La pandémie a été particulièrement dure pour les ados souffrant de troubles alimentaires

Cela fait plus d’un an que l’on craint que le stress de la pandémie et de la distanciation sociale finisse par peser sur la santé mentale des jeunes. Et des chercheurs montréalais viennent d’identifier un groupe pour qui les 18 derniers mois ont été particulièrement difficiles : les ados souffrant de troubles alimentaires (anorexie, boulimie, etc.).


Une équipe dirigée par Drs Nicholas Chadi et Olivier Drouin, tous deux rattachés à l’Université de Montréal, a compté les visites à l’urgence causées par des troubles de santé mentale chez les 12-17 ans pendant toute l’année 2020 au CHU Sainte-Justine et à l’Hôpital pour enfants de Montréal. Leurs résultats ont été publiés récemment dans le Journal of Adolescent Health. Comme d’autres études, ils ont observé une forte baisse des visites au printemps 2020 (entre 40 et 70 %), suivie d’une hausse marquée. Pendant la deuxième moitié de 2020, le nombre de consultations aux urgences psychiatriques par des ados s’est maintenu légèrement, mais continuellement au-dessus de la moyenne des années 2018-2019 (autour de 10 à 20 % de plus, ça variait d’un mois à l’autre), mais l’écart était dans l’ensemble trop faible pour être significatif d’un point de vue statistique.

Or pour les visites à l’urgence causées par des troubles alimentaires, la hausse fut spectaculaire : 62 % de plus que la moyenne, ce qui est très significatif. «On a continué à collecter des données pour voir ce qui se passe en 2021, et pour les six premiers mois de cette année, la tendance se maintient, avec encore une fois une grosse augmentation pour les troubles alimentaires», a ajouté Dr Chadi, qui est le premier auteur de l’étude, lors d’une entrevue.

Alors pourquoi est-ce que l’anorexie, la boulimie et les autres problèmes apparentés ont poussé tellement plus d’ados vers les urgences que les autres troubles mentaux ? Les mécanismes derrière tout ça n’ont pas encore été bien élucidés, mais Dr Chadi suggère que «étant moi-même clinicien dans un programme de troubles alimentaires, je pense que ce qui a été marquant au début de la pandémie, c’est que les jeunes ont passé énormément de temps sur leurs écrans et sur les réseaux sociaux. Et on sait que le déclencheur des troubles alimentaires, c’est souvent la comparaison avec d’autres, alors quand on passe plus de temps que d’habitude à regarder des vedettes et des modèles au corps mince, et quand en plus on perd sa routine et ses activités physiques, ça peut être la goutte qui fait déborder le vase et qui va mener un ado à l’urgence».

Psychiatre de l’enfance et de l’adolescence, et responsable de la clinique des troubles alimentaires des moins de 18 ans du CIUSSS de la Capitale-Nationale, Dre Nathalie Gingras (qui n’a pas participé à l’étude) dit avoir constaté sur le terrain exactement les mêmes tendances que celles qui se dégagent de l’article de Dr Chadi. Elle ajoute que le phénomène a également été observé ailleurs dans le monde, notamment dans des études australienne et italienne.

Une autre explication possible à cette vulnérabilité plus grande des ados souffrant de troubles alimentaires est que «c’est difficile de faire un suivi à distance avec ces gens-là, enchaîne Dre Gingras. Ils ne reconnaissent pas toujours leur maladie et il faut suivre aussi certains paramètres physiques. Et là, on s’est mis à faire de la télémédecine, ce qui a eu des avantages pour certains, mais ça a compliqué le suivi des troubles alimentaires. [...] Et une autre chose à considérer, c’est que les gens qui font des troubles alimentaires sont souvent plus insécures que la moyenne. Alors ils se font un cadre rigide avec l’école, un régime d’entraînement, etc. Tout le monde a besoin de ça, mais c’est particulièrement important pour eux et là, tout d’un coup, ils se sont retrouvés sans cadre.»

Professeure à l’École de psychologie de l’Université Laval, Isabelle Denis, qui n’a pas participé à l’étude elle non plus, la qualifie pour sa part de «très intéressante». Selon elle, la baisse des visites à l’urgence pour des causes psychiatriques du printemps 2020 pourrait s’expliquer par le fait que «les jeunes ont eu, à ce moment, une certaine baisse de « pression » ou de stress reliée à leurs activités habituelles (p.ex., école, activités parascolaires, travail, etc.), ce qui semble avoir eu pour effet de diminuer certains symptômes associés à la santé mentale, notamment l’anxiété.»

Le rebond qui a suivi pourrait quant à lui être dû au stress venant de l’adaptation aux mesures sanitaires. Plusieurs «études démontrent également que le stress des parents a une influence très importante sur le stress des enfants», précise Mme Denis.