Élevé à Montréal dans une famille très croyante, Jonathan Di Carlo sait très jeune qu’il n’est pas comme les autres. «J'avais peur de le dire à mes parents, peur qu'ils me rejettent», lance-t-il.
En 2001, il trouve un confident au sein de son église; il parle de ses pensées homosexuelles avec le pasteur, qui lui prodigue des conseils. «Il m’a dit de prier pour que Dieu me change.» Un autre pasteur lui suggère de faire attention à la manière dont il utilise ses mains ou encore à sa façon de parler, afin d’éviter de se comporter comme une fille.
Il subit même des exorcismes. L’un d’entre eux se déroule devant 500 fidèles de l’église, où on lui enduit la tête d’huile.
Ils pensaient qu'ils parlaient à un démon, alors ils criaient des choses très traumatisantes vers moi.
Durant les rituels, Jonathan Di Carlo se fait aussi toucher le visage, les épaules et la poitrine par les gens présents. Ces différents événements se déroulent alors qu’il est âgé entre 12 et 21 ans.
Par la suite, on le convainc d’aller dans une école biblique aux États-Unis. Il y subit des traitements similaires, mais l’impact sur sa santé mentale est encore plus significatif. «Ils disent: ‘on déteste le péché, mais pas la personne’. [...] Ça devient très lourd pour la personne qui doit garder le secret.» Durant ces années à l’école biblique, il réprime ses désirs sexuels pour d’autres hommes, de peur d’être exclu. «Je ne voulais pas vivre cela.»
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Pas un cas isolé
Ce genre de témoignage, Olivier Ferlatte en a entendu plus d’une vingtaine dans le cadre d’une recherche menée en 2020. Professeur adjoint à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, il s’est intéressé, avec un petit groupe de chercheurs, aux thérapies de conversion au Canada, un phénomène très peu étudié. «Plusieurs nous disaient qu'on cherchait quelque chose qui n'existait pas au Canada», lance-t-il.
Les chercheurs réalisent rapidement que des thérapies de conversion sont bel et bien pratiquées ici. Olivier Ferlatte estime qu’environ 10% des hommes issus de la communauté LGBT au pays en ont subi une. Il n’existe pas vraiment de données sur les femmes.
Ces «soi-disant thérapies» peuvent avoir des effets dommageables sur la santé mentale, observe M. Ferlatte. «On voit des taux élevés de consommation de substances, de dépression et de suicide chez des personnes qui ont subi des thérapies de conversion», énumère le chercheur.
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QU'EST-CE QU'UNE THÉRAPIE DE CONVERSION?
La thérapie de conversion est une pratique qui vise à modifier l’orientation sexuelle d’une personne pour la rendre hétérosexuelle, à réprimer ou à réduire l’attraction ou les comportements sexuels non hétérosexuels, ou à changer l’identité de genre d’une personne pour qu’elle corresponde au sexe qui lui a été attribué à la naissance.
Source : Gouvernement du Canada
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Québécois d’adoption, Robert Dole a lui aussi subi une thérapie de conversion aux États-Unis, dans les années 1960. Alors qu’il a 16 ans, le doyen de son école découvre qu’il a eu une relation sexuelle avec un élève avec qui il partage sa chambre. Robert doit alors rencontrer un psychiatre.
«Il me disait: ‘Tous les homosexuels finissent comme des clochards. Tu n'auras jamais d'amis, jamais d'emploi, tu ne pourras jamais le dire à tes parents. Tu dois épouser une femme comme tout le monde », raconte Robert, qui habite depuis 44 ans à Chicoutimi, au Saguenay-Lac-Saint-Jean.
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Au début, il croyait qu’il était possible de changer. « Mais après quelques semaines, je me suis dit: «C’est absurde, on ne peut pas changer mon orientation sexuelle.» Aujourd’hui âgé de 75 ans, il se dit encore blessé par cette expérience traumatisante.
Bannir les thérapies de conversion
Le ministre fédéral de la Justice, David Lametti, a déposé lundi la nouvelle mouture de son projet de loi pour bannir les thérapies de conversion. S'il est adopté, il sera aussi criminel d’envoyer un mineur du Canada à l’étranger pour lui faire subir une thérapie de conversion.
Cette nouvelle version va plus loin que la précédente, puisqu’elle criminalise l’action de faire suivre une thérapie de conversion à toute personne, peu importe qu’elle soit consentante ou non. Le précédent projet de loi ne visait que les enfants et les adultes non consentants. Il est mort au feuilleton quand les élections fédérales ont été déclenchées.
[ Quatre nouvelles infractions pour interdire les thérapies de conversion ]