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C’est la faute de ma blonde, qui me jure que pour profiter des bienfaits du spa, je dois suivre scrupuleusement l’alternance entre froid et chaud. Et, comme elle endure l’eau glaciale beaucoup plus longtemps que moi, mon orgueil ne me laisse pas le choix : je me frigorifie moi aussi.

J’ignore à quel point la thermothérapie est bonne pour la santé, mais je sais une chose : le bain chaud est vraiment plus agréable quand on vient de passer une minute immergé dans une version liquéfiée du pôle Nord.

Le psychologue Paul Rozin a surnommé ce genre de souffrance volontaire le «masochisme bénin», et la plupart de temps ça n’a rien à voir avec le sexe.

Les humains pratiquent le masochisme bénin dans toutes sortes de circonstances. Ils commandent un bol de chili ultra-piquant pour se réjouir de la prochaine rasade de bière froide. Ils regardent des films d’horreur pour chérir encore plus la sécurité de leur salon. Ils font des courses à obstacles dans la boue pour goûter à l’extase du fil d’arrivée.

Bien sûr, ce ne serait satisfaisant de franchir le fil d’arrivée qu’après un mètre de course. Souvent, la souffrance est un préalable au plaisir.

Paul Bloom, un professeur de psychologie d’origine québécoise qui enseigne à la prestigieuse Université Yale, se penche sur ce paradoxe fascinant dans un livre qui vient de paraître : The Sweet Spot : The Pleasures of Suffering and the Search for Meaning (Le bon endroit : Les plaisirs de la souffrance et la quête de sens).

Pour Bloom, les humains ne sont pas de purs hédonistes. Ils ne cherchent pas simplement à maximiser leur plaisir. Ils cherchent aussi la souffrance tolérable qui exacerbera ensuite le plaisir.

Tout est une question de contraste. «On répond aux différences et non aux absolus, écrit Bloom, et cela signifie qu’une chose peut devenir agréable non pas à cause des propriétés uniques qu’elle possède, mais plutôt par contraste avec l’expérience qui vient de se passer.»

Bloom cite un neuroscientifique qui explique que le cerveau est toujours en train de comparer le présent et le passé. Jusqu’à un certain point, plus on a souffert, plus le plaisir est intense. L’hiver, par exemple, il est plus agréable d’entrer à la maison quand on vient de pelleter pendant une heure que quand on sort d’une auto chauffée.

À mon avis, il y a là une puissante leçon à retenir en cette ère numérique où tant de satisfactions immédiates sont à portée de clic. Vous savez comment ça fonctionne. T’as faim? Commande sur Doordash. Envie de te divertir? Allume Disney +. Tu veux prendre des nouvelles de ton entourage? Ouvre Facebook.

Le hic, on l’a tous constaté, c’est que ces assouvissements offrent peu d’égaiement. Un petit buzz au début, puis on se sent vide. Pourquoi? Parce qu’il y a absence de souffrance.

Or, si vous cuisinez votre propre repas, si vous prenez la peine de vous rendre au cinéma ou si vous marchez jusqu’au café pour aller jaser avec un ami, le plaisir sera probablement décuplé.

Mais un des meilleurs exemples du plaisir de la souffrance, souligne Bloom, est peut-être celui de l’état de «flow» qu’a identifié le psychologue hongrois Mihály Csíkszentmihályi en 1975.

Csíkszentmihályi, qui s’est éteint en octobre, cherchait à comprendre dans quel genre d’activités les humains s’épanouissent. Et il a été étonné de constater que les maîtres d’échecs, les joueurs de hockey, les danseurs ou les compositeurs, par exemple, utilisaient des termes très similaires pour décrire leurs activités et les raisons pour lesquelles ils en bénéficiaient autant.

Ils parlaient de leur concentration intense, de leur impression de se consacrer au moment présent et d’oublier le temps qui passe. Csíkszentmihályi a surnommé cet état mental le «flow», qu’on appelle aussi «être dans la zone».

Mais la zone n’est pas un endroit de pur plaisir. C’est un endroit où on se creuse les méninges, où on sue, où on s’inflige volontairement une certaine souffrance. Mais c’est précisément l’effort qu’on déploie pour atteindre le sommet d’une montagne, maîtriser une nouvelle partition de piano ou construire une bibliothèque en bois massif qui nous rend aussi heureux de nos petites victoires.

Alors, la prochaine fois que vous serez tenté de passer un samedi après-midi devant la télé, songez à être un peu plus masochiste et imitez vos voisins qui partent faire du ski de fond. Ce sera plus souffrant sur le coup, mais tellement plus satisfaisant après.

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