Selon Vincent Larivière, professeur titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les transformations de la communication savante, «le plagiat est assez présent. Évidemment, on a l’impression qu’il en a de plus en plus. Le numérique a fait en sorte que c’est plus facile. Maintenant qu’on a davantage d’outils pour les détecter, c’est difficile de savoir s’il y en a plus ou si c’est juste qu’on en trouve plus.»
Il arrive que le plagiat provienne de l’oubli des guillemets et du référencement lors d’une action de copier-coller, mais aussi de la traduction d’une étude. Le professeur de l’Université de Montréal cite l’exemple d’un chercheur anglophone qui trouverait la recherche d’un collègue espagnol, en ferait la traduction et la publierait à son nom.
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Un phénomène également observé est l’autoplagiat dans les articles publiés dans des revues scientifiques.
«Dans un article scientifique, idéalement, ça va être du contenu original du début à la fin. Donc vous ne pouvez pas reprendre un article que vous avez déjà écrit ailleurs. On demande aux chercheurs d’être le plus productif possible, reproche M. Larivière, alors pour avoir l’air d’écrire davantage, certains vont s’autoplagier.»
La pression sur les scientifiques peut venir des universités, des bailleurs de fonds et même du milieu, qui est très compétitif. Il y a beaucoup de candidats pour devenir professeur, mais peu d’élus.
Seulement 3 % des doctorants y arrivent, évoque Vincent Larivière. Ensuite, la compétition se transporte ailleurs, là où les chercheurs se battent pour du financement. Environ 15 % des projets de recherche sont financés.
Tout dans le système fait en sorte que, si on a une tendance à avoir une certaine déviance, on va peut-être prendre le mauvais chemin.
Le gain potentiel à plagier peut-être élevé mais les conséquences peuvent être graves. Le chercheur peut perdre son emploi.
Fraude
Plusieurs cas sont connus à travers le monde, dont un au Québec. Professeur au collège de médecine de l’Université du Vermont, l’Américain Eric T. Poehlman s’apprêtait à faire son entrée à l’Université de Montréal. L’UdeM ne savait pas qu’une enquête sur une fraude alléguée était en cours de l’autre côté de la frontière lorsqu’elle l’a engagée.
Le professeur a plaidé coupable en 2005 d’avoir obtenu frauduleusement du financement en fabricant des données sur la ménopause, le vieillissement et le remplacement hormonal, rapporte le Canadian Medical Association Journal.
Une liste de cas connus de chercheurs coupables d’avoir fraudé est disponible sur le site Retraction Watch.
Le plus «célèbre» est l’anesthésiste japonais Yoshitaka Fujii, qui a fabriqué des données dans au moins 183 articles scientifiques.
Le cas du Néerlandais Diederik Stapel a aussi été médiatisé, alors qu’il avait falsifié des données, mais aussi mené des études sans participants, remplissant lui-même les questionnaires qui leur étaient destinés, racontait-on dans Le Monde en 2012.
Cet ancien professeur a reconnu ses torts et raconte, dans son autobiographie, comment ses petites tricheries se sont amplifiées, au point de perdre le contrôle de sa vie et de ruiner sa carrière.
Chargé de cours à l’Université Concordia, ainsi qu'à McGill, où il est président du syndicat des chargés de cours et des instructeurs, Raad Jassim doit rapporter tout plagiat à la vice-doyenne du département. Rencontré à Stanstead Est, en Estrie, où il a un pied-à-terre, il cite en exemple le cas d’un étudiant qui a utilisé les services d’une entreprise américaine pour tricher.
«Le vice-doyen prend cette information, engage un professeur de discipline pour juger le cas. Il cherche toutes les preuves, communique avec l’étudiant et une accusation est portée contre lui. Il a le droit de consulter un des avocats pour étudiants.»
Le professeur qui a découvert le plagiat ou la tricherie est aussi impliqué dans le processus, qui peut s’échelonner jusqu’à un an dans certains cas.
