Syndrome de Robin: quand bébé a la mâchoire trop petite

Le docteur Mirko Gilardino, chirurgien plasticien de l’Hôpital de Montréal pour enfants.

Tout ce que Daniel Duguay voulait savoir, c’est si sa petite fille allait s’en tirer.


Ellie Mavie venait de voir le jour au terme d’une grossesse un peu difficile et après un accouchement de 40 heures qui avait poussé sa maman, Karolanne Duval-Bélanger, dans ses derniers retranchements, culminant avec une césarienne d’urgence sous anesthésie générale.

Mais le couple originaire de l’Abitibi n’était pas encore au bout de ses peines. Les médecins constatent rapidement que la petite fille respire avec difficulté en raison d’une mâchoire mal formée et d’un trou dans son palais.

«Le plus dur, c’était d’avoir la petite sur nous et de l’entendre respirer comme si elle ronflait, elle a de la misère, elle tire, elle arrête de respirer, il y a un souffle sur trois qui ne rentre pas, comme quelqu’un qui s’étouffe, mais tu ne peux pas rien faire», a raconté M. Duguay lors d’un long entretien au téléphone.

Elle n’était pas en train de nous mourir dans les mains, mais ce n’était pas le fun


Ellie Mavie est atteinte du syndrome de Pierre Robin. Sa mâchoire est trop petite, ce qui fait que sa langue tombe dans le fond de sa gorge et obstrue ses voies respiratoires.

Trois heures après l’accouchement, une équipe de l’Hôpital de Montréal pour enfants (le Children), le seul centre hospitalier du Québec en mesure de pratiquer la chirurgie corrective nécessaire, débarque à l’Hôpital Honoré-Mercier de Saint-Hyacinthe, où la petite fille a vu le jour.

Après une brève séance couchée sur sa maman épuisée, Ellie Mavie est placée dans un incubateur de transport et son papa et elle partent pour Montréal à bord d’une ambulance.

Pris en charge

Le docteur Mirko Gilardino, un chirurgien plasticien du Children, voit une vingtaine d’enfants comme Ellie Mavie chaque année. Certains sont atteints du syndrome de Pierre Robin, qui est d’origine génétique, et d’autres de la séquence de Pierre Robin, qui est d’origine physique et qui pourra par exemple avoir été causée par la manière dont le foetus était positionné dans l’utérus.

Dans les deux cas, la mâchoire est mal formée et la langue interfère avec la respiration normale du bébé.

On peut parfois régler le problème simplement en attachant temporairement la langue à la lèvre inférieure et en attendant que la nature s’en occupe. Mais ce ne sera pas possible dans le cas d’Ellie Mavie.

«Le docteur Gilardino est venu nous rencontrer, il nous a pris en charge, il nous a expliqué l’intervention, ce qu’il allait pratiquer sur notre fille pour l’aider, a dit M. Duguay. Il a fait vraiment un bon travail. La seule chose qu’il veut c’est aider.»

L’intervention nécessaire consiste à visser à même la mâchoire de la petite fille, sous sa peau, un appareil qui lui redonnera très lentement, un demi-millimètre à la fois, une taille plus normale.

L’opération qui devait durer deux heures n’était toujours pas terminée après quatre, en raison d’un pépin qui a probablement angoissé les parents plus que l’équipe chirurgicale.

Ne sachant rien de ce qui se passe, M. Duguay, un pompier qui se décrit comme un individu calme et capable de lâcher prise, garde confiance, pendant que sa conjointe multiplie les scénarios catastrophiques.

«[Ellie Mavie] était entre de bonnes mains et je n’ai jamais douté qu’il allait arriver quelque chose de mal, a-t-il dit. Oui il y a des risques parce que c’est une intervention, mais c’est comme quand j’entre dans une maison en feu: il y a des façons de le faire pour que ce soit sécuritaire.»

Grands progrès

Avant que les chirurgiens ne soient en mesure d’opérer ces enfants, la seule option disponible pour aider les bébés dont les voies respiratoires étaient obstruées étaient une trachéotomie, à savoir l’insertion d’un tube par l’extérieur de la trachée pour les maintenir en vie.

«Quand on met un tube comme ça, le temps moyen de séjour à l’hôpital est de neuf mois, a expliqué le docteur Gilardino. Quand je fais un avancement de mâchoire, la longueur moyenne d’admission est de moins de six semaines. On change complètement la vie de la famille parce qu’on est capables de retourner la famille à sa vie presque normale.»

La possibilité existe donc de normaliser la vie non seulement de ces enfants, mais aussi de leurs familles, ce qui représente un «grand succès», a-t-il ajouté.

De plus, il est aujourd’hui possible d’opérer les nouveau-nés, même si leurs os ressemblent à ceux d’un «poulet cuit».

«La mâchoire d’un nouveau-né [...] c’est un peu mou, a-t-il dit. Les vis doivent être placées avec beaucoup d’attention. Il y a aussi le défi de couper une mâchoire très petite, très fragile, sans endommager le nerf qui traverse la mâchoire et aussi la racine des dents éventuelles. C’est un défi supplémentaire du fait que l’os est très fragile.»

L’appareil est entièrement caché sous la peau, contrairement aux versions précédentes qui étaient à la fois externes et moins efficaces.

Seules deux vis, une de chaque côté de la mâchoire, sont apparentes. On les tourne plusieurs fois par jour, chaque rotation permettant de gagner environ 0,5 millimètre. L’os de la mâchoire prend lentement mais sûrement une taille normale, et le problème est normalement réglé au bout de quelques semaines.

L’appareil est alors enlevé, ne laissant derrière lui que deux petites cicatrices discrètes.

«Si on commence avec une mâchoire à laquelle il manque, disons, 1,5 centimètre, [...] dix jours plus tard on va avoir une mâchoire beaucoup plus avancée, plus normale, et des voies respiratoires complètement ouvertes», a résumé le docteur Gilardino.

Retour à la maison

Ellie Mavie a été opérée il y a à peine une semaine et on ne sait pas encore à quel moment ses parents et elle pourront rentrer à la maison. Plusieurs tests et examens l’attendent au cours des prochaines semaines avant que ça ne soit envisageable.

«J’ai dit [au personnel] qu’on ne sortirait pas d’ici tant qu’elle ne serait pas entièrement stable et qu’il ne puisse plus rien lui arriver», a dit M. Duguay, qui répète plusieurs fois à quel point il a apprécié l’aide et l’encadrement reçus depuis que sa famille et lui sont arrivés à Montréal.

La poussière commence lentement à retomber et le pire est derrière eux. À pareille date la semaine dernière, se souvient-il, il «roulait à cent mille à l’heure» et il gérait la situation «comme un père de famille doit le faire».

Mais depuis l’opération, se réjouit-il, «c’est le jour et la nuit, à date».

«En une semaine, elle respire bien, elle est sur nous, elle est tranquille... Tu vois que l’air passe et que c’est une respiration naturelle, a-t-il dit. C’est vraiment rassurant pour nous.»