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Je déteste texter

Je déteste texter. Vraiment, j’ai horreur de ça.

CHRONIQUE / Vraiment, j’ai horreur de ça. Je suis la mamie de mon groupe d’amies qui prend son téléphone pour parler à mes potes. Quand je dois prendre un rendez-vous ou demander une information, je préfère composer le numéro et parler au réceptionniste. J’ai l’impression que ça va plus vite, que l’on se comprend mieux, que l’information que je vais recevoir va être plus exacte, authentique. 


Je crois que ce qui a fini de me dégouter des textos, c’est le dating: c’est fou à quel point deux jeunes gens habitant dans la même ville avec des cercles d’amis et des codes similaires peuvent mal se comprendre. Draguer à l’écrit? C’est un art que peu d’initiés savent manier à la perfection, et même là, un faux pas est si vite arrivé… Dernièrement, je propose à un prétendant que l’on se rejoigne pour la soirée en essayant de flirter un peu et je me suis retrouvée avec un interlocuteur frustré qui m’explique de long en large le fonctionnement de Communauto (la preuve que ça peut déraper très vite). 

Et au travail? C’est encore pire! Vous n’en avez pas marre des malentendus dans vos conversations de groupe? Du courriel passif agressif d’un collègue avec votre patron en copie ou de la personne qui répond avec un piètre «ok» à votre message minutieusement composé et ponctué de toutes les mesures de politesse possibles? C’est qu’au final, il est très difficile d’exprimer une vaste gamme d’émotions et d’intentions à l’écrit. Alors pourquoi on s’acharne? Pourquoi ne pas simplement décrocher notre bon vieux téléphone?

Je déteste texter. Vraiment, j’ai horreur de ça.

Plus de contrôle sur notre temps

« C’est principalement une question de rythme et de temporalité, explique la professeure titulaire au département de sociologie de l’Université Laval, Madeleine Pastinelli. De manière générale, à peu de choses près, ce mode de communication a remplacé le téléphone qui demande que l’on soit disponible en même temps que l’autre. C’est intrusif .» Selon la professeure, le plus séduisant dans ces types de communications écrites, c’est l’idée de pouvoir répondre quand on veut, penser à notre réponse et effectuer d’autres tâches en même temps. 

Je veux bien, sauf qu’on ne se comprend pas. Une recherche américaine publiée en 2015 a révélé que plus d'un tiers des employés reçoivent chaque jour au moins un courriel professionnel qui semble désagréable. « Nos courriels et nos messages Slack sont mal compris environ 50 % du temps », avance l’expert en communication Nick Morgan, auteur du livre Can You Hear Me?  How to Connect with People in a Virtual World, publié par le Harvard Business Review en 2018. 



Il nous manque le ton de la voix. En général, tous les malentendus liés à l’écrit tiennent au fait que l’on attribue à l’autre un état d’esprit, des émotions, des intentions qui ne sont pas les siennes


Ajoutez à ça un trop-plein d’infos qu’on lit en diagonale, des réponses de plus en plus courtes et quelques erreurs de frappe: vous avez la recette parfaite pour un quiproquo. Le silence peut même devenir source de conflit alors que de plus en plus de services de messagerie nous notifient lorsque notre interlocuteur a vu notre message. « Le code social veut que même si quelqu’un a vu un message, on ne s’offusque pas de ce qu’il ne réponde pas à la seconde », explique la sociologue. Pourtant, je ne sais pas pour vous, mais ce n’est jamais très agréable de se faire « laisser en vu », surtout dans un contexte plus sensible.

Se laisser prendre à son propre jeu

Bon, il est vrai que les messages textes ont certains avantages. Je ne suis pas certaine de vouloir recevoir un coup de fil de ma dernière conquête en ligne qui veut savoir comment se passe ma journée. La messagerie texte et les différents canaux qui s’y rattachent nous donnent un sentiment de contrôle sur nos communications. 

C’est ce que constate la Doctorante en Communication de l’UQAM, Claire Estagnasié qui effectue ses recherches auprès de télétravailleurs prépandémie. « C’est fou comment les gens sont ingénieux pour déjouer les fonctionnalités incitatives des plateformes de communications», explique-t-elle. « J’avais un répondant qui me racontait que lorsqu’il n’avait pas envie de parler à ses collègues, il s’était créé une réunion avec lui-même à laquelle il se connectait pour apparaître comme étant occupé sur son profil », explique-t-elle. Ce sont des techniques d’invisibilité et de visibilité comme elle aime les appeler. 

En s’affichant comme étant disponibles (ou non) sur les différents canaux de communication virtuelle ces personnes ont l’impression de reprendre le contrôle sur leur horaire. Parce qu’en fin de compte, c’est ce que l’on recherche avec la messagerie textuelle: pouvoir choisir quand répondre. Pourtant, même avec toutes ces techniques, Claire Estagnasié voit bien que certains de ses répondants se laissent prendre dans leur propre jeu: « même s’ils désactivent les notifications des messages des autres pour ne pas être dérangés, ils doivent quand même aller voir de temps en temps pour être certains de ne pas avoir manqué un message important », indique-t-elle. Une situation qui finit par créer une certaine charge mentale et où il peut devenir difficile de décrocher. 

Est-ce que les messageries textuelles nous rendent vraiment plus maîtres de notre temps? Permettez-moi d’en douter.  Alors si en plus on a du mal à se comprendre, je préfère mon bon vieux téléphone. N’empêche que mon nouveau moyen de communication préféré est la note vocale. C’est moins intrusif qu’un appel téléphonique (vu qu’on peut l’écouter quand on veut), elle est plus rapide que le texto et permet de véhiculer toutes les émotions que je veux (ou presque). C’est un peu la petite cousine de la boîte vocale sur messagerie instantanée. Je propose ça à mon patron cette semaine et je vous en donne des nouvelles!