«Ce qui est unique au monde, c’est le volet de mesures simultanées, où on mesure le son à l’intérieur du navire et, en même temps, le son qui est émis dans l’eau, soutient le directeur de l’Institut des sciences de la mer de Rimouski (ISMER-UQAR), Guillaume St-Onge. Ce sont des ondes cellulaires qui transmettent les données sur terre, à Rimouski. Ça permet de faire des travaux de recherche rapidement à partir des données pour savoir d’où vient le bruit, faire les empreintes acoustiques et travailler avec les armateurs pour trouver des solutions. Tout ça fait que c’est unique au monde.»
Importants partenariats
Une douzaine de personnes s’activent autour de ce projet. Installée à 350 mètres de profondeur, l’infrastructure permet, à l’aide de nombreux hydrophones, de mesurer le bruit généré par les navires appartenant aux partenaires du projet qui ont, à leur bord, une équipe qui mène des travaux. «Quand le navire passe dans la station, on écoute le bruit qui est émis par le navire sous l’eau et, en même temps, grâce à des instruments, on va mesurer d’où vient le bruit à l’intérieur même du navire, explique M. St-Onge. Le projet va permettre de mesurer entre 150 et 200 signatures acoustiques par année.» La station fournira notamment des diagnostics sonores en documentant les sources de bruit et de vibration ainsi que les chemins de propagation. Ces données pourront éventuellement permettre de proposer des recommandations à Transports Canada.
Les volets inhérents à l’acoustique et à la station en tant que telle sont dirigés par l’ISMER-UQAR et le volet visant à instrumenter les navires pour déterminer la provenance du bruit est porté par Innovation maritime, qui est un centre collégial de transfert technologique (CCTT) basé à l’Institut maritime du Québec, situé à Rimouski. De l’avis de Guillaume St-Onge, le partenariat entre une université et un CCTT pour un projet de recherche d’une telle envergure ajoute à son unicité.
Concept de la station
:quality(95)/cloudfront-us-east-1.images.arcpublishing.com/lescoopsdelinformation/G7RIQARV6RDJXOIFQWQ2BLYYXM.jpg)
«Il y a quatre endroits, des mouillages, où on déploie des instruments, décrit le directeur de l’ISMER. C’est un peu comme des portes. Le navire entre par une première porte. Il va sortir et, à 6 ou 7 km plus loin, il y aura deux autres portes.» En fait, ce sont des bouées en dessous desquelles se trouvent différentes sortes d’hydrophones de différentes profondeurs. Le navire de recherche Coriolis II a été utilisé pour le déploiement de la station.
Ayant nécessité des mois de planification, de conception et de concertation, la station transmet des données en temps quasi réel et des mesures vibroacoustiques à l’intérieur des navires. Celles-ci serviront à déterminer les liens entre les signatures acoustiques, les caractéristiques du navire et ses conditions d’utilisation.
Selon M. St-Onge, la station servira de modèle partout dans le monde. «Même si le projet débute, on est déjà en pourparlers avec les gens d’un projet européen scientifique similaire qui tentent d’un peu faire la même chose, mais avec des systèmes en eau peu profonde. Il s’agit d’un gros consortium européen avec différents pays impliqués, dont la France. On a aussi entamé des discussions avec des bureaux de certification. Ils utiliseraient notre station. Donc, on ferait un partenariat avec les sociétés de certification pour passer des navires de leurs clients dans notre station pour déterminer leur empreinte acoustique et voir si le niveau de bruit qu’émettent les navires est en deçà de la norme qui permet aux navires d’obtenir leur certification en lien avec le bruit qu’ils émettent. Ce sont des pourparlers qui sont initiaux, mais qui offrent des possibilités de collaboration pour nos chercheurs et nos étudiants.»
Pourquoi mesurer le bruit?
La combinaison des résultats permettra de trouver des moyens concrets pour réduire l’impact sonore des bateaux sur la faune marine, de les mettre en œuvre et de mesurer leur efficacité. C’est en ciblant les sources du bruit que les chercheurs estiment qu’il pourra être réduit.
Mais, pourquoi mesurer le bruit des navires? «Parce que le bruit sous-marin est une nuisance pour les mammifères marins et dans le Saint-Laurent, il y a énormément de mammifères marins, répond M. St-Onge. Donc, il y a une richesse importante de différentes espèces de baleines et de bélugas. Le son sous-marin peut évidemment déranger le comportement des mammifères marins, il peut empêcher la communication entre les différents individus. Il peut aussi rendre difficile la localisation des proies des mammifères et quand le bruit est très près et très fort, il entraîne un problème physiologique potentiel. Le Canada a reconnu que c’était un problème important auquel il fallait s’atteler. C’est vraiment l’une des raisons pour lesquelles le projet est financé.» Selon le directeur de l’ISMER, 4000 navires marchands naviguent annuellement dans le Saint-Laurent.
Partenaires
Les principaux partenaires financiers du projet sont Transports Canada et le ministère de l’Économie et de l’Innovation du Québec. Canada Steamship Lines, Algoma, Fednav et Desgagnés sont les armateurs qui collaborent au projet, de même que la Société de développement économique du Saint-Laurent.
«Les armateurs sont très proactifs, se réjouit Guillaume St-Onge. Ils sont au courant que les navires font du bruit. Ces quatre compagnies sont vraiment intéressées. Elles contribuent financièrement et avec de l’équipement au projet pour essayer de comprendre d’où vient le bruit et voir comment on peut le diminuer. En diminuant le bruit, on diminue aussi l’impact sur les mammifères marins.» Les entreprises rimouskoises OpDAQ Systèmes et Multi-Électronique ont dirigé le design, la conception et la fabrication des mouillages.
Des suites possibles au projet?
Les travaux de recherche se poursuivront jusqu’au 31 mars 2024. Par la suite, la station pourrait servir à d’autres recherches. «La station enregistre tout le bruit, dont celui des mammifères marins, souligne M. St-Onge. Donc, il y aurait une possibilité de développer des travaux de recherche sur le paysage sonore sous-marin et de développer des liens avec, entre autres, la Chaire de recherche en hydroacoustique de l’Institut Maurice-Lamontagne et de l’ISMER.»
«Donc, on aimerait se servir de l’ensemble de ces données au-delà de la période de financement, continue-t-il. Je suis confiant qu’avec les données qui vont sortir de la station, il y aura encore de l’intérêt pour tout ce qui touche les navires, mais aussi pour le développement de projets de recherche plus fondamentaux, par exemple sur les mammifères marins et en télécommunications, comme la communication en mer et de données à haut débit d’un milieu marin à un milieu terrestre.»