Ne pas se laisser approcher par une infirmière non vaccinée?

«Si moi j’étais un patient dans un hôpital, je n’accepterais pas qu’une infirmière non vaccinée soit proche de moi», a déclaré François Legault, le 16 septembre.

L’affirmation : «J’ai une question concernant une déclaration du premier ministre François Legault. Est-il vrai qu’on ne doit pas se laisser approcher par une infirmière non vaccinée? Est-ce que le risque d’attraper la COVID d’une infirmière non vaccinée est supérieur à celui d’une infirmière vaccinée?» demande Nathali Proulx, de Québec.


LES FAITS

M. Legault a effectivement tenu des propos de la sorte le 16 septembre à la suite d’une conférence de presse où son ministre de la Santé, Christian Dubé, avait martelé que le gouvernement ne reculerait pas sur la vaccination obligatoire du personnel dans le réseau de la santé. Le premier ministre avait alors déclaré : «Si moi j’étais un patient dans un hôpital, je n’accepterais pas qu’une infirmière non vaccinée soit proche de moi.»

Il est difficile de savoir si M. Legault doit être pris au pied de la lettre, ici, ou s’il s’agissait d’une simple «façon de parler». Mais quoi qu’il en soit, voyons ce que vaut l’idée générale qu’une infirmière non vaccinée contre la COVID-19 représente un risque plus grand pour ses patients qu’une infirmière vaccinée.

Il ne fait aucun doute que, de manière générale, la COVID puisse se transmettre dans les hôpitaux, que ce soit à cause des membres du personnel ou des patients. Une brève étude parue ce mois-ci dans la revue médicale britannique The Lancet estime qu’environ 10 % des cas de COVID survenus en Angleterre au cours de la première vague de la pandémie (du début de février à août 2020) ont été contractés dans des hôpitaux. Une autre étude anglaise parue en mars dernier dans eLife a séquencé les virus de 173 patients et travailleurs de la santé, identifiant ainsi huit «grappes» de gens infectés qui s’étaient manifestement passé le virus — les chercheurs le savaient parce que leurs génomes étaient pratiquement identiques. Leurs résultats suggèrent fortement que le personnel soignant joue un rôle (pas le seul «rôle», mais quand même) dans la transmission de la COVID-19 en milieu hospitalier.

Maintenant, il n’y a pas d’étude qui a comparé directement le nombre de patients infectés par du personnel vacciné ou non-vacciné. D’ailleurs, commente le clinicien-chercheur en infectiologie de l’Université de Sherbrooke Alex Carignan, «je dois dire que c’est assez difficile à quantifier. Il est possible que le risque de transmission à partir d’une infirmière non vaccinée, mais testée trois fois par semaine, soit plutôt faible. [...] Je n’ai pas vu de données qui permettraient de quantifier ce risque «par contact». En pratique, cependant, l’obligation de se faire tester trois fois par semaine pour les employés non vaccinés était souvent mal appliquée [les tests n’étaient pas toujours faits]».

Ce qui est pas mal acquis, cependant, c’est que le vaccin réduit le risque de contagion. Pas jusqu’à zéro, certes, il restera toujours une possibilité pour que les vaccinés attrapent le virus et le transmettent. Mais ils ont clairement moins de chances d’être porteurs et, même quand ils le sont, il semble qu’ils soient moins contagieux. Les preuves scientifiques de cela sont encore relativement «limitées», résumait en juin dernier la santé publique de l’Ontario, et il y a bien eu une ou deux études qui ont suggéré que les vaccinés qui attrapent le variant Delta ont une charge virale aussi forte que celle des non-vaccinés, mais quand on considère le portrait d’ensemble, tout indique que les vaccins réduisent bel et bien la contagion.

Ainsi, des travaux publiés dans Nature Medicine dans le New England Journal of Medicine (NEJM) ont conclu que les vaccinés, quand ils contractent le virus malgré tout, ont moins de virus dans les voies respiratoires que les non-vaccinés, ce qui suggère qu’ils sont moins infectieux. Une prépublication (pas encore revue et publié en bonne et due forme, donc a priori moins fiable, il faut le noter) israélienne a également trouvé la même chose chez 11 000 personnes vaccinées, mais qui avaient attrapé le variant Delta cet été.

Ajoutons à cela que les résultats des «études de ménages», qui regardent comment le virus se propage chez les gens habitant un même logement, vont dans le même sens. Par exemple, une équipe anglaise a comparé les taux d’infection chez quelque 960 000 personnes habitant sous le même toit que des gens non vaccinés qui avaient la COVID-19, avec le taux d’infection chez plus de 9000 personnes qui vivaient avec des vaccinés qui avaient contracté le virus. Résultat : «dans l’ensemble, la probabilité de transmission était entre 40 et 50 % plus basse dans les ménages où [la personne infectée] avait été vaccinée», écrivaient les auteurs de l’étude.

Des travaux écossais parus ce mois-ci dans le NEJM au sujet de 194 000 personnes vivant avec des travailleurs de la santé ont obtenu des résultats comparables : dans ces ménages, le risque d’attraper la COVID était de 30 % moindre après que le travailleur de la santé eut reçu sa première dose de vaccin, et de 54 % moindre après la seconde dose. Il est possible qu’une partie de cet effet s’explique par la vaccination générale de la population (un facteur que cette étude-là n’a pas pu contrôler), mais cela va tout de même dans le même sens que le reste : tout indique que la vaccination réduit la transmission.

Alors il serait extrêmement étonnant qu’il n’en soit pas de même pour les infirmières sur leur lieu de travail. Encore une fois, comme le dit le Dr Carignan, on peut imaginer qu’une infirmière non vaccinée, mais qui observerait scrupuleusement par ailleurs toutes les autres règles sanitaires (masque, tests trois fois par semaine, etc.), ne serait pas énormément plus contagieuse qu’une infirmière vaccinée. Ce n’est pas déraisonnable. De ce point de vue, si l’on prend la déclaration du premier ministre au premier degré, elle peut paraître un brin exagérée.

Mais il reste qu’en fin de compte, rappelle le Dr Carignan, «parmi les mesures que peut utiliser un travailleur de la santé pour protéger les patients, la vaccination est certainement l’une des plus simples, avec une efficacité importante. Je pense qu’il fait partie de notre devoir de travailleurs de la santé de rendre le risque minimal pour nos patients vulnérables. Une éclosion bien médiatisée en hémato-­oncologie à l’hôpital où je travaille nous l’a d’ailleurs bien rappelé [cinq décès liés à des travailleurs non vaccinés]».

VERDICT

Peut-être un peu exagéré. En principe, une infirmière non vaccinée, mais qui est testée trois fois par semaine, représente un risque qui n’est probablement pas beaucoup plus grand qu’une infirmière vaccinée. Mais en pratique, les tests obligatoires ne sont pas toujours faits, et il est raisonnablement bien établi que la vaccination réduit le risque de transmission, alors tout indique que les infirmières non vaccinées font courir un risque plus grand aux patients, même si on n’a pas encore mesuré à quel point.

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