Crasseuses, barbouillées de graffitis et impopulaires, les trois cabines téléphoniques se tiennent sur un trottoir de la rue Saint-Jean, résistant à l’omnipotence du sans-fil.
Leur heure de gloire est loin derrière elles. Les promeneurs, les clients des bars autour, les «mal pris» qui doivent faire un appel d’urgence, les amants qui font des appels clandestins : à peu près tout le monde a délaissé les cabines au profit des cellulaires.
Mais les cabines téléphoniques ne sont pas toujours vides, assure Denis Marceau, employé de la Duchesse d’Aiguillon, un dépanneur qui vend de la bière, du cidre et du vin québécois de l’autre côté de la rue.
Les clients des cabines «sont souvent des gens qui n’ont pas de téléphone, qui sont dans des situations plus démunies», décrit M. Marceau. «Des fois, ils viennent faire de la monnaie ici.»
Son collègue Tristan Dumas a déjà vu deux des trois cabines comblées en même temps. Mais il ne croit pas qu’elles survivront encore longtemps. «Ce sont des vestiges du passé, dit-il. Moi, je pense que c’est appelé à disparaître.»
Le nombre de cabines téléphoniques a effectivement fondu dans la capitale et dans toute la province, confirme le géant des télécommunications Bell, le plus grand fournisseur de cabines téléphoniques au Québec.
«L’utilisation et le nombre de téléphones publics que nous exploitons ont considérablement diminué au fil des ans, parallèlement à la croissance continue des options sans fil», indique Caroline Audet, porte-parole de Bell.
Mais il y a encore une multitude de cabines téléphoniques qui tiennent le coup. Bell exploite actuellement environ 800 téléphones publics dans la région de Québec et plus de 6000 dans l’ensemble du Québec.
Nous «continuons à rendre les téléphones publics aussi accessibles et abordables que possible», ajoute Mme Audet.
Bell concentre le plus grand nombre de ses cabines téléphoniques dans les «zones à fort trafic», telles que les points de transit, les centres commerciaux, les établissements de soins de santé et les lieux de services publics, indique la porte-parole de Bell.
Les études récentes sur les téléphones publics sont rares. Mais le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) a publié en 2015 un rapport dans lequel il faisait le point sur le déclin des cabines téléphoniques.
Selon ce rapport, en 2004, 50 % des Canadiens avaient utilisé des téléphones publics à l’occasion. Une décennie plus tard, seulement 32 % des Canadiens indiquaient qu’ils avaient utilisé un téléphone public au moins une fois par année.
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Dans son rapport, le CRTC observait aussi que certaines cabines téléphoniques étaient particulièrement délaissées. Par exemple, en 2013, Bell Canada et Bell Alliant avaient 636 téléphones publics qui n’avaient pas servi au cours des 13 mois précédents et que 10 501 téléphones publics rapportaient des revenus inférieurs à 50 ¢ par jour au cours de la même période. Ces téléphones publics à très faible utilisation représentaient 15 % de tous les appareils des compagnies.
Le CRTC estimait néanmoins que les téléphones publics restaient importants pour les personnes plus vulnérables qui n’ont pas les moyens de payer pour leur propre téléphone et qui doivent communiquer, par exemple, avec les services sociaux ou médicaux.
Mais sur la rue Saint-Jean, les trois cabines téléphoniques ne servent pas seulement à appeler. «Je vais plus me réfugier dans les cabines téléphoniques quand il pleut ou il neige», dit Isaac, 19 ans, qui avait rejoint ses amis près de l’église Saint-Jean-Baptiste. «Moi, je m’en servais pour faire un photo-shoot l’autre fois!» ajoute Camille, 18 ans.
Leur ami Colin, 18 ans, utilise à l’occasion les cabines téléphoniques quand son cellulaire est déchargé et qu’il a 50 ¢ dans ses poches. Mais la plupart du temps, il a seulement une carte de débit avec lui, remarque-t-il. «J’ai rarement des cents de toute façon.»