À partir du moment où les premiers résultats d’essais cliniques ont commencé à être publiés, l’automne dernier, LA grande question que tout le monde s’est posée était en plein celle-là. Ces essais cliniques étaient pratiquement tous conçus pour détecter si les vaccins réduisaient le risque de développer la maladie, avec toux, fièvre, etc. Essentiellement, on vaccinait la moitié des participants, on donnait un placebo à l’autre moitié (en leur injectant de l’eau salée, par exemple), puis on laissait tout ce beau monde retourner à ses activités normales. Ceux qui développaient des symptômes étaient immédiatement testé pour voir s’il s’agissait bien de la COVID ou d’un autre virus respiratoire.
Leurs résultats ont montré une excellente efficacité pour réduire la COVID avec symptômes, allant jusqu’à 90-95 % pour les vaccins de Moderna et de Pfizer. Mais cela laissait ouverte la possibilité que le vaccin ait n’ait pas empêché les infections (le virus aurait quand même été capable de s’installer dans les voies respiratoires des vaccinés), mais aurait seulement diminué la gravité moyenne des infections. Cela aurait augmenté la proportion d’asymptomatiques chez les vaccinés, ceux-ci n’auraient pas été testés puisqu’ils ne souffraient d’aucun symptôme, et ces essais cliniques auraient donc «échappé» un grand nombre de cas asymptomatiques. Comme on soupçonne fortement la transmission sans symptômes d’être responsable d’une bonne partie de la pandémie, cela aurait voulu dire que les vaccins n’allaient pas empêcher le virus de circuler.
C’était, disons-le, une possibilité assez théorique. La règle générale, me disait Dr Gaston De Serres en décembre dernier, c’est que les vaccins préviennent les infections, pas juste les symptômes. Mais ça n’aurait pas été une première non plus. Par exemple, dans une étude parue en 2015 dans la revue savante BMC – Medicine, deux chercheurs du Santa Fe Institute ont trouvé chez la bactérie causant la coqueluche une diversité génétique nettement plus grande que ce que le nombre «officiel» de cas de coqueluche laisserait supposer, ce qui suggère qu’une transmission asymptomatique assez importante passe «sous les radars». Et ils avançaient que la propagation par des gens vaccinés pourrait expliquer une recrudescence des cas observée à partir du début des années 2000 aux États-Unis et au Royaume-Uni, malgré une couverture vaccinale qui est restée élevée et stable depuis 20 ans.
Alors est-ce que c’est ce qui nous attend avec les vaccins contre la COVID-19 ? Les premiers essais cliniques avaient produit un peu de données sur la réduction des infections sans symptômes, mais c’était bien mince. Par exemple, AstraZeneca avait testé une partie de ses participants sans égard aux symptômes, et les résultats suggéraient que oui, son vaccin freinait la contagion. Mais c’était basé sur un sous-échantillon si petit et venant avec une telle marge d’erreur que, d’un point de vue statistique, la protection se situait quelque part entre… 1 % et 83 %.
Sauf que, depuis, plusieurs autres études ont été publiées, dont quelques-unes pas plus tard que ce mois-ci. Leurs données ne sont pas parfaites, mais sont moins parcellaires que les premiers «morceaux» qu’on avait à se mettre sous la dent l’automne dernier. Et dans l’ensemble, elles sont porteuses de bonnes nouvelles : tout indique que les vaccins contre la COVID-19 ne font pas que réduire la gravité moyenne des symptômes (ce qui serait déjà une énorme progrès), mais qu’ils freinent la transmission. En voici quelques exemples :
- Le 10 mars, la revue médicale Clinical Infectious Diseases a publié une étude dont les auteurs ont examiné les tests de COVID qu’environ 40 000 patients sans symptômes ont passé de décembre à février dernier, parce qu’ils s’apprêtaient à subir une chirurgie. Parmi les patients qui avaient reçu le vaccin contre la COVID (un des vaccins à ARNm) depuis au moins 10 jours, on observait 79 % moins de tests positifs que chez les non-vaccinés.
- Une étude israélienne parue en février dans le New England Journal of Medicine et portant sur plus de 1 million de participants (près de 600 000 vaccinés et autant de non-vaccinés) a trouvé 46 % moins d’«infections documentées», avec ou sans symptômes, chez les gens qui avaient reçu le vaccin.
- Une étude anglaise a pour sa part profité d’un programme de dépistage régulier du personnel soignant dans des hôpitaux universitaires de Cambridge pour mesurer l’effet du vaccin sur les infections asymptomatiques. Entre le 8 décembre et le 8 janvier, 0,8 % de ces tests se sont avérés positifs chez les employés non-vaccinés, contre seulement 0,2 % chez ceux qui avaient reçu le vaccin depuis au moins 12 jours, donc quatre fois moins. À noter qu’il s’agit d’une prépublication, donc une étude qui n’a pas encore été révisée par les pairs, mais les experts qui l’ont commentée sur le site du Science Media Centre britannique ont eu de bons mots pour elle.
Bref, la question de savoir si le vaccin freine la transmission semble être de moins en moins une question (même théorique), et de plus en plus une certitude : oui, on a maintenant des études qui le suggèrent très fortement.
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