Un mois de plus pour convaincre, vraiment?

En conférence de presse, mercredi, le ministre de la Santé, Christian Dubé a dit croire que le taux de vaccination chez les employés visés par le décret progressera encore d’ici le 15 novembre puisque des «milliers» de Québécois, dont des «centaines» de travailleurs de la santé, viennent chercher une première dose tous les jours.

Le gouvernement Legault fait le pari qu’en repoussant d’un mois la mise en application du décret sur la vaccination obligatoire des travailleurs de la santé, des milliers d’entre eux qui ne sont pas encore protégés contre la COVID-19 iront chercher leur première dose. Des expertes en psychologie consultées par Le Soleil estiment toutefois que cette nouvelle échéance ne suffira pas à convaincre la plupart des travailleurs réfractaires à la vaccination de relever la manche.


En conférence de presse, mercredi, le ministre de la Santé, Christian Dubé a dit croire que le taux de vaccination chez les employés visés par le décret progressera encore d’ici le 15 novembre puisque des «milliers» de Québécois, dont des «centaines» de travailleurs de la santé, viennent chercher une première dose tous les jours.

Depuis la tenue de la commission parlementaire à la fin août, la vaccination de la première dose des employés du réseau de la santé a progressé de 5 %, pour atteindre 96 %, a souligné le ministre Dubé. «Si on continue de vacciner au même rythme que les 50 derniers jours […], ce serait plus de 7000 travailleurs de la santé qui pourraient être vaccinés dans les 30 prochains jours», a-t-il calculé.

La Dre Lucie Opatrny, sous-ministre adjointe à la Direction générale des affaires universitaires, médicales, infirmières, et pharmaceutiques, s’est pour sa part dit d’avis que les récentes annonces des ordres professionnels des médecins, des infirmières, des infirmières auxiliaires, des inhalothérapeutes, des pharmaciens et des sages femmes, qui suspendront le permis d’exercice de leurs membres non adéquatement vaccinés, allaient certainement convaincre des travailleurs de la santé d’aller chercher leurs deux doses. 

Selon Geneviève Beaulieu-Pelletier, psychologue clinicienne, conférencière et professeure associée à l’UQAM, il y a sans doute une portion de travailleurs de la santé «moins radicaux» qui finiront par aller chercher leur vaccin. Mais ce ne sera pas la majorité, à son avis.

«On y était presque à la date [du 15 octobre]. Ce qui veut dire que les gens qui étaient motivés par la peur de perdre leur emploi, ils sont, je crois, pour la majeure partie déjà allés se faire vacciner. Ceux qui restent sont davantage opposés» à la vaccination, croit celle qui participe à plusieurs projets de recherche portant notamment sur les états mentaux et les stratégies défensives émotionnelles.

La spécialiste rappelle que «quand on est dans des normes plus contrôlantes, il y a une grande réaction, ça fait en sorte que ça polarise davantage, et quand les gens sont plus polarisés, plus radicalisés, c’est très difficile après de les faire changer d’idée». 

C’est pour ça qu’il y en a qui sont prêts à perdre leur travail. Pour eux, c’est devenu carrément identitaire de dire : «Je ne me ferai pas vacciner.» […] C’est comme si cette croyance-là les définissait

Selon elle, «pour ces personnes-là, ce n’est pas un mois de plus qui va les faire changer d’idée». «Au contraire, elles pourraient même se dire que le gouvernement n’a pas le choix de repousser la date, que ça ne fonctionne pas, qu’il y a trop de gens pas vaccinés. Ça peut être utilisé négativement cette annonce», entrevoit la psychologue.

L’experte en psychologie sociale Roxane de La Sablonnière ne croit pas non plus qu’il soit «réaliste» de penser qu’en un mois, le gouvernement réussira à convaincre la majorité des 14 000 travailleurs de la santé non vaccinés de se faire piquer.

«Ça prend quand même beaucoup de temps et beaucoup de patience pour convaincre, peu importe le sujet, quand quelqu’un a des positions arrêtées. Il faut prendre le temps de l’écouter avec ouverture, parce que si on se braque, il n’y a aucune communication possible, et c’est un peu ça qui est en train de se passer en ce moment», se désole la professeure au Département de psychologie de l’Université de Montréal.

La spécialiste souligne que «si ça fait un an et demi que vous êtes anti-vaccin, que vous êtes public avec ça sur les réseaux sociaux ou dans votre entourage, et que là, vous devez changer d’idée, c’est dur à admettre, parce que changer son opinion, c’est admettre qu’on a eu tort, et ça, c’est extrêmement difficile à faire».

