Très abîmées, les fresques des piliers ont été abandonnées [PHOTOS]

Les fresques peintes sur les piliers de l’autoroute Dufferin-Montmorency sont dans un état de dégradation avancé.

«Elles sont en très mauvais état et personne ne s’en soucie. Il y a eu une petite restauration, ça doit faire 10 ans déjà. Maintenant, c’est laissé à l’abandon.»


Instigatrice du projet de fresques peintes sur les piliers de l’autoroute Dufferin-Montmorency au début des années 2000, Hélène Fleury est dépitée. Les œuvres réalisées avec des jeunes marginaux de La Dauphine sont dans un état de dégradation avancé. «Et comme il n’y a pas de volonté, elles restent comme ça, ça continue à se détériorer.»

Tandis que nous nous tenons devant, sur les berges du boulevard Charest Est dans le quartier Saint-Roch, force est de constater que les murales manquent d’amour. Quelques graffitis ont même été colorés dessus, signe que les artistes de la rue n’éprouvent plus le respect d’antan pour les réalisations de leurs pairs. «Pendant de longues années, il n’y a rien eu du tout de peint par-dessus les fresques. Mais là, c’est en si mauvais état que ça ne doit pas les déranger.»

Les fresques peintes sur les piliers de l’autoroute Dufferin-Montmorency sont dans un état de dégradation avancé.

Orphelines, les fresques dépérissent. Sans que les autorités publiques interviennent, puisqu’elles n’apparaissent plus sur leur radar. Le béton qui surgit à travers les tableaux défraîchis, tout comme les coulisses sales qui s’étirent depuis l’autoroute du haut, en témoignent.

«C’est un peu triste de voir qu’il n’y a eu aucune volonté pour restaurer», se désole Hélène Fleury. «Ça fait un peu de peine de voir ça tomber en ruine. […] Il faudrait que quelqu’un prenne ça en main.»

Qui? Les trois principaux intervenants au dossier — la Ville de Québec, le ministère des Transports et la Commission de la capitale nationale — jouent au ping-pong, se renvoient la balle avec une vigueur certaine. 

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PAS LA VILLE DE QUÉBEC



Les fresques ont été peintes sur les jambes de l’autoroute Dufferin-Montmorency.

Concernant les fresques situées sous l’autoroute Dufferin-Montmorency dans Saint-Roch, avez-vous un plan d’entretien? Vous assurez-vous d’enlever les graffitis? 

Le chef d’équipe aux communications de la Ville, David O’Brien, a répondu, catégorique : «Les fresques des piliers et leur entretien relèvent de la Commission de la capitale nationale du Québec. Il faudrait donc voir avec eux.»

Il souligne que la CCNQ a déjà octroyé un contrat d’un peu plus de 54 000 $ à l’artiste Mélanie Guay pour leur restauration. C’était en 2010.

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PAS LE MINISTÈRE DES TRANSPORTS DU QUÉBEC

Une fresque avant son état actuel de dégradation avancé.

Les fresques ont été peintes sur les jambes de l’autoroute Dufferin-Montmorency, propriété du ministère des Transports. Le MTQ serait-il garant?

«Notre rôle, c’est simplement de donner les permissions pour que les gens produisent les fresques», tranche le relationniste et porte-parole Nicolas Vigneault. «Notre rôle se limite vraiment à autoriser ou non d’effectuer des travaux. Le ministère n’assume aucune responsabilité en ce qui a trait à l’entretien.»

Lui aussi pointe en direction de la Commission de la capitale nationale du Québec.

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PAS LA COMMISSION DE LA CAPITALE NATIONALE DU QUÉBEC NON PLUS

Le béton surgit à travers les fresques.

La Commission de la capitale nationale du Québec (CCNQ) pointe, à son tour, vers les deux autres joueurs. 

«Après vérification […], la Commission n’est pas propriétaire des infrastructures (piliers de l’autoroute Dufferin-Montmorency appartenant au MTQ) sur lesquelles les fresques ont été peintes et n’a pas la responsabilité de l’entretien de ces œuvres d’art», certifie le relationniste de presse et conseiller en relations publiques, Jean-Philippe Guay.

Il soutient cependant que la CCNQ a interpellé ses vis-à-vis au sujet des murales : «Ce printemps, nous avons consulté nos principaux partenaires propriétaires des fresques.»

Le MTQ aurait répondu qu’il «ne participe à aucune intervention d’entretien».

Les coulisses sales s’étirent sur les fresques depuis l’autoroute du haut.

