À l’échelle des drames humains, l’idée d’annuler un voyage non essentiel vient très loin vers les échelons du bas. Ça en fait néanmoins un symbole parfait pour donner l’impression de prendre des mesures robustes contre la COVID. On sympathisera davantage, avec raison, avec les infirmières, les médecins, les enseignants, les restaurateurs, les parents aussi, tous aussi exaspérés de jouer au yoyo entre les vagues d’hospitalisation, les fermetures temporaires de classes et la pénurie de personnel. Et entraver les mouvements des voyageurs est nécessairement une mesure plus populaire que les autres restrictions.
Annuler un voyage qu’on espérait depuis des mois, courir pour valider si les assurances rembourseront, valider les règles pour entrer et sortir du pays et s’interroger à savoir s’il ne serait pas préférable de reporter, c’est une métaphore presque ludique des frustrations quotidiennes quand on doit aller chercher le petit à l’école de manière impromptue ou qu’on doit annuler la visite chez Mamie parce qu’on a mal à la tête et qu’une toux nous a pris par surprise. On comprend les directives, on les respecte de bonne foi, mais on subit un stress de voir nos plans chamboulés.
De là l’importance que les directives soient toujours aussi claires que possible. J’étais au Mexique pour visiter de la famille quand les tests obligatoires dans les aéroports canadiens ont été annoncés. Ce qu’on savait déjà, avant de partir, c’est qu’il fallait être prêt à s’adapter aux conditions changeantes et imprévisibles imposées par une pandémie mondiale. Mais quand le ministre Jean-Yves Duclos a déclaré que tous les voyageurs devraient passer un test PCR au retour au pays, on ne savait ni quand ni comment cette mesure allait être implantée. On comprenait aussi qu’on cherchait à décourager les initiatives visant à partir à l’aventure. À défaut d’interdire les voyages, on les rend plus compliqués.
:quality(95)/cloudfront-us-east-1.images.arcpublishing.com/lescoopsdelinformation/WDMBX3EY5BCWVLDLA6P7GVP7WI.jpg)
À l’aéroport de Mexico, où les voyageurs s’empilaient les uns sur les autres en toussant et en éternuant parfois, on s’inquiétait surtout de la quarantaine obligatoire au Canada en attendant le résultat du test. On craignait aussi qu’on utilise les voyageurs comme un symbole et qu’ils soient les seuls pénalisés pour un variant qui risquait d’être déjà présent au pays. Le gouvernement Trudeau s’est fait reprocher l’an dernier de ne pas avoir fermé les frontières assez rapidement. Cette fois-ci, il a agi promptement. Trop vite, de l’avis de certains professionnels du milieu touristique.
Jeudi, encore, le site du gouvernement du Canada indiquait que tous les voyageurs doivent se placer en quarantaine en attendant le résultat de leur test. Plusieurs paragraphes plus loin, dans la section « Test à l’arrivée », on n’avait toujours pas adapté le discours et on pouvait encore lire que la quarantaine n’était pas obligatoire. On comprend qu’il faut se fier aux banderoles portant la mention « En vigueur » en cas de messages contradictoires. Même des membres de l’industrie touristique en perdaient leur latin et ne savaient plus comment interpréter les consignes.
Mais le ministre de la Santé, Jean-Yves Duclos, a été clair dans les jours qui ont suivi : ce n’est pas le temps de voyager. L’avis au voyageur sera valide pour un mois. Voilà la prévisibilité que plusieurs réclamaient. Sur les réseaux sociaux, certains jugent ce conseil inutile. Un internaute se demandait pourquoi imposer des restrictions de voyage alors que le virus est partout. Un autre disait avoir repoussé ses voyages depuis plusieurs mois mais que cette fois-ci, il partait coûte que coûte. Vaccinés, testés, c’est suffisant, clament les autres. L’« à-boutisme » des voyageurs, on le sent dans chacun de ces commentaires. Ces globe-trotters ne souhaitent pas être montrés du doigt comme les seuls responsables de la prolifération du virus, d’autant qu’ils sont soumis à des protocoles très clairs pour pouvoir sortir du pays et y revenir. Surtout, quand on réalise qu’un variant peut être problématique, on nous annonce souvent qu’il est arrivé au pays avant qu’on ait eu le temps de rendre les frontières un peu plus étanches. Selon le site du gouvernement du Canada, entre juillet et novembre, c’est moins de 0,2 % des voyageurs totalement vaccinés qui ont testé positif à la frontière. C’est donc un peu plus de 500 personnes sur 337 000 voyageurs doublement vaccinés. C’est peu... mais ce n’est pas zéro.
Ces tests sont-ils pertinents? Bien sûr! J’en comprends qu’ils permettent de réduire les risques d’importer le virus et de le propager.
D’une part, même vacciné et doublement testé, un voyageur risque de rester coincé à l’étranger si le pays qu’il visite ferme ses frontières. C’est sans compter qu’une quarantaine ou une hospitalisation dans un autre pays peut poser son lot de défis... et coûter les yeux de la tête. Au-delà du variant lui-même, qui semble plus contagieux que le précédent, il faut penser aux défis logistiques qu’on acceptera de relever si on prend le risque de partir. Le Maroc, le Japon et Israël, par exemple, ont fermé leurs frontières lors de l’apparition d’Omicron.
D’autre part, l’Organisation mondiale du tourisme (OMT) estime que les restrictions générales sur les voyages sont inefficaces et qu’elles « stigmatisent des pays ou des régions entières », tout en reconnaissant qu’elles peuvent être utilisées en dernier recours si elles reposent sur des fondements scientifiques. Aucune frontière ne sera complètement étanche au virus, malgré toute la bonne volonté du monde. Ce que les voyages mettent en lumière, c’est l’inéquité de l’accès aux vaccins. Un faible niveau de vaccination favorise l’apparition des variants. Et on ne retrouvera pas la pleine liberté de voyager tant que la couverture vaccinale sera largement répandue. L’OMT suggère de faciliter l’accès aux brevets pour la production de vaccins.
On voyage souvent pour faire tomber les frontières, pour voir qu’au fond, nous poussons tous dans la même terre. Mais c’est quand on devrait travailler ensemble qu’on élève encore plus ces frontières en pensant qu’elles nous protégeront dans nos bulles artificielles.