Prêts pour l’élargissement de la consigne?

Ces contenants qui ne sont pas consignés présentement le seront dès décembre 2022, en plus des bouteilles de vin et de spiritueux.

En décembre 2022, des contenants de liquides et de boissons qui ne sont pas consignés en ce moment le deviendront. Il s’agit d’une mesure incluse dans le projet de loi 65 sur la modernisation de la consigne, qui a été adopté à l’unanimité, le 11 mars. Les consommateurs seront-ils prêts à rapporter ces contenants?


Il est fort possible que le 11 mars, on n’ait pas beaucoup parlé de ce projet de loi, car l’annonce coïncidait avec une autre date importante au Québec : le premier anniversaire du début du confinement en raison de la COVID-19. La loi 65 vise notamment à moderniser les systèmes de consigne et de collecte sélective au Québec.

D’abord, en décembre 2022, les contenants de boissons de 100 millilitres à 2 litres, en plastique, en verre ou en métal, seront consignés. 

«En ce moment, 2,4 milliards de bouteilles de bières et boissons gazeuses sont consignées annuellement. Le projet de consigne augmentera ce nombre à plus de 4 milliards de contenants de boissons, dont plus d’un milliard de bouteilles d’eau en plastique», explique dans un courriel Brigitte Geoffroy, responsable des communications et des relations médias chez Recyc-Québec.

Cette nouvelle consigne s’étendra dorénavant aux bouteilles de vin et de spiritueux, aux bouteilles d’eau, aux contenants de boissons en plastique et canettes en aluminium actuellement non consignés, comme ceux de thé glacé, d’eau gazéifiée ou aromatisée, de jus de légumes, etc. «Les contenants de type carton multicouche seront visés dans un second temps», ajoute Mme Geoffroy.

À cet effet, les montants de consigne seront établis à 25 ¢ pour les bouteilles de vin et de spiritueux et à 10 ¢ pour tous les autres contenants consignés (jus, eau, lait, boissons gazeuses et boissons alcoolisées). Par conséquent, la consigne de 20 ¢ pour les grandes canettes de bière sera abaissée à 10 ¢.

Sortie des épiceries

Une telle modernisation implique que le retour des contenants ne se fera plus dans les épiceries, comme présentement. 

«Avec une hausse du nombre de contenants consignés, les détaillants ne pourront récupérer, dans leur magasin, tous ces contenants», explique Stéphane Lacasse, directeur des affaires gouvernementales à l’Association des détaillants en alimentation du Québec (ADAQ). «Autant à l’entrée du magasin que dans les entrepôts, il n’y a pas d’espace pour gérer les contenants variés [bouteilles de vin, contenants de lait, etc.]. […] Nous avons proposé au gouvernement de créer des sites dédiés pour récupérer tous les contenants consignés. Les sites pourront être situés dans un pôle commercial près de plusieurs commerces (épiceries, SAQ, pharmacies, etc.). Nous avons suggéré un modèle opérationnel de points de retour qui pourraient desservir plus de 93 % de la population à moins de 15 minutes de voiture [une moyenne] et 99 % de la population pour 17 minutes de moyenne en voiture», ajoute-t-il.

«Un organisme de gestion sera créé par les producteurs de boissons une fois que le règlement sera adopté, soit a priori au début de 2022», précise la porte-parole de Recyc-Québec. «Les sources de revenus du gestionnaire de la consigne afin de financer le système proviendront des montants de consigne correspondants aux contenants non retournés par les consommateurs, de la vente de la matière récupérée et si ce n’est pas suffisant, par la possibilité que celui-ci intègre des frais de recyclage par contenant selon les différentes matières.»

Basé sur la responsabilisation des producteurs

Toutefois, Recyc-Québec s’appuiera sur un système qui fonctionnera suivant le principe de la responsabilisation des producteurs. «Ce qui veut dire que ces derniers seront responsables des coûts du système qu’ils mettront en place pour la récupération et le recyclage des contenants de boissons qu’ils mettent en marché», affirme Mme Geoffroy.

À cela s’ajoutent des objectifs de récupération. En 2025, 75 % des contenants consignés devront être récupérés et recyclés. En 2030, l’objectif sera de 90 %. Si ces cibles ne sont pas atteintes, des pénalités seront imposées.

Ceci inquiète notamment l’Association des microbrasseries du Québec (AMBQ). «On a un changement de société à faire. On n’aura pas 25 ans pour changer les habitudes des consommateurs. On aura juste deux ans pour en arriver à des cibles de 75 %», dit Marie-Ève Myrand, directrice générale de l’AMBQ. 

Ultimement, le geste de rapporter le contenant aux lieux désignés pour le retour de consigne ou de le mettre dans le bac bleu, car le bac bleu va demeurer, il appartient aux citoyens. Mais ce seront les producteurs qui vont écoper si jamais les cibles ne sont pas atteintes. C’est là où nous n’avons pas de contrôle sur le geste, mais on en fera les frais quelque part.



Recyc-Québec répond que «le geste citoyen de rapporter des contenants consignés est bien ancré dans les habitudes au Québec». «Dans les dernières années, les taux de récupération des différents contenants consignés à remplissage unique [CRU] se situent autour de 70 %», répond par courriel Mme Geoffroy. «Selon les informations communiquées par les brasseurs responsables de la consigne privée, depuis plus de 10 ans, le taux de récupération des bouteilles brunes [contenants à remplissage multiple — CRM] atteint plus de 95 %. De récents sondages ont démontré un intérêt et une volonté citoyenne de rapporter les bouteilles de vin [80 % des Québécois et Québécoises auraient l’intention de les rapporter]», ajoute-t-elle.

Des contenants en dons?

