Flavia Garcia quitte donc l’Argentine quelques années après la fin des juntes militaires et le début de certaines condamnations. Si elle tente par le fait même de laisser derrière elle les horreurs qu’elle y a vues, l’autrice ne quitte pas son pays natal pour des raisons politiques, mais plutôt par amour pour la langue française. Elle souhaite venir l’enseigner au Québec.
Un «déclic» se produit chez elle en 2012 alors qu’elle rencontre un jour une écrivaine argentine qui lui fait cadeau de Palabra viva, un livre portant sur des personnes disparues sous le régime militaire. S’enclenche ainsi en elle une volonté de creuser, de faire des recherches et de découvrir, avec des yeux d’adultes, ce qui s’est réellement passé durant son enfance. Elle épluche notamment les rapports de la commission d’enquête chargée d’investiguer sur les crimes posés par les militaires, de 1976 à 1983. Livres, témoignages, jugements, photos d’archives et vidéos l’accompagnent également.
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«Dans ce genre de situations, il y a comme une coupure qui se fait chez la personne. Un moment donné, on ferme la porte. On ne veut plus rien savoir parce que c’est trop douloureux. Moi, quand je suis venue m’établir à Montréal, je pensais avoir échappé à tout ça, mais je me suis rendu compte, en écrivant, que j’avais porté cette histoire-là en moi toute ma vie», confie-t-elle, en entrevue au Soleil.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, Fouiller les décombres n’est toutefois pas le résultat d’un processus thérapeutique, affirme l’écrivaine. Pour elle, ce recueil est plutôt issu d’un besoin de «faire revivre une mémoire» pour qu’il n’y ait «ni oubli ni pardon».
Courts, ses poèmes illustrent des bribes de souvenirs, des flashs «pas tout à fait nets» qui lui sont revenus en faisant ses recherches. Alors que les mots écrits en italique portent la voix d’une narratrice qui replonge dans sa jeunesse, ceux en caractère romain sont dirigés vers les criminels du coup d’État.
De la centaine de pages de Fouiller les décombres ressort donc la parole d’une enfant à qui les adultes cachent tout, mais dont pourtant le quotidien est marqué par «les scènes d’horreur». Dans les rues de Buenos Aires, la fillette assiste notamment à des arrestations arbitraires, des meurtres et à beaucoup d’autres crimes.
«C’était une façon pour moi d’aller colmater les espaces restés vacants. Quand je posais des questions à ma mère, elle ne me répondait pas. Elle changeait de sujet. […] Nos parents croient qu’avec le silence, ils nous protègent… L’une de mes démarches ça a été de donner une voix, de retrouver ce qui se cachait derrière le silence», explique Flavia Garcia.
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En plus d’illustrer les violences qui s’y sont produites, l’autrice revient sur quelques faits historiques importants de cet événement dont, entre autres, les «mères de la place de Mai». Flavia Garcia met ainsi en lumière le combat de ces femmes qui ont «défié les militaires» de l’époque pour qu’on leur donne des réponses au sujet de leurs enfants qui manquent à l’appel. Encore aujourd’hui, elles manifestent symboliquement, chaque semaine, en hommage à ces 500 bébés enlevés et adoptés par les amis «de leur bourreau».
«Jamais plus»
«En Argentine, on connaît tous quelqu’un qui a disparu», lance l’écrivaine, pour qui il est donc primordial de raconter l’Histoire afin de ne pas la revivre.
Selon Flavia Garcia, une société n’est jamais protégée de la répression policière ou de la dictature. Quoique très peu comparables au coup d’État argentin, plusieurs événements, au Québec, l’ont inquiété par le passé, dont la Crise d’Oka et les manifestations étudiantes de 2012.
«On se croit à l’abri. Mais l’humain c’est l’humain. […] Je sais qu’on est très bien ici. Ça fait plus de trente ans que je suis au Québec. Je ne pense pas que ça puisse nous arriver, mais au cas où… Faisons attention», estime-t-elle.
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Le coup d’État de 1976 en Argentine
Le coup d’État survient le 24 mars 1976. Le général Jorge Rafael Videla succède alors à la présidente Isabel Perón et met en branle le Processus de réorganisation nationale, soit sa dictature. Jusqu’à la fin du régime, en 1983, trois juntes militaires suivront celle de Videla. En Argentine, les militants qui osent manifester et critiquer le pouvoir disparaissent ou sont arrêtés de façon arbitraire. Des milliers de personnes sont d’ailleurs emprisonnées, torturées ou même tuées, rappelle Mme Garcia.