La mérule pleureuse: des vies empoisonnées par un champignon

Pièces de bois et de béton contaminées à la mérule pleureuse dans le vide sanitaire d’une habitation de Montréal. La poussière brunâtre démontre le potentiel de dispersion des spores du champignon.

Tristesse, désespoir, choc émotionnel, dégoût et répulsion sont des sentiments partagés par seize occupants propriétaires de domiciles contaminés à la mérule pleureuse. Le portrait est sombre; certains ont même pensé au suicide. Un rapport de recherche récemment déposé par deux chercheurs de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) décrit le vécu de ces personnes. Pour ses auteurs, il s’agirait de la première étude à porter sur les répercussions directes et indirectes de ce champignon communément appelé «cancer du bâtiment».


La mérule pleureuse est un champignon qui se nourrit du bois en entraînant sa dégradation, en plus de croître rapidement. Elle se propage aussi dans les matériaux de construction, dont le plâtre, la brique et la pierre.

Un champignon dévastateur

Ce champignon n’est pas seulement dévastateur pour les habitations. Il empoisonne aussi la vie de ses habitants, surtout sur le plan de leur santé mentale. C’est ce qui ressort notamment de la recherche menée sous la direction des professeurs Danielle Maltais et Jacques Cherblanc du département des sciences humaines et sociales de l’UQAC. Commandée par l’organisme Mérule pleureuse Québec, l’étude a été financée par la Société d’habitation du Québec (SHQ) et par l’organisation Mitacs.

«Relativement méconnue, la contamination résidentielle de la mérule pleureuse engendre d’importantes perturbations de la vie quotidienne, une période de deuil éprouvante ainsi qu’un important stress financier en raison des dommages causés aux bâtiments», peut-on lire dans le rapport intitulé «La contamination de sa demeure par la mérule pleureuse: vécu des propriétaires occupants et conséquences sur leur vie personnelle, conjugale, familiale, sociale et professionnelle et leur conception de leur chez-soi».

Partout au Québec

Les seize adultes qui ont participé à l’étude étaient âgés de 32 à 79 ans et étaient majoritairement en couple. La plupart avait pris possession du domicile contaminé entre 2010 et 2020. La majorité de ces résidences étaient construites sur un vide sanitaire. Ces sinistrés de la mérule pleureuse sont issus de diverses régions du Québec. D’ailleurs, de plus en plus de cas sont rapportés partout au Québec. Les plus récents ont été recensés dans les régions de La Mitis, de Portneuf, de la Côte-de-Beaupré, de Chaudière-Appalaches et de Québec.

«À la différence d’une catastrophe comme une inondation, où c’est plusieurs personnes dans un même quartier qui perdent leur maison ou qui sont inondées, les victimes de la mérule pleureuse sont partout au Québec et elles sont souvent très isolées parce qu’elles ne connaissent pas les autres personnes, fait remarquer Mme Maltais, qui est reconnue pour ses études sur les catastrophes naturelles, dont celle sur le déluge de juillet 1996 au Saguenay. Ils ont moins de solidarité de la communauté qu’une personne dont la maison est inondée; celle-ci a du soutien, des personnes vont faire des sacs de sable, vont aider à enlever l’eau du sous-sol ou à décontaminer. On ne retrouve pas ça quand une personne est victime de la mérule pleureuse. Il y a aussi des préjugés par rapport à la mérule pleureuse de la part des voisins, qui ont peur que leur maison soit contaminée. Il y a aussi ceux qui ont peur d’attraper des problèmes de santé s’ils rentrent dans une maison contaminée.»

Chantier de décontamination d’une résidence située à Sainte-Mélanie, dans la MRC de Joliette, qui témoigne de l’ampleur des travaux à exécuter

Sentiment de deuil

Comme presque tous les répondants ne connaissaient rien de la mérule avant qu’ils ne la découvrent chez eux, plusieurs ont ressenti de l’impuissance et ignoraient à qui s’adresser pour obtenir de l’aide. Plusieurs d’entre eux ont été relocalisés temporairement ou de façon permanente. Ils ont vécu des sentiments de deuil, de déracinement, de stress et de profond bouleversement de leurs habitudes de vie. Dans bien des cas, les sinistrés ont été laissés à eux-mêmes, ce qui les a rendus vulnérables. «Ça chamboule la vie entière des personnes qui sont victimes de la mérule», résume la chercheuse.

