Je devrais écrire «était».
Au fil des années, il a transformé son grand terrain, rue George-Muir, en un énorme jardin fleuri, avec plus de 1400 variétés. La réputation de son pouce vert n’est plus à faire, tellement qu’il en vit en vendant ses vivaces aux clients qui se multiplient seulement par le bouche-à-oreille.
Et depuis une trentaine d’années, jusqu’à récemment, il vendait du terreau et un paillis qu’il fabriquait en broyant des résidus de bois. Au bout du fil, le propriétaire du Jardin des vivaces m’explique qu’une grande quantité des branches de feuillus provenait de contrats d’émondage octroyés par la Ville de Québec.
Tout allait bien jusqu’à ce qu’on nouveau développement pousse juste à côté de chez lui, il y a une couple d’années.
Au printemps dernier, il reçoit une première visite d’un employé de la ville à la suite d’une plainte de certains de ses nouveaux voisins. «Il m’a demandé de limiter mes heures de broyage, ce que j’ai fait. Je me suis acheté un appareil de qualité pour tester le bruit que je produisais et j’ai proposé aussi des correctifs sur mon broyeur.»
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Il y a aussi des arbres et une haute haie de cèdres entre son broyeur et les voisins.
Il n’en a plus entendu parler jusqu’à ce qu’il reçoive une autre visite d’un employé de la ville, le 29 octobre dernier. «Il m’a dit «va falloir arrêter ça, tout doit être clairé pour la mi-juillet».» Tout, ce sont les tas de paillis et de compost dont Jacques se servait pour approvisionner ses clients.
En rentrant à la maison ce soir-là, il a trouvé sur son répondeur un message d’Environnement Québec. «On m’a dit que j’allais avoir la visite d’inspecteurs le lendemain. Je les ai reçus, la discussion a été technique, mais courtoise. Je leur ai demandé si c’est la ville qui leur avait demandé de passer, ils ont dit «oui», ils m’ont dit qu’ils ne comprenaient pas ce que la ville me voulait.»
Les inspecteurs n’ont rien trouvé à redire, les quantités stockées ne dépassaient pas les limites permises sans permis.
«L’employé de la ville est revenu, le ton avait changé. Il m’a simplement invité à faire une demande pour avoir un permis de centre-jardin, ce que j’ai fait.» En attendant que sa demande chemine, il a recommencé à broyer des résidus de bois, croyant que le dossier du bruit dans le voisinage était clos.
Que le dossier au complet était clos.
Il ne l’était pas. La ville est revenue à la charge pour qu’il cesse ses opérations sur-le-champ. «Ils m’ont dit que ce n’était pas le bon zonage, que je n’avais pas le droit de mener des opérations industrielles sur mon terrain. Ils m’ont dit que je pouvais seulement transformer les résidus de mon terrain.»
Jamais personne ne lui a parlé d’un problème de zonage en 40 ans, ni après les fusions, son terrain faisait partie de Charlesbourg.
À la ville, le porte-parole David O’Brien a confirmé par courriel qu’on a sommé Jacques Hébert d’arrêter de broyer du bois venant de l’extérieur pour une question de zonage. «La propriété bénéficie d’un zonage agroforestier. Sur cette base, seules la culture sans élevage et les activités forestières sont autorisées. La livraison de bois en provenance d’entreprises externes et la transformation de ces matières premières sont des opérations de nature industrielle.»
La plainte pour bruit est devenue une affaire de zonage.
Mais il y a plus étrange encore. J’ai demandé à David O’Brien à quelles conséquences s’exposait M. Hébert s’il ne fait pas place nette d’ici la mi-juillet, il m’a répondu qu’il serait en infraction au règlement sur les nuisances, qu’une première offense peut coûter jusqu’à 2000$, même chose pour une récidive.
J’ai demandé à qui ces amas nuisaient, ce qui est quand même une condition fondamentale pour parler de nuisance.
Je n’ai pas eu de réponse.
Jacques Hébert, lui, sait bien qu’il habite dans un secteur convoité par les développeurs immobiliers, secteur qu’avait acquis Sébastien Lebœuf avant de s’en départir il y a quelques années. Les nouveaux propriétaires ont d’ailleurs approché M. Hébert. «Le Groupe Custeau, promoteurs immobiliers de Sherbrooke m’a approché il y a environ trois ans pour m’acheter.»
En fait, selon le registre de la Ville, la majorité des terrains entourant ceux de Jacques Hébert sont la propriété d’Immobilier Quéland. Cette société est l’union de trois associés, le Groupe Bel-Can, Placement Roguyjad inc. et une compagnie à numéro, 9266-1529. Placement Roguyjad appartient à Charles et à Philippe Custeau (de Groupe Custeau) alors que le Groupe Bel-Can appartient à des hommes d’affaires basés en Belgique, et pas n’importe lesquels.
Il s’agit d’Eric, Mark et John Mestdagh, qui ont fait fortune entre autres avec la chaîne de magasins d’alimentation Carrefour.
La compagnie 9266-1529, quant à elle, appartient à deux actionnaires – Placement Roguyjad inc. et Groupe Bel-Can – et compte parmi ses administrateurs Charles Custeau comme président et Éric Mestdagh comme vice-président.
Le 18 août 2017, Immobilier Quéland a présenté à la ville de Québec un projet de développement résidentiel et a demandé, du même souffle, de modifier le périmètre urbain du secteur. Avant eux, le promoteur Lebœuf s’était cassé les dents avec un projet de développement battu en brèche par la critique populaire.
À la Ville, David O’Brien assure que la mouture du projet présenté en 2017 est au point mort. «La Ville n’a aucune intention pour un développement résidentiel à cet endroit et le zonage en vigueur l’interdit.»
Pour le moment.
Parce qu’il n’y a qu’à regarder la carte interactive de la ville pour observer que l’étalement urbain est à la porte de chez Jacques Hébert. Un peu à l’ouest de l’autoroute Laurentienne, la construction de quelque 85 maisons a été autorisée grâce à un changement de zonage et la coupe de tout un secteur forestier.
À l’est de la Laurentienne, le Boisé des sœurs du Bon Pasteur qui n’est plus vraiment un boisé, a été développé par le Groupe Custeau.
Jacques Hébert, lui, plaide le droit acquis. Mais pas que ça. L’homme plaide aussi la reconnaissance de ce qu’il fait depuis 40 ans, d’abord en embellissant et en florissant ses terrains, puis en récupérant de façon écologique des résidus de bois et en les transformant, selon une recette bien à lui, en des produits d’une très grande qualité prisés par les horticulteurs. «J’ai même donné des formations un peu partout, en Afrique, en Amérique du Sud, mon expertise est reconnue.»
Il espère ne pas devoir mettre la clé dans la porte. «Je sens une pression qui est très forte. Quand quelqu’un fait quelque chose de constructif, est-ce qu’on ne devrait pas, collectivement, et surtout de la part de l’administration publique, l’aider au lieu de lui tirer dans les jambes?»