«Ce serait un grand pas en arrière!» a prévenu le Regroupement des services d’intervention de crise du Québec (RESICQ) dans un récent communiqué de presse.
En entrevue au Soleil, le vice-président du RESICQ, Hugues LaForce, a appelé le gouvernement à augmenter substantiellement le financement de la vingtaine de centres de crise du Québec, eux qui n’ont eu droit qu’à «des fonds de tiroirs» depuis le début de la pandémie, a-t-il déploré.
Selon lui, le manque de financement chronique des centres de crise affecte grandement leur capacité à recruter et à garder leurs intervenants, ce qui finit par avoir un impact sur l’offre de services à la population.
«Si on compare avec les autres organismes communautaires, les centres d’intervention de crise ont un niveau de responsabilité clinique très important [...]. Nos intervenants font de l’estimation de dangerosité suicidaire et homicidaire. Ce sont des interventions qui sont à haut risque» et qui nécessitent des acquis académiques assez élevés, rappelle M. LaForce.
Or faute d’un financement adéquat, les centres de crise ne sont pas en mesure d’offrir à ces précieux intervenants un salaire et des conditions susceptibles de favoriser leur rétention, explique-t-il.
«Il y a les conditions salariales, mais, en plus, on est dans le 24/7, donc on leur demande de faire des quarts de travail atypiques, de travailler la fin de semaine, le soir, la nuit. Au bout d’un certain temps, ça ne fait plus, les gens sont attirés vers le réseau public, et on peut les comprendre. Déjà que le travail est difficile en soi, à la longue, l’horaire et les conditions salariales qui ne sont pas avantageuses pèsent lourd aussi», résume Hugues LaForce.
«Ça fait 30 ans que je suis dans ce domaine-là, et il y a presque 20 ans, dans mes rapports annuels, j’écrivais à peu près la même chose. L’exode de nos intervenants vers le réseau public a toujours eu lieu. Mais là, il y a vraiment une accélération du roulement de personnel. Avant, on réussissait à garder nos intervenants quatre, cinq, six ans, maintenant on essaie de les garder pendant un an...» constate avec dépit celui qui dirige le Centre d’intervention de crise Tracom de Montréal.
Selon lui, le réseau public a tellement de besoins qu’il recrute maintenant non plus seulement les travailleurs sociaux, les psychologues et psychoéducateurs des centres de crise, mais aussi des profils qu’il ne recrutait pas naturellement avant, comme les détenteurs de baccalauréat en sexologie ou en criminologie.
Hugues LaForce souligne par ailleurs que si les premiers mois de la pandémie ont été relativement tranquilles pour les centres de crise, la demande a explosé au cours de la dernière année. Une détresse non seulement palpable au sein de la population, mais aussi chez les intervenants des centres de crise, note-t-il.
«On a des taux de congés maladie jamais vus. À un moment donné, j’avais quatre personnes en congé maladie en même temps.[…] Les intervenants sont fatigués, usés. De plus en plus tombent malades, et en plus, on a de la difficulté à recruter», se désole le vice-président du RESICQ.
Actuellement, partout au Québec, des centres de crise sont en situation de bris de services, déplore M. LaForce. Et si rien n’est fait à court terme, plusieurs devront se résoudre à réduire de façon importante leur offre de services, qui va de l’intervention téléphonique à l’hébergement, en passant parfois par le suivi de crise dans la communauté.
Au centre de crise de Québec, la directrice par intérim, Barbara Martin, confirme : le sous-financement et la pénurie de main-d’oeuvre mettent en péril l’offre de services de l’organisme. «On n’a pas encore fermé des volets, on est encore capable de fonctionner, mais c’est grâce aux intervenants — qui sont très, très essoufflés — qui font des cinquième et des sixième quarts, des doubles, pour qu’on puisse rester ouvert et donner des services», témoigne Mme Martin.
Dans son communiqué, le RESICQ rappelle que le réseau de centres d’intervention de crise a été mis sur pied par le gouvernement au milieu des années 80 afin de réduire la pression sur les urgences et de proposer à la population une offre de services non médicale et moins «stigmatisante».
Tous les jours, souligne-t-il, le réseau public de la santé et des services sociaux, les services de police et les établissements scolaires réfèrent des personnes en détresse vers ces organismes à but non lucratif.
«Actuellement, on n’est pas en mesure d’offrir des services à tout le monde qui en demande. Et si on n’est pas en mesure de les aider, on va en diriger de plus en plus de gens vers l’urgence», prévient Hugues LaForce.
Contrairement aux organismes spécialisés en itinérance, en violence conjugale ou en itinérance, par exemple, les centres de crise n’ont jamais eu droit à des réinvestissements depuis leur ouverture il y a plus de 35 ans, dénonce-t-il.
M. LaForce rappelle que le Plan d’action en santé mentale 2005-2010 prévoyait l’octroi d’au moins 10 % du budget global en santé mentale aux organismes communautaires. «En date d’aujourd’hui, ça tourne autour de 8 %, donc le 2 % qui reste, qui représente quelques dizaines de millions de dollars j’imagine, s’il était réinvesti dans les organismes, ça nous ferait du bien, ça nous aiderait à être plus compétitifs sur le plan de l’embauche», expose Hugues LaForce.