Armes illégales et fusillades: les policiers municipaux demandent qu’on les laisse faire leur travail

Il y a une recrudescence de fusillades liées aux groupes criminalisés.

Devant la prolifération des armes illégales et la recrudescence de fusillades liées aux groupes criminalisés, la Fédération des policiers et policières municipaux du Québec (FPMQ) lance un cri d’alarme. Si les policiers n’ont pas tous les outils pour combattre ce fléau, y compris la capacité de faire du renseignement et des interpellations sans risquer à tout moment de se faire accuser de profilage racial ou social, «nous nous retrouverons dans un cercle où les gangs de rue ne craindront pas les policiers et où les actes violents continueront d’être perpétrés», prévient-elle.


Dans un communiqué diffusé mardi matin, la FPMQ n’y va pas par quatre chemins : soit une guerre au crime organisé est menée de façon concertée et organisée à l’échelle de la province «en donnant les outils adéquats à TOUS les policiers pour le faire», soit notre société devra abdiquer devant les récentes recrudescences de violences. 

«Nous sommes devant des situations très graves de désengagement de nos policiers. L’alimentation du renseignement est un des points névralgiques qui nous aide à combattre l’actuelle prolifération de l’utilisation d’armes à feu ainsi que les fusillades. Si nos policiers ont peur d’être proactifs dans la recherche de ces mêmes renseignements ainsi que dans le cadre de leurs interpellations parce qu’ils ne veulent pas être accusés de faire du profilage quelconque, nous nous retrouverons dans un cercle où les gangs de rues ne craindront pas les policiers et où les actes violents continueront d’être perpétrés», écrit la Fédération dans son communiqué.

En entrevue au Soleil, le président de la FPMQ, François Lemay, a affirmé que le désengagement policier, «on le voit et on le ressent à bien des endroits au Québec». «Ce n’est clairement pas un phénomène qu’on voit juste dans la région de Montréal», a-t-il dit.

«Tempête parfaite»

Selon lui, ce désengagement est né d’une «tempête parfaite» : de la pandémie, qui a affecté tout le monde, y compris les policiers, «des êtres humains d’abord et avant tout», puis de l’affaire George Floyd aux États-Unis, qui a donné lieu à «de nouveaux concepts».

«On a introduit des concepts qui venaient des États-Unis, comme le définancement de la police. Certains groupes de pression ont tenté d’amener ici les mêmes arguments qui étaient amenés aux États-Unis, sans distinction et sans nuances, alors que le Québec et les États-Unis, ce sont deux [mondes] bien différents», déplore François Lemay, qui rappelle, à titre d’exemple, que les policiers au Québec sont formés pendant trois ans en techniques policières avant de passer par l’École nationale de police, «alors qu’aux États-Unis, ce sont souvent des formations de moins de six mois».

«On n’est pas à la même place du tout. Prenez juste les statistiques en déontologie. Sur toutes les interventions policières qu’il y a eu au Québec en 2020, il y a eu seulement 2407 plaintes en déontologie. De ce nombre, 655 dossiers ont été réglés en conciliation parce que les gens se sont parlé et expliqué, et il y a eu 220 enquêtes. De ces 220 enquêtes-là, il y a eu seulement 156 policiers et agents de la paix qui ont été cités à comparaître devant le Comité [de déontologie policière]. Évidemment, on n’a pas les résultats de ces citations-là parce que ça peut prendre des mois avant qu’une décision soit rendue, mais seulement 156 citations sur des milliers et des milliers d’interventions, pour ne pas des millions, ça parle!» illustre encore le policier Lemay. 

«À la croisée des chemins»

Pour le président de la FPMQ, on est au Québec ni plus ni moins «à la croisée des chemins». Les policiers, dit-il, ont besoin, pour assurer la sécurité des citoyens, de l’appui et de la confiance tant des décideurs politiques que de la population. 

«Les armes à feu, elles sont partout au Québec. Et monsieur et madame Tout le monde ont le droit d’être en paix chez eux. Et ces gens-là [du crime organisé], ils nous ont prouvé dans les derniers temps que ça ne les dérangeait pas de faire leurs règlements de compte à n’importe quelle heure, même s’ils mettaient en danger la sécurité de la population», rappelle François Lemay.

