Résiliation du contrat après la naissance: «Pas une demande des femmes»

La réforme du droit familial de Simon Jolin-Barrette est saluée pour la majorité de ses dispositions, à l’exception de celles sur la résiliation d’un contrat par une mère porteuse et celle sur la pluriparentalité.

Saluée pour l’encadrement du recours à une femme porteuse, la réforme du droit de la famille proposée par le ministre Simon Jolin-Barrette soulève des inconforts quant à la possibilité, pour la femme porteuse, de résilier le contrat dans les 30 jours suivant l’accouchement.


Professeur adjoint à l’École de travail social et de criminologie de l’Université Laval, Kévin Lavoie estime que cette disposition ouvre la porte à des scénarios de chantage qui ne reflètent pas les besoins et les priorités des femmes porteuses. « Cette demande ne vient pas des femmes. Souvent, leur réflexion est faite avant de lancer la démarche. D’ailleurs, les femmes qui portent les enfants pour un autre couple ne se considèrent pas comme des mères. Je vois difficilement l’argument pour expliquer cette mesure. »

Les recherches démontrent que ce ne sont pas les femmes porteuses qui changent d’avis en cours de processus, confirme M. Lavoie. « C’est aussi très rare que les parents d’intention se désistent, et quand ça se produit, c’est généralement lié à une séparation. Il faut prévoir des mécanismes pour ce genre de situation. Il y a moyen de penser la réforme pour éviter les brèches. » 

Titulaire de la chaire de recherche du Canada sur la procréation pour autrui et les liens familiaux et professeure à l’Université du Québec en Outaouais, Isabel Côté estime surtout que le « temps de flottement [de 30 jours] pourrait inciter les parents d’intention à limiter les contacts avec la femme porteuse pour éviter qu’elle change d’avis », ce qui pourrait nuire à leur relation.

Isabel Côté est titulaire de la chaire de recherche du Canada sur la procréation pour autrui et les liens familiaux et professeure à l’UQO.

Mona Greenbaum, directrice de la Coalition des familles LGBT+, rappelle pour sa part que la femme porteuse n’a souvent pas de lien génétique avec l’enfant qu’elle porte. Elle qualifie de farfelue une situation où une femme portant l’enfant conçu avec l’ovule et le sperme des parents d’intention déciderait de garder le bébé. « Si elle décide de ne pas donner l’enfant, les questions de la garde seront amenées devant les tribunaux. Je ne pense pas que ce soit dans l’intérêt de l’enfant. »

Mme Greenbaum aurait aussi souhaité la reconnaissance de la pluriparentalité, comme c’est le cas en Ontario, en Saskatchewan et en Colombie-Britannique. « Ces familles existent déjà », plaide-t-elle.

Isabel Côté abonde dans le même sens. « Cette reconnaissance est nécessaire et importante. Le ministre dit que la recherche ne démontre pas que c’est dans l’intérêt de l’enfant de le faire. C’est un phénomène émergent qui fonctionne bien dans les autres provinces. C’est clairement un élément que je vais présenter dans mon mémoire. 



Dans les familles recomposées, des enfants grandissent avec quatre parents de fait et ils ne s’en portent pas plus mal.

Mona Greenbaum déplore par ailleurs un recul pour les personnes trans, qui devront déclarer séparément leur sexe attribué à la naissance et leur genre. « Ça peut mettre des personnes en danger de devoir se dévoiler ainsi. C’est une grande erreur dans la loi. C’est discriminatoire. »

Plusieurs avantages

Malgré ces bémols, plusieurs avantages du projet de loi ont été soulignés. « Nous attendions cet encadrement depuis 2015. On prévoit une rencontre avec des psychologues et des travailleurs sociaux au début du projet, ce qui a toujours été une de nos suggestions. Nous sommes heureux que le contrat entre la femme et les parents d’intention doive être signé devant un notaire », résume Mona Greenbaum.

Isabel Côté, comme Kévin Lavoie, juge elle aussi le projet de loi intéressant pour la gestation pour autrui « notamment pour la rencontre obligatoire avant que la femme soit enceinte pour prévenir en amont les difficultés. Les recherches démontrent que c’est la qualité de la relation entre les adultes qui rend l’expérience positive pour les femmes », note-t-elle.

Mmes Greenbaum et Côté saluent par ailleurs les modifications au Régime québécois d’assurance parentale qui permettra aux parents ayant recours à une femme porteuse de profiter d’un congé parental de 55 semaines. « Le texte de loi sera aussi mieux adapté pour reconnaître les familles homoparentales », précise Mona Greenbaum.

Québec ajoute également la possibilité de maintenir des relations avec l'ex-conjoint du parent. Il établit que le maintien des relations doit être dans l'intérêt de l'enfant et viser des personnes significatives pour lui.

Dans un autre ordre d'idées, le gouvernement souhaite permettre à une personne, sous certaines conditions, de changer dans son acte de naissance son identité de genre et de modifier ses prénoms en conséquence.

Le projet de loi permettrait en outre aux personnes dont le nom a été changé dans un pensionnat autochtone, et à ses descendants, de reprendre sans frais un nom traditionnel autochtone.

Droit à la connaissance des origines

Qui plus est, la pièce législative enchâsse dans la Charte des droits et libertés un nouveau droit à la connaissance des origines pour quiconque est issu d'une procréation impliquant la contribution d'un tiers.

Le but est de permettre à la personne adoptée ou autre de connaître le nom et le profil du tiers, ainsi que les renseignements lui permettant de prendre contact avec lui, à moins qu'il n'ait exprimé un refus de contact.

Le projet de loi donne en plus à l'adopté le droit d'obtenir, à certaines conditions, une copie de son acte de naissance primitif et des jugements ayant trait à son adoption.

Il lui donne le droit d'obtenir le nom de ses grands-parents et de ses frères et soeurs d'origine, accompagnés, s'ils y consentent, des renseignements lui permettant de prendre contact avec eux.

Dès son arrivée au pouvoir en 2018, la Coalition avenir Québec (CAQ) avait promis d'entreprendre une ambitieuse réforme du droit de la famille.

Le précédent gouvernement Couillard avait brièvement jonglé avec l'idée de faire une vaste réforme, avant de battre en retrait devant l'ampleur de la tâche et la complexité des questions soulevées.

La Chambre des notaires réagit

Quelques heures seulement après le dépôt du projet de loi, la Chambre des notaires du Québec a salué dans un communiqué la «remarquable initiative» du gouvernement Legault.

«La société d'aujourd'hui est composée de différents modèles familiaux et ce projet rétablit l'équilibre des protections juridiques pour toute personne les composant.

«L'imposition d'une démarche [...] accompagnée d'un notaire impartial [...] vient témoigner du sérieux accordé [...] à la protection juridique des parties», a souligné la présidente de la Chambre des notaires, Hélène Potvin.