Avec son image de parti affairiste et oligarque, je dirais que le PLQ représente davantage l’idéologie néolibérale que le libéralisme à proprement parler. Du moins, ça, c’était avant la nomination de Dominique Anglade à la tête du parti. Cette dernière, en effet, semble résolue à effectuer un grand virage vers la gauche, sans oublier les préoccupations environnementales. Calcul politique ou conviction profonde? Je ne saurais dire, mais chose certaine, cela permettrait au PLQ de renouer avec les véritables valeurs libérales.
Mais quelles sont ces valeurs? En 2002, dans un document de quelque 70 pages intitulé Les valeurs libérales et le Québec moderne, le regretté Claude Ryan avait déterminé les sept valeurs suivantes:
1. La promotion des libertés individuelles;
2. L’identification au Québec;
3. Le développement économique;
4. La justice sociale;
5. Le respect de la société civile;
6. La démocratie;
7. L’appartenance canadienne.
En regardant cette liste, je ne peux faire autrement que remarquer à quel point les libéraux se sont progressivement éloignés de leur «identité profonde», surtout pendant l’ère Charest-Couillard. Ironiquement, c’est Jean Charest lui-même qui avait commandé ce document à Claude Ryan. Comme quoi il ne faut jamais vraiment se fier aux apparences, mais toujours aux faits.
Et parlant de faits, l’événement qui illustre selon moi le mieux la négation des valeurs libérales de la part des libéraux de Jean Charest est le «printemps érable», c’est-à-dire la grève étudiante de 2012. En effet, peut-être cela pourra vous surprendre de le lire, mais puisqu’elle avait pour effet de limiter l’accessibilité aux études supérieures, l’augmentation des frais de scolarité était tout sauf une mesure libérale. Ce qu’il faut savoir, c’est que dans le libéralisme classique, l’égalité est une valeur tout aussi importante que la liberté elle-même. Et quand je parle d’égalité, je parle surtout d’égalité des chances. Car à quoi bon avoir des droits et libertés si vous n’êtes même pas en mesure de les exercer?
Ainsi, bien qu’ils défendent ouvertement le développement économique et l’économie de marché, les penseurs libéraux n’en sont pas moins attachés à d’autres valeurs comme le respect des droits et libertés et la justice sociale. Ces valeurs forment d’ailleurs un tout, ce qui explique pourquoi les libéraux sont généralement ouverts à diverses mesures qui favorisent l’égalité des chances et la mobilité sociale. Les individus doivent être libres d’entreprendre, certes, mais pour cela il faut d’abord leur en donner concrètement les moyens.
Les théoriciens libéraux ont alors imaginé un cadre conceptuel permettant de concilier au mieux ces diverses valeurs sans forcément les hiérarchiser entre elles. Parmi eux, mentionnons le philosophe John Rawls et l’économiste Amartya Sen, qui ont tous deux insisté sur la nécessité d’accorder aux individus des «libertés substantielles», lesquelles se traduisent concrètement par la possibilité pour les individus de faire des choix parmi les biens qu’ils jugent estimables et de les atteindre effectivement. Autrement dit, le rôle de l’État est de s’assurer que tous les individus disposent «d’outils» qui leur permettront de mener à bien les projets qui leur sont chers.
Au-delà d’une simple liberté formelle (purement théorique), le projet libéral consiste donc à doter les individus d’une liberté réelle. Ce «principe d’égale liberté», pour reprendre les mots de Rawls, implique alors l’intervention des pouvoirs publics afin d’optimiser la distribution et l’utilisation des ressources dans une perspective de justice sociale. Il est intéressant de noter que l’instauration d’un revenu minimum garanti, une idée souvent associée à la gauche, favoriserait certainement l’atteinte de cet objectif. L’ancien ministre libéral François Blais était d’ailleurs un grand partisan de cette option, mais ses collègues à l’époque n’ont pas jugé bon de donner suite à ses propositions. Une occasion manquée, selon moi.
En somme, s’il venait à se concrétiser, le virage à gauche et écologique des libéraux de Dominique Anglade n’aurait rien d’un reniement de l’héritage de ce parti, mais constituerait au contraire un véritable retour aux sources de la pensée libérale. N’oublions d’ailleurs jamais que c’est sous l’impulsion du PLQ et des valeurs libérales que le Québec a entrepris sa Révolution tranquille, entrant alors de plain-pied dans la modernité. Reste à voir si ce «nouveau PLQ» est le fruit d’une démarche sincère et profonde ou d’un simple positionnement stratégique.