sacré-Cœur, dans le quartier Saint-Sauveur, ont «mordu dans le projet».
Depuis le début décembre, 24 jeunes de 6 à 11 ans ont travaillé à concevoir, peindre et décorer ce qui était pour eux la «chaise du maire».
Celle-ci sera officiellement «assermentée» lundi prochain avant le conseil municipal et trouvera ensuite sa place dans la salle de l’exécutif.
L’éducatrice spécialisée Noémie Ouellette, 25 ans, a coordonné l’activité pendant les périodes du mercredi au service de garde.
Elle a senti la «fierté» des élèves à préparer la «chaise pour le maire». Ils avaient bien compris que leur œuvre servirait à décorer la «chambre où se prennent les décisions», mais surtout à rappeler leur présence aux élus.
Cette génération et celles qui suivront n’ont pas prise sur les choix politiques d’aujourd’hui, mais elles auront à en assumer les impacts : environnement qui se dégrade, changements climatiques, risques technologiques, déchets, dette, etc.
Il ne s’agit pas ici de noircir inutilement le portait, ni de mettre toutes les administrations dans le même bain.
La réalité est que les impacts à long terme sont davantage pris en compte aujourd’hui qu’à d’autres époques.
Suffisamment? Beaucoup diront non. Jackie Smith dirait non et d’autres au Parti vert, à Québec solidaire et ailleurs. On peut en débattre.
Les élus, on peut le comprendre, vont d’abord aux urgences du jour. Cèdent aux agendas particuliers de citoyens, groupes de pression ou médias. Éteignent les crises politiques ou sanitaires et gardent un œil sur les sujets qui peuvent rapporter à la prochaine élection et qui sont rarement les sujets à long terme.
Ils pratiquent ce que le philosophe croate Roman Keznaric appelle le «présentisme»1, une théorie métaphysique voulant que seul le présent existe et qu’il n’y a ni passé, ni futur.
«Présentisme». Un autre nouveau mot. Il l’était pour moi, du moins. Une sorte de variant du mot «présentiel» que nous a infligé la pandémie.
Dans Le bon ancêtre publié l’an dernier2, le même auteur défend une autre idée forte voulant qu’on colonise le futur comme si c’était un «tempus nullius», un temps vide où il n’y aurait pas d’habitants.
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De la même façon que les régimes coloniaux de l’époque colonisaient les «terra nullius», ces terres sans maître qu’ils considéraient comme les leurs et où ils pouvaient tout faire. Au mépris des Premières Nations qui les habitaient.
Dans un article paru en 2019 sur le site de la BBC, M. Krznaric note que des administrations publiques se sont ici et là donné des outils pour lutter contre la tendance au «présentisme».
Un «comité parlementaire pour l’avenir» en Finlande; un «ombudsman pour les générations futures» en Israël; un «commissaire aux générations futures» au Pays de Galles avec le mandat de regarder au moins 30 ans devant, etc.
À la Ville de Québec, ce sera une chaise d’écolier.
Un objet symbolique pour rappeler aux élus de «porter une attention particulière aux enjeux liés au développement durable et à la crise climatique», lit-on sur les lettres d’engagement.
On retrouve cette même idée dans les mémoires au conseil des ministres du Québec. Une obligation d’analyser des impacts spécifiques avant d’adopter un projet de loi ou une politique.
Économie, gouvernance, environnement, équité sociale, métropole, etc. Les sujets changent selon les époques.
À la fin des années 90, le gouvernement du Parti québécois avait ainsi institué une «clause capitale».
La région de Québec s’inquiétait alors de l’érosion de ses fonctions de capitale et du glissement des directions de ministères vers Montréal.
Par la «clause capitale», le gouvernement s’était imposé d’examiner les impacts sur Québec de toutes ses décisions législatives.
Une sorte de «cran d’arrêt», pour reprendre l’expression du président de la Commission de la capitale nationale d’alors, Pierre Boucher.
L’administration Marchand souhaite que les générations futures reçoivent la même attention. La «chaise du temps» sera là pour le lui rappeler.
Cette chaise est faite, comme il se doit, de matériaux recyclés ou réutilisés, ce qui ajoute au symbole.
Une chaise d’écolier trouvée dans Facebook, décorée de branches tombées du dernier verglas pour évoquer un arbre, et de feuilles découpées dans une pancarte électorale, etc.
L’assemblage final a été fait vendredi matin. Le temps pressait pour que la chaise soit prête pour lundi.
Le cabinet du maire Marchand n’a pas fait d’autres démarches. «On ne tirera pas sur la fleur», explique Clément Laberge.
Mais si cette chaise du temps devait inspirer d’autres écoles à décorer des objets pour faire penser aux générations futures, il s’en réjouirait. Il y a d’autres lieux de décisions à l’hôtel de ville de Québec et dans les entreprises privées, rappelle-t-il.
Notes
(1) Why we need to reinvent democracy for the long-term, Roman Krznaric, BBC, 18 mars 2019.
(2) The Good Ancestor, How to Think Long-term in a Short-term World, Roman Krznaric, WH Allen édition, 2020.