Et la mairie de Québec? «La Ville de Québec nous a indiqué qu’il n’y avait pas de recommandation d’intervention d’entretien pour ces fresques. Par contre, la Ville nous dit aussi qu’il n’est pas exclu que ces surfaces soient de nouveau dédiées à la réalisation de projets d’oeuvres murales. Ces projets devront toutefois respecter les critères du Programme de réalisation d’oeuvres murales et de vidéoprojections architecturales mis en place depuis 2019 par la Ville en collaboration avec le ministère de la Culture et des Communications.»

Les fresques pourraient donc être recouvertes par de nouvelles créations, dit-il.

M. Guay nous a ensuite invités à contacter la Ville… qui nous a redirigés vers la Commission de la capitale nationale du Québec.

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Les fresques des piliers portent les noms qui suivent:

  • La Cathédrale et Le Fond marin. (© Hélène Fleury, 2000)
  • Le Conte et La Porte du paradis. (© Hélène Fleury, Denis Jacques et Pierre Laforest, 2001)
  • L’Horloge. (© Zone-Art, 2001)
  • Hommage aux cirques québécois et Le Temple multiculturel. (© Zone-Art, 2002)

Source: Commission de la capitale nationale du Québec

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DES ANECDOTES AVEC LES JEUNES REBELLES!

Les fresques peintes sur les piliers de l’autoroute Dufferin-Montmorency sont dans un état de dégradation avancé.

Des anecdotes, il y en a eu plusieurs avec les jeunes rebelles recrutés par Hélène Fleury et son comparse dans l’aventure, le peintre Pierre Laforest. Notre interlocutrice a fouillé dans sa mémoire pour en ressortir quelques-unes.

-> Comment Hélène Fleury s’est-elle retrouvée avec un groupe de jeunes de la rue ? «Ça vient de la maison Dauphine. J’habitais tout près de là à l’époque et j’avais une amie qui travaillait à la comptabilité.» L’amie l’a invitée : «Je suis allée rencontrer des jeunes. Il y en avait beaucoup qui avaient du talent. Beaucoup étaient intéressés, mais aucun d’eux n’avait de l’expérience.» Elle a trouvé du financement et a pu peintre à partir de l’été 2000.

-> Un local vacant de Saint-Roch s’est transformé en école de peinture durant plusieurs semaines pour la douzaine de jeunes. 

-> «On n’était pas les bienvenus. Les commerçants ne voulaient pas voir trop de punks dans leur environnement.» Mais quand ils ont vu les premières fresques, ils en voulaient d’autres, se remémore M. Fleury.

-> Vers la fin de la réalisation d’un pilier, un des jeunes a écrit en grosses lettres «Fuck la police» au sommet. «C’était quelque part très drôle, mais ça n’avait pas de bon sens!» Après une bonne discussion avec le groupe : «Ils ont été compréhensifs et ils sont remontés ajouter une couche de blanc.»

-> Parfois, il fallait jouer au préfet de discipline. Comme cette fois-là, quand le restaurant Ashton a payé le repas et que les jeunes ont entamé une bataille de nourriture sur la terrasse. On leur a expliqué qu’il ne fallait pas faire fuir les clients !

-> Sur les piliers, des ajouts ont été faits: un Charlie, un homme d’affaire avec un Mickey qui essaie d’attraper un billet de banque, un poulet cuit sur le sol pour exprimer le gaspillage.

-> «Pour souligner le fait que le thème de la cathédrale n’avait pas été choisi pour son aspect religieux, on avait fait un trompe-l’oeil, comme gravé au couteau dans le bois de la porte, qui disait: «Ni Dieu ni maître». Nous avons dû le reprendre à quelques reprises parce que quelqu’un avec des croyances différentes nous le «taguait» dès le lendemain. Nous avons fini par abandonner.»

-> Il paraît que l’archevêché de Québec était bien content qu’une fresque représente une cathédrale. Les vitraux sont inspirés de ceux de l’église Saint-Roch.

-> «À deux reprises, j’ai dû aller chercher des jeunes au poste de police et payer leur caution. Rien de bien méchant, les jeunes étaient rebelles et provocateurs et la police peut-être un peu zélée». 

-> Triste : «Une des jeunes qui devait participer est morte d’une overdose avant qu’on commence.»

-> Les jours de grosse chaleur, les odeurs urbaines, dont celles des poubelles du Métro voisin, mélangées à la pollution du boulevard Charest Est, jouaient avec les nerfs des artistes.

-> «L’expérience a été un défi énorme», laisse tomber Hélène Fleury. «Malgré toutes les embûches, tout le monde s’est donné à fond. Une aventure humaine intense et inoubliable avec des rires et des larmes.» L’expérience de réinsertion sociale par l’art a néanmoins porté fruit. «Après le premier été, quelques jeunes ont formé une entreprise pour continuer à peindre des piliers alors que parallèlement, j’avais formé une autre équipe d’artistes avec qui j’ai travaillé.»