Jeune, Jean-Marie Guay n’aimait pas l’école. Pire, il détestait. Or, par la plus grande des ironies, il a passé le reste de sa vie à aider des jeunes à ne pas décrocher. D’abord comme professeur, puis comme directeur général du Centre psycho-pédagogique de Québec, aujourd’hui l’école Saint-François, une institution qui accueille des élèves incapables de s’intégrer aux classes régulières en raison de problèmes personnels et familiaux.
Troubles de comportement, toxicomanie, excès de violence, les jeunes qui débarquent à l’école Saint-François arrivent avec deux prises contre eux. Cette «école de bout de ligne» représente l’ultime planche de salut pour eux et leurs parents. Après, c’est le précipice.
«Il y a des jeunes qui arrivent chez nous avec des dossiers épais comme ça, confie M. Guay, attablé à un café de la route de l’Église. Ben maudit, ils s’en sortent. Si vous saviez les belles histoires qu’on a eues. Mais il faut y croire, il faut avoir confiance.»
Et pour y arriver, il faut du travail, de l’acharnement et de la bienveillance. Chaque jeune arrive avec un passé douloureux et un mode d’emploi que les professeurs doivent apprendre à décoder. Pour les uns, c’est la mort violente d’un parent ou un traumatisme; pour les autres, des abus sexuels ou un milieu familial toxique.
À la porte plusieurs fois
Fils de l’ancien maire de Sillery Gérard Guay, dernier d’une famille de neuf enfants, Jean-Marie Guay a longtemps cherché sa voie. «Mon père était très absent et ma mère avait des problèmes de santé mentale. On m’a fait entrer à l’école de bonne heure, ce qui fait que j’ai toujours été le plus petit, le plus jeune, le plus immature dans la classe. Je me sauvais régulièrement de l’école. Mon père a fini par me mettre pensionnaire à Saint-Louis-de-Gonzague. Mettons que ça partait mal...»
Au secondaire, il prend la direction du Séminaire de Québec. Ça ne s’arrange guère. «Je n’étais pas un très bon élève. J’étais dissipé, distrait, pas très performant. J’avais des troubles de comportement. On m’a mis à la porte après un an.» C’est dans un établissement de Church Point, en Nouvelle-Écosse, qu’il terminera son secondaire.
M. Guay fera partie des premières cohortes à faire leur entrée dans les cégeps, en 1969. Son père, ingénieur forestier et arpenteur géomètre de formation, voulait qu’il suive ses traces. «Je ne voulais rien savoir.» Dans le clan maternel Casgrain — sa mère était la cousine de la politicienne féministe et engagée Thérèse Casgrain —, ce sont les études en droit qui priment.
«Avant même que je rentre en droit [en 1971, à l’Université Laval], j’avais une lettre de mon oncle Perreault Casgrain comme quoi j’étais accepté à son bureau d’avocat, explique-t-il. Son passage à la faculté durera le temps des roses. Rebelote, nouvelle expulsion : il s’amuse à faire le malin aux examens portant sur la résolution d’une cause judiciaire hypothétique. «C’est simple, j’engageais un tueur à gages et je faisais tuer le gars. La cause était réglée, il n’y avait plus de témoins. Le correcteur a dû avoir du plaisir...», glisse-t-il, sourire en coin.
Coup de foudre
Désœuvré, le jeune homme passe une bonne année et demie à se chercher, sans se trouver. Il bourlingue en Europe, étudie la photographie à l’université Ryerson, à Toronto. Un de ses frères lui donne «un bon coup de pied dans le derrière» afin qu’il donne un sens à sa vie. Un orienteur scolaire l’incite à faire de sa passion pour les sports un métier. Il décide de s’inscrire au baccalauréat en enseignement de l’activité physique à l’Université Laval. «Une lumière venait de s’allumer.»
Son diplôme en poche, le jeune Jean-Marie entre au Centre psycho-pédagogique de Québec en 1974, où un autre de ses frères travaille comme psychologue. Il est affecté à la surveillance des élèves et à l’organisation des activités sportives, sur l’heure du midi.
Ç’a été le coup de foudre. Cette gang-là venait de m’accrocher. J’avais toujours eu des problèmes à l’école, mais c’était comme si je m’étais enfin trouvé.
Il décide de retourner à l’université, cette fois pour obtenir un baccalauréat en orthopédagogie. Ce sera suivi d’un certificat en psychopédagogie et d’une maîtrise. Pas mal pour quelqu’un qui n’avait jamais aimé l’école.
D’abord professeur au Centre psycho-pédagogique, M. Guay accédera au poste de directeur général cinq ans plus tard. Au total, il aura passé 36 ans à cette école, avant son départ à la retraite en 2010.
«À la blague, j’ai toujours dit que quelqu’un qui travaille au Centre psycho-pédagogique, il reste six mois ou 20 ans. C’est une vocation. Tu sais tout de suite si tu es à ta place ou pas.»
Des amis pour la vie
Seul établissement du genre dans la région, l’école Saint-François accueille quelque 150 élèves de Québec, Portneuf, la Beauce et Charlevoix, qui doivent faire chaque jour de longs voyages en autobus. On y retrouve aussi des adolescents hébergés en centre d’accueil.
«Avant, ces jeunes-là étaient marginalisés et mis sur la voie d’évitement. Dans une école comme la nôtre, ils se retrouvent avec du monde comme eux, avec des professeurs qui ont fait le choix de carrière de travailler avec des élèves en difficulté. Ils en arrivent à vivre une certaine normalité. Ils peuvent faire partie du conseil étudiant, d’une équipe de sport, faire un voyage scolaire à New York, des activités dont ils étaient exclus avant.»
Des élèves qui ont débarqué à l’école Saint-François, «les deux bras tordus dans le dos, l’un par ses parents, l’autre par la DPJ», Jean-Marie Guay en a vu passer un et un autre. À force d’écoute, le contact finissait par s’établir.
Évidemment, tous ne peuvent être sauvés. M. Guay estime que trois jeunes sur quatre finissent par fonctionner de façon satisfaisante pour devenir des actifs pour la société. «On sauve la majorité, c’est ça qui est important de retenir.»
Certains sont devenus des amis pour la vie. Pas plus tard que la fin de semaine dernière, M. Guay est allé passer une fin de semaine chez l’un d’eux. «Les anciens élèves restent très, très, très attachés à l’école.»
L’écoute avant tout
Depuis dix ans et jusqu’à sa retraite, à la fin de l’année, à l’âge de 70 ans, M. Guay a mis son expertise au service de la Fédération des établissements d’enseignement privés du Québec. «Le gouvernement met beaucoup de pression pour qu’ils acceptent des élèves en difficulté et il a mis les moyens. On a pris conscience qu’il fallait faire quelque chose avec cette clientèle-là.»
Il n’y a pas des centaines de recettes pour donner aux jeunes en difficulté le goût de s’accrocher et de prendre leur vie en main, croit-il. «C’est l’écoute avant tout. Il faut prendre le temps de les écouter. Les grands sermons, ça ne marche pas. Quand le jeune se sent écouté et compris, c’est là qu’on est capable de passer des petits messages. Le lien de confiance est créé.»
Encore davantage quand l’élève était mis au parfum du propre parcours du directeur assis devant lui. «“Tu haïs l’école? que je lui disais. Dis-toi que tu peux pas haïr ça plus que moi quand j’avais ton âge”. Là, on venait de changer la donne», conclut M. Guay.