«À toutes les fois qu’on fait un pas en avant, en fait c’est deux en arrière», soutient Cyril Frazao, directeur exécutif de Nature Québec, en conférence de presse devant le chantier de la future maison des aînés (MDA) sur la rue de l’église. C’est une bonne chose que le gouvernement aménage des endroits tout neufs pour loger nos aînés, dit-il. Toutefois, cela devrait être fait en accord avec la nature et les citoyens du quartier, ce qui n’a pas été fait dans ce cas précis selon lui.

Le 15 avril dernier, plusieurs arbres matures présents sur le site ont été abattus pour faire place à l’éventuelle construction. Au total, c’est 70 des 107 végétaux recensés qui ont été rasés. Raison évoquée alors par le CIUSSS : La plupart des arbres souffraient de maladies.

Selon les citoyens du quartier qui avaient parlé au Soleil en avril, le gouvernement les a tout simplement mis devant un fait accompli.

Les habitants du quartier de Saint-Louis se sont donc mobilisés pour protéger les arbres qui n’avaient pas encore été supprimés. Ils ont fait pression sur le gouvernement pour que la situation soit réévaluée. Le 19 avril 2021, un arrêt temporaire de la coupe a été décrété et une firme de consultation en arboriculture et en foresterie urbaine a été mandatée afin de déterminer la condition des arbres restants.

Le rapport en question, daté du 2 juin 2021, est disponible sur la page du projet de maison des ainés de Sainte Foy, sur le site internet du CIUSSS-CN de la Capitale nationale. Selon ce rapport, 23 végétaux sur les 45 qui étaient encore debout étaient en bonne santé. Seuls deux arbres malades devaient être abattus immédiatement.

Pourtant, seuls sept arbres matures sont toujours debout sur le site.

Huit arbres malades

Retour dans le temps. En date du 30 avril 2021, le gouvernement annonce sur le site du CIUSSS que «la suspension de la coupe des arbres est toujours en vigueur et aucune nouvelle coupe d’arbre ne sera faite jusqu’à ce que la Société québécoise des infrastructures (SQI) ait obtenu une nouvelle analyse arboricole […]». Cette annonce est faite à la suite de la pression du voisinage.

Pourtant, quatre jours plus tard, le gouvernement annonce sur le même site internet qu’un thuya occidental (communément appelé haie de cèdres) devra être retiré, le lendemain 5 mai, «afin de permettre le début des travaux de démolition du presbytère prévus cette semaine». Quelques lignes au-dessous, on peut lire que les conclusions de l’analyse arboricole sont toujours attendues.

«Nous avons eu la confirmation de l’arboriculteur qu’il n’était pas possible de relocaliser cette haie […] Cette haie était sur l’implantation du projet et il était requis de le retirer afin de compléter les travaux de démolition», a déclaré par courriel Martin Roy, le porte-parole de la SQI.

Six jours avant que le rapport arboricole soit disponible au public, soit le 28 mai 2021, le gouvernement annonce sur le site que sa décision est déjà prise : «20 arbres […] devront être coupés […] pour des raisons d’empiétement sur le nouveau bâtiment, notamment l’espace réservé aux véhicules de livraison, afin d’éviter d’encombrer la voie publique durant leurs manœuvres».

«Vingt-deux seront finalement préservés ou déplacés, soit le double que ce qui était prévu initialement», affirme aussi la déclaration. Ce qui n’est pas dévoilé dans cette déclaration, c’est que seulement neuf arbres de ce lot sont des végétaux matures. Les 13 autres qui seront conservés sont de jeunes spécimens.

La mobilisation citoyenne et l’arrêt temporaire de la coupe semblent donc avoir permis de sauver neuf arbres matures. Cependant, le 8 juillet, le CIUSSS annonce que deux autres arbres devront être coupés «en raison de présence importante de machinerie lourde à proximité pour les prochains mois, qui limiterait de manière significative leur probabilité de survie à court terme». Le nombre d’arbres matures conservés descend donc à seulement sept.

Dans un autre document disponible sur le site du CIUSSS, daté du 21 avril 2021, on dénombre seulement six arbres malades sur le site (dont certains ont déjà été coupés). Cela fait un total de 8 arbres malades, selon les documents disponibles. Le terrain comptait 71 arbres, selon un rapport du 8 février 2021.

Au sujet des arbres matures et en santé qui ont été abattus, M. Roy réitère que dans certains secteurs du site «des arbres étaient présents et étaient situés sur l’emprise du projet.» Le CIUSSS prévoit planter pas moins de 104 arbres et plus de 738 arbustes pour compenser la perte de ces végétaux.

Des boisés importants pour la santé des résidents

Selon Cyril Frazao, le projet de replanter une centaine d’arbres afin d’obtenir une MDA «verte» constitue de l’écoblanchiment : «Je suis vraiment tanné d’entendre ça, que replanter les arbres ça va aider l’environnement», s’exclame-t-il.

Pour le directeur de Nature Québec, un arbre commence à avoir un impact notable sur son environnement à partir de 15 ans d’existence, voire plus. Ainsi, selon lui, le gouvernement devrait privilégier la conservation des arbres matures au lieu de les abattre et d’en replanter d’autres.

«Lors des canicules et des fortes chaleurs, ce sont les personnes âgées qui souffrent le plus et qui malheureusement décèdent», rappelle le Dr Éric Notebaert, vice-président de l’Association québécoise des médecins pour l’environnement. Selon ce dernier, les boisées et les espaces verts viennent contrebalancer la température élevée des milieux urbains. Les espaces remplis de végétaux sont donc essentiels à la bonne santé des aînés qui seront hébergés dans l’éventuel bâtiment, explique-t-il.

Les boisés sont aussi importants pour la santé puisqu’ils absorbent une partie de la pollution et réduisent ainsi les symptômes de maladies, par exemple l’asthme, selon le Dr Notebaert.

La pandémie aura souligné l’importance des contacts sociaux pour le bien de la santé mentale. Le Dr Notebaert souligne que les boisés et les parcs verts sont justement des endroits où les personnes âgées peuvent «briser leur isolation sociale» en rencontrant les autres usagers du parc.

Pour ces raisons, Nature Québec, l’Association québécoise des médecins pour l’environnement ainsi que La planète s’invite en santé demandent au gouvernement de changer leur stratégie pour les prochains projets de construction afin de conserver davantage d’arbres. Selon eux, les autres projets de MDA, par exemple «à Rivière-des-Prairies, à Black Lake, à Alma, à Chicoutimi, à Lévis et à Gatineau, impliquent la coupe de plusieurs centaines d‘arbres matures et la perte pour les aîné-es d’un contact avec la canopée».

Questionné sur l’importance pour les aînés d’avoir accès à des espaces verts ombragés par des arbres matures, le porte-parole de la SQI affirme que «l’aménagement complet du site permettra aux résidents de profiter d’un couvert végétal diversifié. » Il ajoute : «la perspective suivante est évocatrice à cet effet… », en désignant une image modélisée par ordinateur qui représente la future MDA entourée d’un couvert végétal d’arbres matures.