À la suite de son passage remarqué à l’émission Y’a du monde à messe en août dernier, j’ai eu envie de m’entretenir avec Alain Roy, professeur titulaire à la faculté de droit de l’Université de Montréal. Le professeur Roy est spécialiste en droit de l’enfant et de la famille, mais c’est surtout à titre de défenseur des droits des animaux qu’il s’est adressé à moi. Dans mes chroniques, je vous ai souvent parlé d’éthique animale, mais je ne me souviens pas vous avoir parlé de droit animalier. Les deux domaines étant intimement liés, il m’est apparu intéressant d’en discuter avec le professeur Roy afin qu’il nous fasse profiter de son expérience et de son expertise.
À noter que ce texte n’est pas un compte-rendu exhaustif de mon entretien avec le professeur Roy, mais constitue plutôt un plaidoyer en faveur des droits des animaux. Pour ce faire, je me suis simplement inspiré de notre discussion et des diverses prises de position publiques du professeur Roy.
« L’animal est l’enfant des temps modernes », voilà une affirmation qui a de quoi surprendre, pour ne pas dire choquer, mais le professeur Roy l’assume totalement. Pour en saisir la signification, il faut d’abord se référer à l’étymologie du mot enfant, qui nous vient du latin « infans », ce qui signifie « celui qui ne parle pas [encore] ». Puisqu’ils sont sans voix, les enfants ont longtemps été considérés comme des êtres inférieurs, non comme des personnes à part entière. Ils étaient entièrement subordonnés à l’autorité de leur père qui pouvait en disposer comme bon lui semble. Les choses ont bien changé depuis, mais le fait est que ce sont aujourd’hui les animaux qui vivent semblable discrimination. Sans voix, ils n’ont pour ainsi dire aucun moyen de se défendre contre l’oppression que nous leur faisons subir.
En 2015, une petite révolution s’est pourtant amorcée au Québec. En effet, avec l’adoption de la Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal (communément appelée « loi BÊSA »), le législateur a procédé à une modification du statut juridique de l’animal, le faisant passer de « bien meuble » à un « être doué de sensibilité ayant des impératifs biologiques ». C’est un changement majeur qui implique que l’être humain a désormais une responsabilité morale et juridique à l’égard des animaux qui sont sous sa « tutelle ». Il doit veiller au bien-être et à la sécurité de ceux-ci.
Mais concrètement, qu’est-ce que cela a changé? Pour l’instant, pas grand-chose. Le professeur Roy déplore d’ailleurs que tous ne semblent pas forcément avoir saisi tout le sens et toute la portée de cette loi. Par exemple, n’est-il pas absurde que le gouvernement du Québec continue de subventionner certains événements comme les rodéos qui soumettent les animaux à des traitements pouvant affecter leur santé et leur bien-être?
D’après le professeur Roy, cette contradiction est le résultat d’une confusion entre les concepts d’animaux domestiques et d’animaux de compagnie. Tout porte à croire qu’en adoptant la loi BÊSA, certains n’avaient en tête que les usines à chiots, ou plus largement les animaux de compagnie. Mais la loi parle bien d’animaux domestiques, ce qui, au sens large, s’applique à tous les animaux qui ont été domestiqués par l’espèce humaine. Cela inclut, par exemple, les chevaux de calèche, mais aussi les cochons, les poules et les vaches que nous utilisons pour l’élevage.
En principe, la loi BÊSA devrait donc s’appliquer à tous les animaux qui sont sous la tutelle de l’espèce humaine, c’est-à-dire qui sont dépendants de l’attention et des soins que nous leur prodiguons. Mais tel n’est malheureusement pas le cas actuellement. En effet, certaines dispositions de la loi BÊSA offrent une forme d’exemption en ce qui concerne les animaux d’élevage et les animaux de laboratoire. Comme quoi, comme l’a si bien écrit George Orwell dans La Ferme des animaux, « tous les animaux sont égaux, mais certains sont plus égaux que d’autres ».
Allons-nous un jour en finir avec toute cette souffrance et ces inégalités dont les animaux sont victimes? À cette question, le professeur Roy répond prudemment: « Nul ne connait l’avenir, mais chose certaine, nous sommes encore loin de la révolution juridique dont les êtres animaux ont vraiment besoin ». Les militants pour les droits des animaux devront donc s’armer de patience, mais ils ont néanmoins des raisons d’être optimistes. Militant lui-même, le professeur Roy est un observateur privilégié des progrès sociétaux qui ont été accomplis dans les dernières décennies. Plus que jamais, dit-il, la question animale tend à s’imposer dans les débats publics et le véganisme a le vent en poupe. Signe que le changement semble bel et bien en marche.