À tous ces sentiments se sont notamment ajoutés, pour plusieurs, une insécurité économique, un épuisement, une surcharge mentale, des symptômes anxieux et dépressifs. Certains ont rapporté des problèmes de santé physique comme des difficultés respiratoires et digestives. Plusieurs répondants ont traversé des périodes d’isolement social et d’incompréhension de leur entourage. Parmi les difficultés vécues, l’une est commune à tous: les importantes pertes financières.

Recommandations

Les participants à la recherche ont transmis des recommandations. Parmi celles-ci, l’ensemble des victimes de la mérule estime que l’aide financière offerte par le programme de la SHQ devrait être bonifiée, en plus des normes et règlements qui auraient avantage à être clarifiés. Ils souhaiteraient également recevoir une réponse plus rapidement à leur demande de soutien financier. Ils aimeraient aussi que le gouvernement du Québec offre plus de services en soutien psychosocial et qu’il embauche un expert qui pourrait mieux accompagner les bénéficiaires du programme d’aide financière pendant tout leur parcours.

«Les victimes de la mérule souhaiteraient passer par la loi des sinistrés parce que c’est la même chose de perdre sa maison à cause d’une inondation ou à cause de la mérule», ajoute la professeure Maltais, qui souhaite que son rapport et les recommandations qui en découlent puissent faire réfléchir la SHQ.

Le cauchemar d’un couple

Maxime Boivin et Marie-Hélène Cauchon en 2016, en compagnie de leur fille Anna-Ève, devant leur maison contaminée à la mérule pleureuse, avant qu’elle ne soit démolie

En 2016, Le Soleil avait raconté l’histoire d’un jeune couple de la région de Rimouski dont le rêve lié à l’achat de leur première maison avait tourné au cauchemar lorsqu’il avait découvert que le vide sanitaire était contaminé à la mérule pleureuse. Au cours des trois premières années de vie dans sa maison, Maxime Boivin était fréquemment malade. Son médecin et la sage-femme de sa conjointe qui était enceinte, Marie-Hélène Cauchon, avaient recommandé l’évacuation rapide des lieux.

Pendant plusieurs mois, l’homme et la femme se sont retrouvés au bord du gouffre financier. Outre les nombreuses journées de travail manquées et le stress subi, ils devaient continuer à payer leur hypothèque et les taxes municipales de leur maison qui n’était plus habitable ni assurable, en plus de devoir en louer une autre pour se loger, sans compter les milliers $ en honoraires d’avocat.

Création de Mérule pleureuse Québec

La situation de Maxime Boivin et de Marie-Hélène Cauchon étant aujourd’hui entièrement réglée et leur maison ayant été démolie, ils se dévouent maintenant à la cause d’autres propriétaires aux prises avec les problèmes provoqués par la mérule pleureuse. En 2018, afin de faciliter toutes les démarches de ce qui peut paraître comme un véritable parcours du combattant, le couple a créé l’organisme Mérule pleureuse Québec, pour lequel Mme Cauchon assume la direction générale.

À la lumière de l’étude scientifique de l’UQAC, l’organisme envisage de développer de nouveaux services visant à venir en aide aux sinistrés de la mérule. Déjà, des groupes de soutien virtuels ont été mis en place en septembre, animés par deux travailleuses sociales. «L’idée est de permettre aux gens de partout au Québec de se rencontrer de façon virtuelle et d’obtenir de l’aide d’une professionnelle, ce qui est quelque chose qu’ils ne peuvent pas se payer parce qu’ils vivent un stress financier, explique Marie-Hélène Cauchon. Ça brise aussi l’isolement. Ils partagent des informations pertinentes et leur vécu.»