Concilier l’efficacité économique et les aspirations professionnelles des nouveaux arrivants est un défi ardu, autant pour les décideurs politiques que pour les entreprises. Les réponses apportées à l’intégration professionnelle de cette catégorie de main-d’œuvre sont des conditions indispensables pour faire face aux difficultés de recrutement qui affectent certains secteurs de l’économie québécoise. Dans ce contexte, l’invocation de la croissance économique et des besoins des entreprises doivent être ramenés à une autre réalité : celle des immigrants eux-mêmes, qui éprouvent des difficultés à intégrer le marché du travail de manière satisfaisante.
En effet, si on les compare à la population «native», les immigrants enregistrent des taux d’activité et d’emploi inférieurs et des taux de chômage plus élevés. De même, malgré leur niveau d’éducation élevé (plus de 40% des immigrants du Québec sont titulaires d’un diplôme universitaire), ils occupent des emplois subalternes qui n’exigent pas leur niveau d’éducation et se retrouvent en situation de surqualification. Selon les données tirées du Recensement de 2016 au Québec, le taux de surqualification des immigrants économiques détenant un diplôme universitaire (demandeurs principaux) était de 41,4%. Ce taux était de 43,3% pour les demandeurs secondaires et de 47,9% pour les immigrants diplômés d’universités parrainés par un membre de la famille. Il s’agit de taux largement supérieurs à ceux des diplômés universitaires non-immigrants (29,8%).
L’ampleur de la surqualification est importante non seulement à un moment fixe dans le temps, mais aussi en termes de persistance du phénomène et de sa gravité. Ainsi, le taux de surqualification des immigrants titulaires d’un diplôme universitaire a évolué à la hausse entre 2001 et 2016 pour l’ensemble des groupes minoritaires.
Pour ne donner que quelques exemples, durant cette période, le taux a augmenté de 45% à 50,9% pour les diplômés universitaires appartenant au groupe «latino-américain», de 32,7% à 44,3% pour ceux du groupe des «Arabes» et de 30,2% à 38% pour celui des «Chinois». Une importante proportion d’immigrants est touchée également par la surqualification «majeure», définie comme la situation dans laquelle se trouve le titulaire d’un diplôme universitaire qui occupe un emploi requérant tout au plus un niveau d’études secondaires. La proportion d’immigrants en état de surqualification majeure était en 2016 de 12%, comparativement à 6,3% chez les «natifs».
Ce type de surqualification est aussi persistant dans le temps : 10,1% des immigrants étaient en situation de surqualification majeure à la fois en 2006 et en 2016, comparativement à 3,6% des «natifs». Les immigrants diplômés d’universités ont donc près de trois fois plus de chances d’être surqualifiés de façon majeure et persistante.
Faible reconnaissance des diplômes
Il faut noter cependant que les hauts taux de surqualification des universitaires, leur gravité et leur persistance dans le temps sont reliés non pas principalement au statut d’immigration, mais au lieu d’obtention du diplôme. Ainsi, les immigrants ayant complété leur plus haut niveau de scolarité au Canada présentent des probabilités de surqualification similaires à celles des non-immigrants. Une des variables importantes qui explique les écarts dans les taux de surqualification est représenté par le lieu d’études (au Canada ou à l’extérieur), ce qui nous ramène à la question de la faible reconnaissance des diplômes obtenus par les immigrants dans leur pays d’origine. Cette non-reconnaissance mène beaucoup d’entre eux à refaire une formation post-secondaire une fois installés au Québec : environ 40 % des immigrants qualifiés retournent aux études après l’obtention de la résidence permanente canadienne. Soulignons aussi que parmi ceux qui ont fait des études à l’extérieur du Canada, certains sont plus désavantagés que d’autres. Une étude de Statistique Canada montre que la surqualification persistante dans le temps est plus susceptible d’affecter les immigrants qui ont obtenu leur diplôme en Asie du Sud Est (probabilité prédite de 20,4%), dans les Antilles (12,1%), en Europe de l’Est (10,9%) ou en Afrique subsaharienne (8,6%), que ceux qui ont fait leurs études en Europe de l’Ouest (5,7%) ou en Amérique du Nord (5,1%). Ces variations régionales sont liées à la reconnaissance différenciée au Québec des diplômes en provenance de certaines régions géographiques, de même qu’aux compétences inégales des individus détenteurs de diplômes, selon leur pays d’origine.
Force est de constater que le marché du travail québécois est confronté à un afflux de plus en plus important de diplômés universitaires qui proviennent autant de la population québécoise «native» que de l’immigration. Le nombre de diplômés universitaires dépasse, dans certains domaines, celui des emplois de haute qualification, menant ainsi à une incapacité du marché de les absorber, ce qui génère le phénomène de la surqualification.
Dans ce contexte de concurrence entre diplômés pour les emplois qualifiés et correspondant à leur niveau de formation, certains groupes, comme les immigrants, subissent les effets de la surqualification de façon plus intense et plus durable. Les conséquences ne sont pas réjouissantes. La surqualification est source de démotivation, de frustration et de départ des entreprises; les surqualifiés participent moins à la formation continue en entreprise et ils ont des comportements contre-productifs; ils sont aussi moins payés que leurs pairs qui ont le même niveau d’études. Il faut aussi considérer le fait que la surqualification conduit à un gaspillage de ressources intellectuelles et à une perte de productivité des individus, causé par une mauvaise concordance entre leur niveau d’éducation et leur niveau d’emploi, qui provoque un déclin de leurs aptitudes cognitives.
Revoir les politiques migratoires
Que faut-il faire pour atténuer ce phénomène, à défaut de pouvoir le faire disparaître? D’abord, étant donné qu’un nombre important de diplômés universitaires surqualifiés proviennent de l’immigration, il serait judicieux de revoir les politiques migratoires, afin que ce statut ne pénalise pas les individus concernés.
Une révision des critères de sélection des immigrants, afin d’accorder moins de poids au diplôme, ainsi que des mesures particulières pour aider cette catégorie de la population à s’insérer convenablement sur le marché du travail québécois pourraient être mises en place.
Des mécanismes plus souples et plus rapides de reconnaissances des diplômes et des qualifications acquises ailleurs sont également nécessaires.
De même, les entreprises qui, par leurs pratiques d’embauche parfois discriminatoires et la sous-utilisation des compétences des immigrants, contribuent à la genèse de la surqualification, pourraient être la cible de politiques de sensibilisation à cet effet. La surqualification diminue les incitations des diplômés à s’engager pleinement dans leur travail et mine l’efficacité organisationnelle.
Si, par des actions concertées, nous ne parvenons pas à utiliser le capital humain et les compétences des immigrants à leur pleine capacité, nous ne progresserons pas beaucoup vers l’atteinte des objectifs communs de croissance économique et de bien-être collectif. L’intégration des immigrants sur le marché du travail en adéquation avec leur niveau de qualification n’est pas seulement bénéfique pour eux, mais aussi pour la société québécoise dans son ensemble.