Chronique|

À chacun son déconfinement

À quoi ressemblera votre déconfinement cette fin de semaine?

CHRONIQUE / Pis? Votre vendredi soir de déconfinement? Pas trop mal à la tête?


Êtes-vous de ceux qui attendaient impatiemment de pouvoir investir le centre-ville jusqu’aux petites heures du matin simplement parce qu’on avait enfin le droit de ne pas aller se coucher tôt? Êtes-vous plutôt du genre à être allé souper chez un proche, en petite bulle familiale, pour déconfiner sans exagérer? Ou faites-vous plutôt partie de ces espèces appelées «Parents-de-jeunes-enfants» ou «Fanatique-de-la-jaquette-et-du-divan» pour qui la levée du couvre-feu ne fera jamais la moindre différence parce que de toute façon, passé 21 h 15, vous êtes déjà dans le coma?

Personnellement, c’est avec mon filleul que j’ai déconfiné. Le beau Émilien n’avait pas vu la bette de sa marraine depuis longtemps, sinon que par le biais de 5 à 7 sur FaceTime ou au détour d’une petite promenade au parc, bien à distance. Au moment d’écrire ces lignes, je ne suis pas encore en mesure de vous dire s’il a eu peur de ma grosse face de marraine trop heureuse, mais je vous promets que je me retiendrai fort pour ne pas le couvrir de becs en pincette, même si je suis Pfizerisée d’une première dose.



Il y aura probablement autant de sortes de déconfinement qu’il y aura eu de confinés au Québec. À chacun sa manière de vivre ces premiers instants de liberté, même s’ils demeurent encore très encadrés. Parce que le virus, lui, n’est pas encore allé se faire voir ailleurs.

Et forcément, cette variation dans les différents niveaux de comportement appellera à la fois à être responsables pour les uns, et tolérants pour les autres.

C’est l’avis de la psychologue Georgia Vrakas, professeure au département de psychoéducation de l’Université du Québec à Trois-Rivières, campus de Québec.

Cette dernière estime qu’on pourra regrouper les différentes réactions émotionnelles dans deux catégories distinctes. Il y aura d’abord ceux qui attendaient ce moment avec impatience (qui avaient peut-être même déjà déconfiné pas mal, mais on ne le dira pas trop fort) et qui prendront ces premiers instants de liberté comme une véritable bouffée d’air frais, quitte à outrepasser les limites qui sont à ce jour maintenues par le gouvernement.



Mais il y aura aussi les anxieux, pour qui ce déconfinement ne rimera pas forcément avec le bonheur absolu.

«Ça demeure encore de l’inconnu, et l’inconnu est probablement la pire chose pour les personnes anxieuses», croit-elle. D’un autre côté, l’avancement de la campagne de vaccination tend à rassurer certaines personnes, mais le conditionnement aux mesures sanitaires en place et surtout à la crainte que le virus a pu générer depuis un an et demi ne pourra pas se «déprogrammer» du jour au lendemain pour plusieurs. Ce sera une adaptation graduelle, croit-elle.

Devant ce constat, Georgia Vrakas en appelle à la responsabilisation pour ceux qui auront envie de saisir ces instants de liberté pour tout se permettre. «À mon avis, la responsabilisation est la clé. Je ne suis pas de ceux qui pensent que c’est bénéfique de devoir compter sur la police pour y aller de manière répressive. C’est contre-productif et ça entache la relation de confiance qui doit prévaloir entre les forces policières et la population. C’est à chacun de se responsabiliser», soutient-elle.

Quant aux personnes anxieuses, elle soutient que chacun devra faire preuve d’une grande tolérance envers autrui, pour éviter que le rythme de déconfinement, qui différera forcément d’une personne à l’autre, n’entraîne pas de mauvais sentiments ou de conflits à l’intérieur des familles ou dans les groupes d’amis. «À chacun son rythme», prône-t-elle.

C’est aussi l’avis de la professeure Ariane Bélanger-Gravel du Département d’information et de communication de l’Université Laval, également spécialiste en sciences comportementales. En appelant au respect du rythme de chacun, elle indique l’importance d’une bonne communication afin de faire comprendre que la personne n’est peut-être pas aussi rapide qu’une autre sur un changement ou une adaptation comportementale.

Par contre, Mme Bélanger-Gravel appréhende ce déconfinement, puisqu’il est accompagné d’un double signal, soit celui de l’avancement de la campagne de vaccination, mais aussi celui de l’importance de maintenir certaines mesures sanitaires tant que l’immunité collective n’aura pas été atteinte.



«Devant ce double signal, à mon avis il y a de fortes chances que ça penche vers l’ouverture des vannes et le relâchement des mesures. Or, l’enjeu ici est le maintien de comportements qui sont encore nécessaires. Ceci demande des efforts et du contrôle», croit-elle.

Ainsi donc, le maintien de la distanciation sociale, donne-t-elle en exemple, demeure une mesure qui exige un effort supplémentaire sur le long terme. Et si la population reçoit le signal qu’elle n’est plus nécessaire, que l’on n’en tire rien de positif, on la laissera tomber.

D’où l’importance de marteler le message et de poursuivre la communication, croit la professeure. «Ce sera important de continuer d’expliquer pourquoi on maintient les mesures sanitaires (en attendant l’immunité collective). C’est pour éviter de tomber malade, mais aussi pour éviter de contaminer ceux qu’on aime. Malgré le déconfinement, il va toujours falloir que ce soit ramené à l’avant-scène par le gouvernement pour que ce soit bien compris de la population, pour qu’il n’y ait pas de confusion», ajoute Mme Bélanger-Gravel.

On sent déjà que les autorités sont aux aguets pour éviter les débordements. À Trois-Rivières, après le rassemblement monstre de 500 personnes à l’île Saint-Quentin lundi dernier, la Ville et la police de Trois-Rivières ont mis en place des mesures pour éviter les débordements cette fin de semaine, avec la tenue d’un registre à l’entrée de l’île, et une surveillance policière accrue.

Mon petit doigt me dit cependant qu’à elle seule, la température extérieure prévue en soirée cette fin de semaine pourrait freiner les ardeurs des plus enthousiastes, qui chercheront davantage à s’asseoir autour d’un feu de camp ou à opter pour la chaleur d’un restaurant là où c’est déjà possible.

Mais peu importe à quelle catégorie vous appartenez, déconfinez à votre rythme, sans déborder, assez pour se rappeler ce qui a tant de valeur à vos yeux, et surtout sans hypothéquer tous les efforts consentis depuis la dernière année.

Et santé!