«Traduire, c’est trahir.» Voilà les premiers mots qui pavent la voie de notre entrevue avec Sachiyo Kanzaki, la responsable du programme japonais de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).
Pour celle qui est également docteure en anthropologie, la question de la langue est intimement liée à l’histoire de cette littérature de l’Asie de l’Est dont les premières traces remontent à une quinzaine de siècles.
On le comprendra bien assez vite : «Les écrits sont importants dans la langue japonaise». Puisque deux mots, aux significations différentes, peuvent avoir une prononciation semblable, la rédaction de caractères permet souvent de dénouer les quiproquos linguistiques.
«Même avant d’être en contact avec les Occidentaux, le taux d’alphabétisation, au Japon, était très haut», souligne d’ailleurs en visioconférence celle qui est membre de l’Observatoire de l’Asie de l’Est de l’UQAM.
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À un public néophyte qui n’aurait accès qu’aux traductions francophones ou anglophones des œuvres nippones, Mme Kanzaki souhaite ainsi rappeler l’importance d’aller au-delà des titres populaires et de bien choisir son édition.
Puisque des barrières culturelles existent bel et bien entre les marchés littéraires de l’Occident et de l’Orient, bon nombre de codes japonais se voient effacés lors de leur passage d’une langue à l’autre, affirme Sachiyo Kanzaki.
Si les sentiments et épreuves universels touchent tous les publics, plusieurs références pointues — quoiqu’authentiques — disparaissent, amenant avec elles «une partie de l’essence [de la littérature japonaise]», déplore Mme Kanzaki.
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Si plusieurs grands écrivains japonais tels que Haruki Murakami, Yukio Mishima ou encore Natsume Soseki demeurent des classiques à lire, la professeure de langues soutient que plusieurs autres artistes — dont des autrices — prennent aujourd’hui une place considérable sur la scène internationale.
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Sous la plume des femmes
La littérature japonaise est vaste : si plusieurs périodes l’ont forgée au fil des siècles, une multitude de genres, abordant des thèmes tout aussi diversifiés, la composent : du light novel — un type de roman destiné aux jeunes adultes — aux haïkus, en passant par la fantasy ou le polar.
La place des femmes y est toutefois une constante, et ce, depuis des décennies. Sachiyo Kanzaki souligne qu’on observe d’ailleurs en général leurs écrits traduits de plus en plus, en français ou en anglais, «même si l’échantillon est minime par rapport à la vraie production» qu’elles composent.
«On ne sait pas pourquoi, mais il y avait, à l’époque, moins de femmes traduites. Peut-être parce que leur écriture correspondait moins aux attentes des lecteurs. On s’attendait à des samouraïs ou à d’autres éléments comme celui-ci qui construisaient l’imaginaire occidental. Or, les femmes créaient davantage à propos de sujets proches de la vie quotidienne», explique-t-elle, précisant que plusieurs autrices ont récemment surfé sur une vague de traductions en 2020.
Parmi celles dont le nom n’est pas à faire, Mme Kanzaki note d’ailleurs Yôko Ogawa, dont plusieurs dizaines d’œuvres sont traduites en français chez Actes Sud.
Alors que la romancière Yu Miri fut de son côté récipiendaire du grand prix littéraire américain National Book Award 2020, Natsuo Kirino est récemment devenue quant à elle la toute première femme à la tête du Japan P.E.N Club, un regroupement international d’écrivains unis pour la liberté d’expression.
Les mangas, accessibles à tous
Naruto, Death Note, Dragon Ball et cie sont souvent la première chose à laquelle on pense lorsqu’on parle de littérature japonaise. Si les mangas sont loin de pouvoir porter à eux seuls le flambeau du 5e art au Pays du Soleil levant, Sachiyo Kanzaki souligne toutefois leur impact important.
Pour celle qui s’intéresse à la culture populaire de ce pays, les fameuses bandes dessinées permettent surtout d’ouvrir la porte à de nouveaux lecteurs, de construire un pont avec «de jeunes générations à l’extérieur du pays».
En plus de faire partie d’une chaîne lucrative (light novel – anime – manga – jeux vidéo), qui fait rayonner les franchises à l’international, la bédé permet d’apprendre la langue du pays, notamment les onomatopées.
«Les mangas peuvent conduire quelqu’un qui s’intéresse au light novel, puis de là, il peut peut-être faire le saut à la littérature classique par exemple», estime finalement la professeure qui utilise d’ailleurs ces livres imagés comme un outil d’apprentissage, dans ses cours universitaires.
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À titre d’exemple récent, Mme Kanzaki rappelle les records au box-office du film Demon Slayer : le train de l’infini (Kimetsu no yaiba) qui est issu d’une série de mangas, véritable phénomène littéraire au Japon depuis les deux dernières années.