Malgré l’indignation suscitée par ces situations intolérables lorsqu’elles font les manchettes, comme cela a été le cas dans les derniers mois, les solutions apportées par les gouvernements sont largement insuffisantes et ce, autant du côté de Québec que d’Ottawa. Si le gouvernement Trudeau veut réellement que son budget du 19 avril soit le vecteur d’une relance juste en contribuant à renforcer le filet social, dont l’effritement est notamment dû au retrait fédéral du secteur du logement social en 1994, il doit prévoir des sommes supplémentaires dans ce domaine.
En novembre 2017, le gouvernement de Justin Trudeau déposait la première Stratégie fédérale sur le logement de l’histoire du Canada. Il faut l’admettre, le fédéral a enfin recommencé à s’occuper de logement, mais mal.
Ladite stratégie se disperse dans une multitude de mesures qui ont pour but d’encourager et de développer des logements dits «abordables» qui ne le sont pas pour les ménages locataires qui en ont le plus besoin. De plus, elles passent le plus souvent par le marché privé, pourtant principal artisan du mal-logement. Seule la récente Initiative pour la création rapide de logement (ICRL), annoncée en septembre 2020 pour répondre aux besoins des personnes en situation de vulnérabilité, vise plus juste, comme en témoigne sa popularité un peu partout au Québec où de nombreux projets ont été déposés (et refusés). Elle pourrait, si elle était améliorée et dotée de suppléments au loyer financés directement par le fédéral, contribuer à atteindre l’objectif ambitieux formulé par la stratégie fédérale, soit «que tous les Canadiens aient accès à un logement abordable qui répond à leurs besoins».
Le gouvernement Trudeau fait miroiter les sommes énormes qui seront consacrées sur dix ans à sa Stratégie sur le logement et qu’il chiffre à environ 70 milliards$ à la fin de 2020. Il ne précise toutefois pas que ces sommes incluent les contributions des provinces, des territoires, des municipalités, des organismes communautaires et des investisseurs privés et qu’elles sont très largement composées de prêts (34,5 milliards$). Un rapport du Directeur parlementaire du budget sur les dépenses fédérales de programme consacrées à l’abordabilité du logement présenté en juin 2019 confirme qu’outre les fonds consacrés à la lutte à l’itinérance, les investissements fédéraux dans le logement ne sont pas plus importants que dans les années précédentes, puisqu’ils sont pour l’essentiel financés à même les économies réalisées avec la fin des ententes de financement à long terme de logements sociaux signées par le passé.
Malgré les prétentions du gouvernement libéral, les sommes qu’Ottawa consacre à ses multiples programmes et initiatives d’aide au logement demeurent nettement insuffisantes et mal utilisées, vu l’ampleur des besoins. Un exemple en est la faiblesse des sommes de l’Entente Québec-Canada sur le logement signée cet automne pouvant servir à de nouveaux logements sociaux. Les 272 millions$ sur dix ans accordés pour les «priorités du Québec» pourront tout au plus permettre la réalisation totale de 2800 à 4000 unités en une décennie, ce qui représente une goutte d’eau dans l’océan des besoins en logement.
Au Québec seulement, avant la pénurie actuelle et la récente flambée des loyers, 457 340 ménages locataires consacraient lors du recensement de 2016 plus de la norme de 30% de leur revenu pour se loger, dont 195 635 très précaires, y consacrant plus de 50%. Des centaines de milliers de personnes vivent des conditions d’habitation nuisant à leur sécurité, leur santé physique et mentale et la pleine jouissance de leurs droits. Les conséquences sont particulièrement dramatiques pour les femmes victimes de violences, les enfants, les Autochtones, les personnes en situation d’itinérance, les personnes en situation de handicap, les familles vivant dans des logements surpeuplés ou insalubres et plusieurs autres. Or, ces problèmes sont exacerbés pendant un confinement comme celui que nous vivons.
Les centaines de milliers de personnes mal logées et vivant dans les campements installés d’un bout à l’autre du Canada n’ont pas le luxe d’attendre dix ans pour un logement décent. C’est maintenant qu’elles doivent se priver de manger, couper dans le chauffage, l’habillement de leurs enfants, qu’elles sont chassées de leurs milieux de vie ou qu’elles se retrouvent à la rue.
La volonté exprimée par le gouvernement Trudeau de lutter contre les inégalités sociales exposées par la crise sanitaire actuelle doit se traduire par des investissements supplémentaires dans le logement social, le seul qui n’alimente pas la spéculation immobilière et met les ménages occupants à l’abri des reprises de possession ou des réno-évictions frauduleuses. Ainsi, le budget du 19 avril pourrait prolonger, améliorer et bonifier l’Initiative de création rapide de logements, comme le demande la Fédération canadienne des municipalités. Les logements ainsi créés sont les seuls que le fédéral réserve explicitement au secteur hors marché privé. Ils ne peuvent cependant pas répondre à tous les besoins, cette initiative s’adressant aux personnes en situation d’itinérance ou de grande vulnérabilité. Il faut donc ajouter des investissements réservés au logement social, en transférant des sommes beaucoup plus significatives que présentement aux provinces et aux territoires, ce qui, dans le cas du Québec, permettrait d’augmenter considérablement le nombre de logements prévus avec son programme AccèsLogis.
Si la Stratégie sur le logement du gouvernement Trudeau a largement raté la cible, il n’est pas trop tard pour faire mieux et contribuer de façon significative aux efforts urgents pour contrer la crise du logement. Le budget du 19 avril doit redresser la barre.