À l’instar de Geneviève Beaulieu-Pelletier, Roxane de La Sablonnière craint que les travailleurs de la santé non vaccinés se servent de l’annonce du report de l’échéance du 15 octobre «pour se dire que le gouvernement va peut-être encore la reporter d’un mois» le 15 novembre. 

«On comprend pourquoi ils l’ont fait [repousser l’échéance], qu’il fallait éviter des ruptures de services dans le réseau. Mais quand ils annoncent des décisions et qu’ensuite ils changent leur position, ça peut envoyer un message flou. […] Si vraiment le gouvernement tient à son décret sur la vaccination obligatoire des travailleurs de la santé, et que la nouvelle date de mise en application est vraiment dans un mois, il faudrait vraiment qu’il martèle le message, qu’il dise qu’il n’y aura pas un autre mois supplémentaire, parce que ça envoie quand même ce message-là actuellement», dit l’experte en psychologie sociale.

Si toutes les deux jugent qu’il sera extrêmement difficile de convaincre les plus récalcitrants d’aller se faire vacciner, Geneviève Beaulieu-Pelletier et Roxane de La Sablonnière croient que tout n’est pas perdu, pour autant qu’on change d’approche.

«Il n’est pas trop tard pour faire différemment. Si on s’est donné un mois de plus, est-ce qu’on peut essayer de voir différemment, de comprendre l’hésitation ou le refus vaccinal, et d’y répondre d’une façon différente? Est-ce qu’il y a moyen, au sein d’une organisation, d’un établissement, du gouvernement, d’entendre leurs préoccupations, de leur offrir un espace? Juste ça, être à l’écoute, ça permet de recréer un lien et d’offrir des solutions», propose Geneviève Beaulieu-Pelletier.

La psychologue croit également que compte tenu de la grande vulnérabilité du réseau de la santé, on peut réfléchir à des «solutions alternatives» pour ceux qui refuseront envers et contre tous la vaccination.

«Peut-être qu’on peut penser à une solution qui est moins contrôlante. Un test de dépistage rapide tous les matins pour l’employé non vacciné, par exemple, ça peut faire la différence. […] C’est moins contrôlant, et, au final, la personne va peut-être se dire qu’elle est tannée de faire des tests tous les matins et que ce serait peut-être plus simple finalement de se faire vacciner. L’idée en ce moment, c’est d’être créatif, de laisser plus de choix à la personne», suggère-t-elle. 

L’important, dit-elle, c’est d’éviter «les confrontations d’idées et les argumentations». «Si tu fais juste attaquer la croyance d’une personne, ça ne sert à rien, c’est un débat stérile. La personne ne changera pas d’idée, au contraire, elle va se polariser davantage parce qu’elle va se sentir attaquée. Il faut plutôt continuer d’explorer les raisons derrière les refus pour essayer de proposer des solutions.»

Roxane de La Sablonnière est elle aussi convaincue de l’importance de faire preuve d’ouverture envers les personnes qui hésitent ou refusent de se faire vacciner.

«On pourrait essayer de les comprendre, de comprendre quelles sont leurs émotions, de valider leurs sentiments, de trouver des points de similitude… On est tous écoeurés de la pandémie, des mesures sanitaires, des masques… On voudrait tous que le réseau de la santé aille mieux, que nos infirmières aillent mieux. On a tous les mêmes préoccupations, au fond», rappelle l’experte.

Il faut, dit-elle, «amener un dialogue qui pourrait nous aider à avancer, pour que les 14 000 [travailleurs non vaccinés] deviennent 10 000 ou 8000, par exemple». 

«C’est sûr que c’est peu de temps un mois pour y arriver, mais si on y va trop fort avec la coercition, si on poursuit dans la voie du rejet, ça ne mènera à rien. [...] Il faut vraiment qu’il y ait cet esprit d’ouverture, de dialogue, il faut trouver une façon de travailler ensemble vers le même but qui est de sortir de cette crise-là», plaide Roxane de La Sablonnière, consciente que la majorité de la population et des travailleurs de la santé doublement vaccinée en a assez de la minorité qui ne l’est pas et que «tout ça peut paraître utopique». 

«Mais on ne peut pas toujours être dans cette division-là, il n’y a aucun gain à faire ça, ils n’iront pas plus se faire vacciner», insiste-t-elle.