Qui sommes-nous?

POINT DE VUE / L’idée m’est venue de donner mon opinion en lisant celle de Konrad Sioui exprimée dans son texte intitulé Brûler le passé, dans Le Soleil du samedi 18 septembre 2021, à propos d’une énervée qui faisait brûler des livres. Je suis en parfait accord avec lui qu’aucun peuple n’a à tolérer que qui que ce soit qui ne partage pas leur culture ait l’arrogance de prétendre le définir. Je suis aussi d’accord avec sa conclusion que les Québécois sont des alliés objectifs naturels des Premières Nations dans la défense de nos cultures et langues respectives.


Son texte m’a fait me poser la question en titre. On dit souvent de nous-mêmes que nous sommes les «Francophones». J’ai même plusieurs fois lu et entendu nos propres politiciens et chroniqueurs nous nommer le «peuple francophone». Vraiment!

Il y a environ 300 millions de francophones sur la planète. Curieusement, hormis la langue commune, je cherche en vain quelles valeurs communes je partage avec ce « peuple francophone » universel. En fait, ces 300 millions d’individus sont regroupés en un grand nombre de cultures locales, chacune enracinée dans sa propre histoire, qui a forgé leur ensemble local de valeurs culturelles. Un peuple se définit principalement par sa langue, bien sûr, mais surtout par sa culture.



Pour savoir qui on est, il faut savoir d’où l’on vient. Personnellement, je sais très bien d’où je viens. Ma mère était acadienne, née aux États-Unis, descendante de réfugiés qui fuyaient les mauvais traitements des colons britanniques dans les années 1700 et à qui les autorités du Maine ont donné des terres. Mon père était canadien-français, née au Québec, descendant d’un colon français à qui on a confié une terre près de Québec dans les années 1650. Je suis canadien-français de culture, et j’ai donc des liens d’affinité très directs avec les deux peuples francophones d’Amérique du nord.

Mais qu’est-ce donc que cette culture qui nous différencie des autres peuples francophones ? Les acadiens le savent très biens dans leur cas, et ils la célèbre joyeusement chaque année à de multiples occasions. Ils célèbrent l’héritage culturel que leur histoire a forgé, leurs valeurs communes.

Je me souviens que les canadiens-français aussi célébraient joyeusement à chaque année notre héritage culturel, lequel, au-delà du langage populaire, était fondé sur une maitrise formelle de notre langue, pour laquelle même les commentateurs sportifs avaient le plus grand respect, sur notre histoire enseignée au secondaire, et sur la grande littérature classique issue de l’héritage socioculturel occidental dont notre culture est issue.

Pour certains d’entre nous, la culture ça veut dire principalement un haut niveau de maîtrise du français, pour d’autres une connaissance approfondie et un amour de la littérature classique. Pour d’autres encore c’est la production littéraire et artistique propre à notre culture, allant de la poésie si touchante des Leclerc, Vigneau, Ferland, etc., à celle de nos interprètes hors pair, Céline, Lara, Jerry, Marjo, etc., au talent de nos musiciens incomparables, Léveillée, Hill, etc., de nos grands comédiens, Brathwaite, Côté, Messier, etc., de nos scientifiques de haut niveau, Reeves, Marmet, Kerwin, etc., de nos grands sportifs, JSP, Lemieux, Lafleur, etc., de nos humoristes de talent, jusqu’aux parodies auto-dérisives extrêmes de « la Petite vie », dont certains épisodes nous font tellement rire, héritage moderne du vaudeville des tournées historiques de Jean Grimaldi, etc., etc.



Dans mon cas, c’est aussi l’accès privilégié que nous donne notre langue aux importantes connaissances scientifiques européennes de la première moitié du 20e siècle qui n’ont toujours pas été traduites en anglais. Peu de gens sont conscients que durant cette période les chercheurs les plus avancés dans certains domaines étaient français, allemands, russes, et que certaines de leurs découvertes sont encore inconnues et non redécouvertes par la communauté scientifique anglo-saxonne, particulièrement en pédagogie et sciences connexes. Bref, j’aime tout de notre culture.

Comment sommes nous donc devenus de simples « francophones », dont la dernière génération ignore tout de notre histoire et de notre héritage littéraire et scientifique européen parce qu’on ne les leur a jamais enseignés, et dont plus de la moitié est considérée fonctionnellement illettrée par l’OCDE? Nous sommes en voie de devenir un peuple de 9 millions de « francophones » au Canada sans culture spécifique, que les 13 millions de descendant de la diaspora canadienne-française aux États-Unis ne réussi plus à identifier comme étant la culture dont ils sont issus.

Lors de la réforme Parent des années 1960, on a cessé d’exiger l’apprentissage du français jusqu’à l’autonomie en lecture dès la première année du primaire, qui était obligatoire et très surveillé avant la réforme, ainsi qu’une maîtrise plus avancée ensuite, dorénavant délaissée. S’ensuivit des générations d’enfants aux connaissances approximative en français dont furent issus dans les années 1980 les premières générations d’enseignants aux français approximatif, incapables de comprendre et d’enseigner les grands classiques de la littérature et d’expliquer notre histoire, ce qui conduisit à la disparition de ces cours jugés dorénavant trop difficiles, y compris celui de l’histoire de notre peuple, une situation qui n’a fait qu’empirer par la suite.

Comble de l’inconscience, notre Ministre de l’enseignement supérieur s’apprête maintenant à interdire l’enseignement de l’histoire de la civilisation occidentale, dernier pilier restant des trois piliers de notre culture.

Pour que nous redécouvrions qui nous sommes et pour que notre culture survive, il faut qu’après 60 ans de dérive hors de contrôle, nos Ministres successifs de l’enseignement supérieurs commencent enfin à s’entourer de pédagogues compétents qui aiment notre culture, qui leurs conseilleraient une réintroduction de l’enseignement du français jusqu’à une autonomie minimale en lecture dès la première année avec perfectionnement ultérieur, comme cela se faisait avant la réforme et comme cela se fait dans toutes les cultures qui contrôlent bien le niveau de littératie de leur population, une réintroduction de l’enseignement de notre histoire et le maintien de l’enseignement de l’histoire de la civilisation occidentale et de sa littérature classique.

C’est à ce prix que notre culture survivra et qu’un jour, nous célébrerons de nouveau joyeusement l’héritage culturel de notre notre peuple.