M. Lemay insiste : un des meilleurs moyens d’enquête quand on est patrouilleur, c’est l’interpellation.

«À la suite des événements George Floyd, on a décidé d’encadrer au Québec les interpellations. Pourtant, on leur a dit [aux décideurs] que quand ils ont fait ça à Toronto, un an et demi plus tard, on a commencé à voir des fusillades liées aux gangs de rue en plein centre-ville», souligne le policier, selon qui «quand on commence à encadrer le travail policier aussi directement, ça a un effet direct sur la capacité qu’on a de combattre le crime organisé».

Les justifications que les patrouilleurs doivent maintenant donner [pour faire des interpellations sans risquer de se faire accuser de profilage racial ou social] rendent ça tellement compliqué qu’on est en train de se priver d’un des meilleurs moyens d’aider les enquêteurs dans leurs dossiers. Il faut que nos policiers soient en mesure de faire leur travail, d’être proactifs sur le terrain et d’interpeller les gens

Selon lui, la question qui doit être posée, c’est : «Est-ce qu’on laisse les groupes de pression décider, ou on s’occupe des besoins de la population?»

En marge d’une conférence de presse, mardi, la ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, a convenu que «les interpellations, c’est très délicat». 

«Là où je donne entièrement raison à M. Lemay, c’est [à propos de] l’importance pour nos policiers de sentir que leur travail est reconnu et appuyé», a déclaré la ministre, tout en assurant avoir «toujours soutenu le travail policier». 

«Maintenant, le profilage racial ou social, c’est inacceptable, donc il faut quand même mettre en place des actions, et ça aussi on l’a fait. […] Il y a un équilibre à maintenir et il y a des façons de travailler très concrètes», a fait valoir la ministre Guilbault, pour qui les interpellations doivent être «documentées» et non pas être faites «de façon aléatoire». «Mais si quelqu’un est dangereux, il est dangereux», a-t-elle ajouté.

«Une charge sociale disproportionnée»

Le président de la FPMQ a par ailleurs souligné en entrevue que la pandémie avait amplifié les effets des inégalités sociales et les problèmes de santé mentale au sein de la population. Selon lui, on demande aux policiers «de prendre une charge sociale qui est disproportionnée pour les réponses qu’on est capable de donner actuellement».

«Les problèmes de santé mentale, les problèmes de logement [et d’itinérance], ce sont des problèmes pour lesquels on n’a pas de réponses comme policiers. C’est comme société qu’on apporte des réponses, sauf que concrètement, ce sont les policiers et les policières qui font face à ces gens-là au quotidien», rappelle François Lemay.

Pour M. Lemay, deux outils pourraient aider «grandement» les policiers dans leur travail : les caméras corporelles et les pistolets électriques, dont tous les patrouilleurs devraient être munis au Québec, «pas seulement un ou deux policier(s) par relève».  

Dans une situation urgente et dangereuse où les policiers auraient autrement à utiliser leur arme à feu, «s’ils avaient un Taser gun, concrètement, on sauverait peut-être des vies», fait valoir François Lemay.

Le président de la FPMQ mentionne au passage qu’il est extrêmement difficile pour les policiers impliqués dans une intervention policière qui s’est soldée par un décès ou un blessé grave de faire face au Bureau des enquêtes indépendantes (BEI).

Publiquement, note-t-il, «on met toute l’emphase sur l’enquête du BEI, on ne raconte pas ce à quoi les policiers impliqués ont fait face».

«La problématique dans ça, c’est que ça laisse sous-entendre qu’il y a eu une bavure policière» parce que les policiers impliqués ou la direction de leur corps policier ne peuvent parler des événements qui font l’objet d’une enquête indépendante, explique François Lemay. 

«C’est très dur, ça, pour les troupes. Il t’arrive un événement extrêmement difficile, et ton grand boss n’a pas le droit d’en parler. Il y a quelque chose qui ne marche pas», estime M. Lemay.