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«Ça me brûle, le temps que je mets là-dedans... Il faut chercher toutes les informations, répondre aux questions du vice-doyen. Quand tu vas en cour, il faut avoir toutes les preuves. C’est long. J’imagine que ce n’est pas tout le monde qui fait des plaintes de la sorte.»
Avocat spécialisé en marque de commerce et en droit d’auteur, Laurent Carrière convient que le processus peut être lourd et qu’il ajoute une charge de travail importante aux professeurs.
«Pour des raisons que je ne comprends toujours pas, les professeurs ou les institutions sont généralement très laxistes, observe Me Carrière. Ils vont trop souvent donner une chance au coureur, alors qu’il s’agit clairement et simplement de copie.»
Pour Me Carrière, quand la politique académique est enfreinte, il doit y avoir dénonciation.
Évidemment, les enseignants n’aiment pas ça, parce que c’est beaucoup de trouble, mais ils doivent dénoncer.
Dès ses premières années d’enseignement, à la fin des années 1970, Me Carrière découvrait des cas de plagiat parmi ses étudiants, ironiquement, en tant que rédacteur en chef des Cahiers de propriété intellectuelle.
«La vie des gens entre leurs mains»
Un peu plus d’une vingtaine d’étudiants sont pris en flagrant délit de fraude scolaire, chaque année, au Cégep de Chicoutimi. Une légère hausse depuis quatre ans, qui s’explique surtout par une surveillance accrue des enseignants, estime le directeur des études, Christian Tremblay.
Contrairement à la tricherie pure, qui va de l’étudiant qui copie la feuille de son voisin à celui qui écrit les réponses sous ses souliers, l’établissement donne plus de chances aux étudiants accusés de plagiat. La note de 0 est donnée en cas de tricherie, alors qu’une « pénalité » de 50% de la note est imposée dans le cas de plagiat, par exemple le traditionnel « copié-collé » pour un travail.
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Pour éviter la fraude scolaire et surtout assurer la sécurité de la population en formant adéquatement les infirmières et pilotes d'avion de demain, le Cégep de Chicoutimi a modifié ses façons d’évaluer les étudiants au cours des dernières années.
« On a fait le virage de l’évaluation par compétences plutôt qu’uniquement par connaissance. Dans les programmes où les étudiants auront la vie des gens entre leurs mains, on peut certifier qu’ils ont les compétences. Dans les examens écrits, par exemple, il y a plus de mises en situation, donc il est pratiquement impossible de copier une réponse d’un voisin. Nous avons aussi plus d’heures de laboratoire, de pratiques.
« Il y a aussi la notion du double seuil qui a été ajoutée, explique le directeur des études du cégep chicoutimien. C’est-à-dire que l’étudiant doit réussir autant dans la pratique que dans la théorie. »
Vieux comme le monde
Le plagiat, la fraude et la tricherie existent depuis la nuit des temps, rappelle François Guillemette, professeur titulaire au département des Sciences de l’éducation l’Université du Québec à Trois-Rivières. Se basant sur la prémisse que l’être humain «ne peut pas apprendre à ne pas faire quelque chose», le chercheur émérite n’hésite pas à qualifier de «fausses pistes» les initiatives de prévention largement répandues dans le monde de l’éducation.
«Viser la prévention n’est pas une bonne idée. Un bon enseignant fait la promotion du respect de la propriété intellectuelle, de l’honnêteté dans la mobilisation des productions des autres, de la reconnaissance des contributions de chacun. Et, à partir du secondaire, l’école doit enseigner la méthodologie du travail scolaire, notamment la manière de citer ses sources», soutient le titulaire de deux doctorats.
Dans la même veine, le spécialiste considère que les approches préventives peuvent avoir l’effet inverse de celui escompté.
«Il y a des stratégies de prévention du plagiat qui sont de très bons enseignements pour quelqu’un qui veut apprendre à plagier ou à frauder», dit-il.
Pour lire notre dossier complet sur le plagiat
JOUR 1: «Augmentation horrible» de la tricherie et de plagiat dans nos écoles