Andrée Levesque Sioui: la poésie pour raconter ses blessures… et les guérir

Andrée Levesque Sioui

«Faire vibrer le souffle de la vie», voilà la définition qu’Andrée Levesque Sioui donne au verbe chanter. Dans son tout premier recueil de poésie, Chant(s), l’autrice-compositrice-interprète use du rythme des langues wendat et française pour célébrer sa «relation au monde».


Andrée Levesque Sioui habitait Trois-Rivières avant qu’un seul et unique spectacle de musique à Wendake, en 2008, Kiugwe, la pousse à revenir vivre dans sa région natale. Pour reconnecter avec ses origines et les gens de sa communauté.

L’envie de publier sa poésie sur papier ne s’est toutefois pas présentée aussi rapidement.

«Je me considère plus comme une chanteuse. […] Enfant, j’ai aimé lire et écrire dès que j’ai appris à le faire, mais c’est le souffle de la musique qui est arrivé en premier», explique Andrée Levesque Sioui, en entrevue au Soleil.

L’équipe des éditions Hannenorak a donc dû faire preuve de patience avant que l’artiste wendate accepte finalement de publier ses textes sous forme de recueil. Ce n’est qu’en 2019, après plusieurs lectures publiques et performances sur scène, notamment au Salon du livre des Premières Nations, que la musicienne se lance sérieusement dans la composition de son premier ouvrage de poésie.

Les 90 pages de Chant(s), qui regroupent des textes écrits sur plusieurs années, ne glissent donc pas sur une seule grande thématique. Le recueil est plutôt traversé par différentes réflexions qui ont accompagné l’artiste à certaines époques de sa vie. Des moments plus difficiles du passé aux instants de joie d’aujourd’hui, alors qu’elle observe une réappropriation culturelle au sein de sa nation.

«Je pense que, ce qui se dégage de l’œuvre, c’est ce que je porte comme bagage, en tant que Wendate et femme qui avait perdu son statut [autochtone]. […] Pour moi, le peuple wendat souffre d’une blessure culturelle. C’est un thème qui est présent dans mon recueil, au même titre que celui sur la difficulté d’être au monde», soutient-elle.

Un recueil hommage

«À ma mère, dont le chant s’est interrompu/ À Rita, qui a pris le relais/ À celles qui font lever le chant», écrit Andrée Levesque Sioui, à titre de dédicace, au début de son recueil.

Ce n’est donc pas un hasard si, tout au long de l’entrevue, l’autrice témoigne de la vie de ses tantes ou encore de sa grand-mère, ses «veilleuses», aux côtés de qui elle a grandi. Quelques poèmes de Chant(s) s’imprègnent d’ailleurs de leurs voix.

«On a veillé sur moi après la mort de ma mère, qui est survenue quand j’avais neuf ans. […] Après cette blessure-là, j’ai dû combattre cette envie de partir. Heureusement que j’ai eu ces femmes bienveillantes autour de moi. […] Ce qui est vivant aujourd’hui, en moi, c’est cette responsabilité [de redonner]», raconte-t-elle, émue, en soulignant que plusieurs hommes, dont son père, lui ont aussi appris «l’émerveillement pour la vie».

La publication de Chant(s) s’ancre ainsi dans une volonté de reconnaissance. Pour transmettre cet amour qu’elle a reçu, «pour donner la main» à ceux qui, comme elle, auront peut-être besoin de guides lumineux dans les moments plus sombres.

Participer à la revitalisation de la culture et de la langue wendat en l’enseignant est l’une des choses qu’elle a à cœur afin de s’impliquer auprès de sa communauté.

Fière du chemin parcouru en l’espace d’une décennie, elle note «le souci de bien faire», l’amélioration de la communication et la solidarité qui règne au sein des instances avec qui elle travaille pour «retrouver les racines de la culture wendate».

Quelques-uns de ses poèmes sont également dédiés à des écrivains qu’elle estime tels que Joséphine Bacon, Jean Désy ou encore Édouard Itual Germain, décédé récemment.

Les enjeux d’aujourd’hui

Bien que plusieurs écrits soient plus intimes, Andrée Levesque Sioui ne se gêne pas pour inclure, à son œuvre, des textes «un peu plus frondeurs».

Sans nécessairement traiter des grandes blessures historiques de la Nation huronne-wendat, l’autrice déplore certaines problématiques actuelles tout en présentant des pistes de solutions pour y répondre.

«Il y a encore des ratés. Quand on est issu des Premières Nations et qu’on fait partie du milieu culturel, on reçoit beaucoup de demandes qui sont parfois maladroites. On a besoin d’un autochtone donc on nous invite, mais on arrive à la fin du projet sans avoir rien à dire. […] Cette parole-là, par exemple, doit être dite si on veut que les choses changent», ajoute-t-elle.

La fin de Chant(s) – tout comme l’avenir, espère-t-elle – est donc joyeuse et paisible, pour créer des ponts, pour «perler le wampum* des amitiés franches», conclut l’artiste, dont le nom traditionnel, Kwe’dokye’s, signifie «celle dont la voix flotte sur l’eau».

*Le wampum est une ceinture tissée de coquillages blancs et mauves, qui témoigne d’un événement historique majeur, tel qu’une alliance signant la paix entre deux groupes.