Une avenue pour les gens qui n’auront pas l’espace ou le temps d’aller vendre leurs contenants consignés demeure les dons à des organismes sans but lucratif. «Juste chez moi, on cumule les bouteilles et les canettes vides et je vais les retourner une fois de temps en temps. Mais si j’ajoute le vin, le lait, le jus, imaginez, ça va me prendre plus qu’un garage», illustre Mme Myrand. «On va avoir besoin d’initiatives comme ça si on veut atteindre nos objectifs. On va avoir besoin qu’il y ait des groupes communautaires comme ça qui mettent en place des collectes.»

Des organismes comme les Valoristes peuvent profiter de cet élargissement de la consigne. «Ce qu’on veut, c’est que la consigne soit une opportunité de redistribution de la richesse. Une possibilité pour les Valoristes de récupérer plus de sous. Ces gens-là sont dans des conditions précaires. Ils dépendent de ça», explique Étienne Ferron-­Forget, coordonnateur de Valoristes Québec. «Par contre, ce sera un gros changement auquel il va falloir s’adapter. Je ne suis pas valoriste moi-même, mais je me mets à leur place, il va falloir qu’ils transportent plus de contenants.»

D’ailleurs, M. Ferron-Forget se réjouit qu’il y ait une ouverture de la part du ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, Benoit Charette, pour travailler avec la coopérative à Montréal des Valoristes, comme il l’a lu dans un article de La Presse+, il y a deux mois. «Il l’a dit texto. Pour nous, évidemment, c’est très intéressant. On espère qu’à Québec que ça pourrait se faire. La population ici est assez dense. Étant donné qu’on pourrait se retrouver dans [le quartier] Saint-Roch où les détaillants n’ont pas beaucoup d’espace, nous on pourrait avoir notre point de dépôt nous-mêmes où on pourrait récupérer les contenants.»

L’été dernier, les Valoristes Québec ont ramassé 400 000 contenants qui ont été récupérés dans leur site temporaire sous les bretelles de l’autoroute Dufferin-Montmorency.

D’autres organisations, pour les jeunes notamment, comme les scouts ou les cadets, profitent déjà de collectes de contenants consignés pour renflouer leurs coffres. 

«Au niveau des comités répondants qui peuvent bénéficier d’un tel financement, ça peut être une bonne affaire», répond Josée Coulombe, présidente du Comité répondant de l’Escadron 921 L’Ancienne-Lorette des Cadets de l’Aviation royale canadienne.

«Sauf que ça apporte quelques complications. Nous, ça fait déjà un moment où on essaie d’avoir des boîtes pour récupérer des canettes [de façon continue]. Mais le problème qu’on a avec ça, c’est que ça nous prendrait des boîtes qui acceptent juste les canettes de la même taille. […] Parce que s’il faut qu’on se mette à trier continuellement les sacs, ça n’a plus d’allure. Quand on fait un blitz, ça s’organise bien. Mais sur une base continue, ça prend une discipline ou un contenant spécialement conçu pour faire le tri», conclut-elle.

La bouteille brune de 341 ml est utilisée autant par les microbrasseries que par les grands brasseurs.

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UN ENJEU POUR LES MICROBRASSERIES

Les microbrasseries craignent que la modernisation de la consigne soit une menace directe à la pérennité des contenants à remplissage multiple (CRM), comme la bouteille standard de l’industrie de 341 millilitres. Celle-ci est utilisée autant par les microbrasseries que par les grands brasseurs comme Molson-Coors ou Labatt.

Il y a aussi deux autres bouteilles qui entrent dans les CRM qui contiennent 500 ml de bière. «Dans notre jargon, on les appelle la BM050 et la 500 ml Ale», précise Marie-Ève Myrand.

«Ça représente 45 millions de contenants chaque année. Si on les met bout à bout, ces bouteilles-là, on part du fin fond de la Gaspésie puis on se rend à l’autre bout de l’Abitibi et on revient à Québec, à l’Assemblée nationale», met en images Mme Myrand, directrice générale de l’Association des microbrasseries du Québec (AMBQ). «Et ce 45 millions de bouteilles, c’est à peine 1 % de tout ce qu’il y aura dans la modernisation de la consigne.»

Son association croit que des coûts supplémentaires s’ajouteront pour ses membres. «On va se retrouver noyés dans toutes sortes de contenants qui ne sont pas des CRM. Le thinking de mettre en place un système qui favorisera la réutilisation ne sera pas là. On sera à contre-courant avec nos CRM», dit-elle. «Il faut un système où on retrouve facilement et rapidement les contenants. Par la loi, les microbrasseries vont livrer chez le détaillant. Donc, on est déjà sur le quai de chargement. En allant faire la livraison, on reprend les bouteilles.

«Si on ajoute des points de dépôt, comme ce qui est pressenti, pour nous, ça veut probablement dire que nos bouteilles vont se retrouver dans ces points de dépôt. […] Il reste deux options, soit qu’il faut faire la run de lait de tous les points de dépôt. Là, on vient de quadrupler nos dépenses et d’augmenter la pollution. […] Ou on les laisse tomber et ce sont nos taux de retour qui deviennent anémiques.»

Cela dit, l’AMBQ est très favorable à la consigne. «On est déjà dans cette dynamique-là... Pour nous, c’est une continuité naturelle. […] On voit que déjà, en ce moment, chez les détaillants, pour toutes sortes de raisons, on dirait qu’il y a un frein à l’entrée des bouteilles. Plusieurs détaillants, pour des raisons opérationnelles, disent aux microbrasseries : “Vous viendrez me voir quand vous serez en canettes!” Tout ça nous amène à dire dans l’équation : “Est-ce que, malgré nous, on va être obligés d’aller vers des contenants à remplissage unique?”» questionne Mme Myrand. Paul-Robert Raymond