Même au Québec, qui est pourtant un champion de la vaccination anti-COVID, l’hésitation est beaucoup plus forte pour les enfants que pour les adultes. En date du 13 octobre, alors que pas moins de 94 % des 18 ans et plus avaient reçu au moins une dose ou avaient l’intention de le faire, moins des deux tiers des parents d’enfants de 5 à 11 ans disaient qu’ils allaient faire vacciner leurs rejetons, et 37 % affirmaient qu’ils ne voulaient pas (27 %) ou qu’ils hésitaient encore (10 %), d’après un sondage de l’Institut de la santé publique (INSPQ).
«Je pense que ce qui fatigue le plus les parents, c’est qu’ils ont l’impression que la COVID ne provoque pas beaucoup de complications chez les enfants. Et ils n’ont pas tort. Si on regarde les taux de syndrome inflammatoire multisystémique [une inflammation extrême et généralisée qui peut être très grave, NDLR], par exemple, on parle de seulement environ 5 cas par 100 000 [enfants sur un peu plus d'un an. À noter que le risque par infection pourrait être beaucoup plus élevé selon certains travaux, NDLR]», dit Dre Caroline Quach, clinicienne-chercheuse en pédiatrie et en infectiologie à l’Université de Montréal. De manière plus générale, la COVID-19 envoie très peu d’enfants à l’hôpital. D’après un autre rapport de l’INSPQ, pour chaque tranche de 100 000 gamins de 0 à 9 ans, en moyenne 0,2 se sont retrouvés à l’hôpital à cause de la COVID chaque semaine entre février et juillet 2020, ce qui est environ 20 fois moins que la grippe. Cependant, il faut dire qu’il s’agissait de la première vague, qui a peu circulé chez les enfants, les écoles ayant été fermées. En outre, chez ceux qui atterrissent à l’hôpital, la COVID en pousse nettement plus jusqu’aux soins intensifs (13 %) que la grippe (1,2 %). Les enfants peuvent donc quand même faire une COVID sévère, même si les chances sont extrêmement minces.
Comme la menace assez faible pour eux, «c’est clair que le bénéfice du vaccin est moindre chez les 5 à 11 ans que dans les autres groupes d’âge. Alors ça va rendre les notions de sécurité d’autant plus importantes à évaluer», commente le clinicien-chercheur en infectiologie Alex Carignan, de l’Université de Sherbrooke, qui siège lui-même sur le Comité sur l’immunisation du Québec, qui devra éventuellement se prononcer sur la question.
Données «rassurantes»
Mais jusqu’à maintenant, justement, les données sont «tout à fait rassurantes» même si elles sont encore parcellaires, commentent les deux infectiologues. Tant Pfizer que Moderna ont lancé au printemps des essais cliniques sur environ 2200 enfants chacun, dont 1500 devaient recevoir le vaccin et 700 un placebo. Mais comme on s’est rendu compte en cours de route que ces deux vaccins venaient avec un risque faible, mais réel de développer des myocardites et des péricardites (inflammations du muscle cardiaque et de l’enveloppe du muscle cardiaque, respectivement), en particulier chez les jeunes hommes, la FDA a demandé cet été aux deux pharmaceutiques d’augmenter ce nombre à 3000 enfants vaccinés chacun.
Côté efficacité, il semble que la réponse soit excellente, si l’on se fie aux résultats que Pfizer a soumis à la FDA tout récemment et au communiqué émis cette semaine par Moderna. Ni l’un ni l’autre n’a encore produit de résultats concrets en termes de réduction des infections symptomatiques et des hospitalisations, mais ils ont pu mesurer les niveaux d’anticorps générés chez les enfants. En moyenne, ils sont comparables à ce qu’on a observé chez les adultes — et chez eux la protection est excellente.
Sauf que ça, on s’y attendait.
Ce qui embête tout le monde, c’est le risque de myocardite. Ça n’est pas un effet secondaire nécessairement très grave, la plupart des cas se résorbent tout seuls sans laisser de séquelles, mais ça touche le cœur, alors ça frappe l’imaginaire.
C’est d’ailleurs pour cette raison que les deux fabricants ont testé des doses réduites dans leurs essais cliniques sur les enfants : 10 microgrammes (µg) par dose au lieu de 30 dans le cas de Pfizer, et 50 µg au lieu de 100 chez Moderna.
Ni l’un ni l’autre n’a observé le moindre cas d’inflammation au cœur, mais il faut dire que leurs essais cliniques n’étaient pas assez grands pour en détecter. Chez les adolescents et les jeunes hommes de 16 à 25 ans, soit le groupe où les myo/péricardites sont les plus fréquentes après le vaccin, on compte un cas à toutes les 7 à 8000 deuxièmes doses environ. Comme les essais cliniques sur les 5-11 ans ne comptaient que 4 à 5000 participants chacun, ils ne permettent pas de savoir à quelle fréquence cet effet indésirable se produit (voir autre texte).
