Stanley Février et l’art de changer le monde

Stanley Février est un artiste muldisciplinaire qui pratique à temps plein depuis 2012.

On l’a senti rapidement, mardi matin, Stanley Février a laissé sa marque au Musée national des beaux-arts du Québec. Émue et transformée, l’équipe du MNBAQ se disait bien fière de pouvoir enfin dévoiler l’exposition menm vye tintin. les vies possibles aux côtés de cet artiste pour qui l’art est un «véritable vecteur de transformation sociale».


Stanley Février le répétera à quelques reprises tout au long de la visite de presse : il s’intéresse avant toutes choses aux gens. Même lorsqu’il aborde la brutalité policière, la maladie mentale, les armes à feu, le racisme ou les angles morts de l’Histoire. Si ses œuvres résonnent avec l’actualité des derniers temps, elles mettent toutefois de l’avant les victimes de ces tragédies : des humains.

Lauréat de la quatrième édition du Prix en art actuel du MNBAQ, Stanley Février est un artiste multidisciplinaire qui utilise beaucoup la performance et les autoportraits comme base de travail.



Stanley Février, <em>La Clairvoyance</em>, 2014

Les curieux qui visiteront la salle le remarqueront d’ailleurs dès leur entrée avec La Clairvoyance. Sur cette grande impression numérique, l’artiste imagine notamment sa mort.

Une «possibilité» qui fait ici référence au titre de son exposition, menm vye tintin. les vies possibles, dont le premier segment, en créole, signifie en français «plus ça change, plus c’est pareil»; en québécois : «la même crisse d’affaire»; en anglais : «same old shit».

Plusieurs moulages de son corps sont également présentés. Si Stanley Février a tenu à les modifier quelque peu afin de ne pas être «figer dans le temps», ses œuvres marquent tout de même l’imaginaire en montrant des têtes recouvertes d’une cagoule ou encore un homme écrasé sur le sol, les mains dans le dos. Des positions qui ne sont pas sans rappeler des arrestations policières musclées, telles que celle de Georges Floyd.

Stanley Février, <em>Vanité</em>, 2021

Bien conscient du cadre dans lequel la société souhaite l’enfermer, Stanley Février tente d’aller de l’avant et de casser les moules et les clichés. Pour lui-même, en tant qu’homme noir, originaire de Port-au-Prince, mais aussi pour ses œuvres.



Avec Vanité, par exemple, l’artiste a tenu à élever et à donner de la hauteur au moulage fait de plâtre et d’acrylique, afin de briser les images de ces photos qui montrent souvent un policier écrasant de tout son poids la personne arrêtée.

Parfois touchantes, bouleversantes ou même choquantes, les œuvres de Stanley Février demeure toutefois imprégnées d’humanité. L’artiste militant affirme d’ailleurs qu’il a toujours foi en la société. Il est essentiel, pour lui, que son travail conserve une certaine dose d’espoir.

«La nature le montre très bien. On voit des tempêtes, des tsunamis, mais qu’est-ce qui se passe? Le beau temps revient. […] C’est sûr qu’avec le temps, il va finir par se passer quelque chose», lance, en entrevue au Soleil, celui qui a simplement foi en la vie.

Stanley Février, <em>Les grands espoirs</em>, 2019/2020

Au-delà des dénonciations politiques

Pour Bernard Lamarche, conservateur de l’art actuel au MNBAQ, il est clair qu’on ne peut rester insensible devant les sculptures et les photographies de Stanley Février. Or, le responsable du développement des collections insiste : ces œuvres ne sont jamais qu’une fronde servant à ébranler le public. Elles viennent aussi avec une charge émotive qui nous incite à l’empathie.

«Ici, à travers l’art, Stanley nous partage son expérience. […] Il a été travailleur social avant d’assumer à 100% sa carrière en art visuel et, ça, ça percole dans son œuvre. On sent qu’il a toujours ce besoin d’aller vers les gens», ajoute Bernard Lamarche, en entrevue au Soleil.



On a d’ailleurs souvent tendance à parler des États-Unis lorsqu’on aborde les enjeux liés à la brutalité policière ou au racisme. Certains préfèrent aussi discuter de la santé mentale du voisin plutôt que de la leur. Or, Stanley Février croit pourtant qu’il est nécessaire qu’on se regarde dans le miroir. Parce que «les tragédies nous concernent tous».

«C’est plus facile pour nous de parler d’ailleurs. […] Moi, je veux exposer ces réalités sociales [d’ici], qui nous concernent tous, et d’avoir un nouveau regard sur ces sujets. C’est-à-dire comment je me positionne par rapport à ces situations? Quel rôle je peux jouer? Pourquoi suis-je dans l’inaction?

La réflexion du public doit passer par elle-même. Les gens doivent se voir à travers ces réalités», affirme l’artiste établi au Québec depuis plus de trente ans.

Questionné par rapport aux vidéos qui ont refait surface concernant le Service de police de la Ville de Québec (SPVQ), Stanley Février confirme les avoir vues.

«Je n’ai pas réagi officiellement pour l’instant. L’art parlera pour moi. Mais, vous savez, ce sont toujours les mêmes choses qui se répètent. D’où le titre de mon exposition», a-t-il souligné.

Stanley Février, <em>Je vous souhaite bon voyage</em>, de la série <em>Les constellations dangereuses</em>, 2021.

Derrière la gloire des artistes

Au centre de la salle, les visiteurs découvriront un petit espace renfermant des panneaux de bois colorés en forme de carré, d’étoile ou encore de «X». Des œuvres qui, au premier abord, semblerait appartenir à un autre artiste, mais qui sont bel et bien signées par Stanley Février.

Ces créations sont le fruit d’une expérience qu’il a mené il y a quelques années alors qu’il a envoyé une lettre de détresse à 41 galeries d’art pour leur demander de l’aide. Le texte, qui témoigne de l’anxiété, de la pression et de la pauvreté que les artistes expérimentent au cours de leur carrière, n’a pourtant reçu aucune réponse.



Marqué par ces résultats, l’homme de 45 ans a décidé d’utiliser le code des signaux maritimes, une langue internationale qu’il traduit en œuvres. Comme un appel à l’aide , lancé à la mer, pour sensibiliser le public à la santé mentale des artistes.

En tant qu’institution culturelle, l’équipe du MNBAQ affirme avoir été particulièrement touchée par cette démarche.

«Il nous a sensibilisé à toute la pression qu’un projet comme menm vye tintin. les vies possibles peut avoir sur un artiste. […] Mais aussi, Stanley, c’est quelqu’un qui a une nature à vouloir prendre soin des gens et, ça, c’est quelque chose qu’il nous a clairement transmis», conclut Bernard Lamarche.