Gettr, nouveau repaire numérique des complotistes

Le compte «Radio-Québec» d’Alexis Cossette-Trudel regroupe quelque 18 700 abonnés sur Gettr.

Banni de Facebook, Twitter et YouTube, le conspirationniste le plus connu du Québec, Alexis Cossette-Trudel, fait son nid sur de nouvelles plateformes comme Gettr, un réseau social créé par un proche de Donald Trump. Ce réseau, dans lequel se sont retranchés des internautes anti-vaccin parmi les plus convaincus de la complosphère, ouvre aussi la voie à des tenants proches de l’extrême droite, confirment un spécialiste des médias numériques et un expert sur la question de la radicalisation.


Le réseau social lancé en juillet 2021 a été créé par Jason Miller, un ancien conseiller de Donald Trump. Il fonctionne de la même façon que Twitter, avec des abonnements et des abonnés.

Les Coops de l’information ont constaté, ces dernières semaines, qu’il attirait des figures bien connues des mouvements anti-vaccin et conspirationnistes de partout dans le monde, dont celles de la Belle Province.

Le compte «Radio-Québec» d’Alexis Cossette-Trudel regroupe quelque 18 700 abonnés, ce qui en fait l’un des plus suivis en langue française au Canada. Ses abonnés proviennent de toutes les régions du pays, mais aussi de la France, des États-Unis, du Brésil et de la Belgique. Il a téléchargé un arrière-plan du logo de son média flanqué de la mention «International». Il publie des liens vers d’autres plateformes de diffusions telles que Odyssee (56 000 abonnés), Rumble, et Telegram. Il est aussi actif sur la plateforme de vidéos russe VKontakte (34 000 abonnés).

Après son arrivée sur Gettr, en juillet, Radio-Québec demandait à ses abonnés «tous les articles démontrant que les vaccinés transmettent le virus/meurent autant/davantage que les non vaccinés». Plus récemment, il a publié un lien Rumble d’une vidéo de plus d’une heure intitulée «L’Affaire Omicron», commentant le nouveau variant de la COVID-19.

M. Cossette-Trudel n’a pas répondu à notre demande d’entrevue effectuée par courriel mercredi matin.

Sur le réseau Gettr, Alexis Cossette-Trudel est suivi par des complotistes, de même que des militants anti-vaccin et des opposants aux mesures sanitaires bien connus comme Amélie Paul, Mel Goyer, Daniel Pilon et Lucie Laurier. À cette liste s’ajoute d’ailleurs le chanteur français Francis Lalanne.

«Dix-neuf mille abonnés, c’est bien peu par rapport à ce qu’il avait sur YouTube ou Facebook», observe le directeur du Centre d’expertise et de formation sur les intégrismes religieux, les idéologies politiques et la radicalisation (CEFIR), Martin Geoffroy.

M. Cossette-Trudel est loin des 70 000 abonnés qu’il avait sur Facebook avant que le plus grand réseau social au monde le bannisse pour ses propos relayant des thèses complotistes de Qanon.

Selon M. Geoffroy et un spécialiste des médias numériques, le professeur Stéphane Couture, ce retranchement forcé dans de nouveaux réseaux sociaux plus marginaux diminue la popularité générale des meneurs d’opinions, mais entraîne la consolidation d’un noyau dur autour duquel les plus convaincus peuvent se réunir.

«Ce qui risque d’arriver est une radicalisation» de ces abonnés, entrevoit M. Geoffroy. Ce sont des sites très marginaux et les gens qui les fréquentent y vont délibérément pour se retrouver dans une chambre d’échos. On constate que les trumpistes s’y retrouvent.»

Apporter de l’eau au moulin

L’ancien président américain Donald Trump, banni de Facebook et Twitter, prévoit lancer son propre réseau social, «TRUTH», en 2022.

Pour le professeur en communications à l’Université de Montréal, Stéphane Couture, les leaders conspirationnistes — même d’extrême droite — utilisent ces réseaux plus marginaux pour apporter de l’eau au moulin à des abonnés qui, eux, sont encore actifs sur les réseaux comme Facebook, YouTube et Twitter. Résultat: les discours complotistes continuent d’atteindre Monsieur et Madame Tout-le-Monde sur les grands réseaux sociaux, observe-t-il. «De plus, la désinformation circule davantage dans l’extrême droite — même davantage que dans l’extrême gauche. On le voit surtout aux États-Unis avec Qanon.»

Pour le directeur du CEFIR, plusieurs adhérents des idées de l’extrême droite ont profité de la pandémie de COVID-19 pour faire gonfler leur popularité. «D’ex-membres de La Meute et d’autres organisations se sont recyclés dans le refus des mesures sanitaires. Quand vous grattez, vous trouvez des idées anti-immigration et pro-Trump.»

Selon M. Geoffroy, le bannissement de comptes Facebook ou Twitter «est un coup d’épée dans l’eau», puisque d’autres militants n’ayant pas été bannis répètent les mêmes messages. «Des gens se sont inventé un monde parallèle dans lequel ils se croient, dans lequel ils sont importants. Se retrouver sur Odyssee ou Gettr, ça reste relativement marginal. Mais ça ne veut pas dire que ce n’est pas dangereux. Regardez ce qui est arrivé au parti de Maxime Bernier (aux élections fédérales) en septembre. Il a eu 800 000 votes. On ne peut pas dire que c’est un flop total...»

Gettr est une «réponse» aux grands réseaux comme Facebook ayant banni certains leaders proches de l’extrême droite, des figures de proue du mouvement anti-vaccin et d’autres tenants de thèses complotistes liées à la COVID-19 ou à la politique internationale.

Sur une vidéo promotionnelle — publiée sur Twitter — Gettr souligne à grands traits des slogans tels que «Protection contre la culture de l’annulation («Protecting against cancel culture»). Le réseau reprend à sa façon le slogan «Make America Great Again» du 45e président des États-Unis et déclare: «Make Social media fun again» (Rendons les médias sociaux amusants à nouveau).

Dans ses publicités, Gettr promet de ne jamais vendre les données personnelles de ses abonnés.