Cependant, on n’est pas devant rien non plus, insiste Dre Quach. Le fait que les myo/péricardites surviennent plus souvent chez les jeunes adultes que chez les aînés pourrait laisser croire que les enfants en feront encore davantage, mais des données israéliennes indiquent plutôt l’inverse. Là-bas, les garçons de 12-15 ans font deux fois moins de myo/péricardites que les 16-19 ans (8,2 par 100 000 contre 16,5), ce qui suggère que cela pourrait être encore plus rare chez les enfants.
En outre, dit Dre Quach, «dans l’essai clinique pédiatrique [de Pfizer], le profil d’innocuité était meilleur que chez les 16-25 ans. Les ados et jeunes adultes avaient beaucoup plus de participants qui rapportaient des manifestations cliniques inhabituelles, comme la fièvre ou les maux de tête.» Par exemple, alors qu’environ 23-24 % du groupe placebo avaient éprouvé de la fatigue dans les sept jours suivant la deuxième dose, ils étaient 65 % à en ressentir chez les 16-25 ans, contre seulement 39 % chez les 5-11 ans. «Donc quand on regarde ça, on se dit que s’il y a moins d’effet systémique chez les enfants que chez les plus vieux, on devrait avoir moins des autres effets secondaires aussi. Mais je dis bien «devrait» parce qu’on ne peut pas avoir les données qui le montrent avant de faire la campagne de vaccination», explique Dre Quach.
Ce manque de données est évidemment déplorable, mais comme il est impossible de faire des essais cliniques sur des centaines de milliers de personnes, «c’est toujours comme ça quand on lance une nouvelle campagne de vaccination», ajoute-t-elle.
De son côté, Dr Carignan admet sans ambages que ces «trous» dans les données ne rendront pas sa tâche facile quand lui et le reste du Comité sur l’immunisation du Québec devront trancher. «Avec 4000 ou 5000 patients dans un essai clinique, on n’a clairement pas les effectifs qu’il faut pour détecter les effets secondaires rares, dit-il. Donc on aura probablement besoin de plus de données avant de se lancer tête baissée dans une campagne de vaccination des enfants.»
Cependant, le fait que les États-Unis semblent vouloir commencer rapidement la vaccination des 5-11 ans pourrait donner une chance de ce côté. Avant que le CIQ ne soit officiellement saisi de la question, il faudra en effet que Santé Canada donne d’abord son aval, si bien que «quand on va se pencher là-dessus, on a de bonnes chances d’avoir plus de données», espère-t-il.
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L'ESSAI CLINIQUE «GÉANTS»
Si l’on soupçonne que les vaccins à ARN-messager pourraient provoquer des myocardites et des péricardites quelque chose comme une fois par 10 000 ou 20 000 secondes doses chez les 5 à 11 ans, alors pourquoi les essais cliniques de Pfizer et Moderna n’ont-ils porté que sur quelques milliers d’enfants chacun?
Les «essais cliniques» sont ces expériences très rigoureuses par lesquelles on teste les nouveaux médicaments ou vaccins avant de les mettre sur le marché, mais cette rigueur vient avec un coût : autour de 40 000 $ par participant, selon une étude parue en 2020 dans le British Medical Journal – Open. Et ils prennent du temps à mettre en œuvre si bien qu’en pratique, il y a des limites au nombre de gens qu’il est possible d’inclure, surtout quand il s’agit d’un sous-groupe comme «les enfants de tel à tel âge». C’est pour cette raison que l’on teste généralement sur un nombre relativement limité de patients (quelques centaines à quelques milliers), puis qu’on assure un suivi par la suite pour détecter les effets secondaires très rares.
Il y a cependant eu une exception notable en ce qui concerne les vaccins, dit la pédiatre-infectiologue Caroline Quach : les vaccins contre le rotavirus. En 1998, un premier vaccin de la sorte, le Rotashield, a été mis en marché, mais il fut retiré dès l’année suivante parce qu’il provoquait une «invagination» (un bout d’intestin qui se télescope dans un autre bout d’intestin) chez environ 1 patient sur 10 000. «Alors quand un autre candidat-vaccin a été mis au point, ils se sont dit : il faut qu’on soit capable de détecter ça», indique Dre Quach, et l’essai clinique a porté sur presque 70 000 bébés de 6 à 12 semaines.
Or l’invagination est une complication très grave qui demande l’intervention d’un médecin (qui va gonfler l’intestin afin qu’il se «déplie») et parfois une chirurgie, ce qui n’est pas le cas de la plupart des myo/péricardites. Jean-François Cliche
Précision (1er nov) : une version antérieure de ce texte a été modifiée pour clarifier que le taux de 5 cas par 100 000 de syndrome inflammatoire multisystème dont parle Dre Quach est un taux par population, et non pas un risque par infection comme la version antérieure pouvait le laisser croire.