C'est l'analyse des eaux usées qui nous le dit. Le virus de la COVID-19, s'il infecte d'abord les voies respiratoires, peut être présent dans bien des endroits du corps, si bien que la plupart des gens infectés vont rejeter des virus (pas contagieux, du petit peu que j'en sais) dans leurs excréments. Et comme les techniques modernes de détection du matériel génétique sont extraordinairement sensibles, on est capable non seulement de savoir si le virus est présent dans un échantillon d'eaux usées, mais aussi d'en mesurer la concentration.
Ce que cela nous donne, c'est l'indicateur qui est probablement le plus robuste et le plus objectif de la présence du virus dans une communauté. Contrairement aux «outils» de suivi plus classique auxquels on se fie généralement, (nombre de cas, taux de positivité, etc.), la concentration du virus dans les égouts ne dépend pas de l'effort de dépistage, il ne varie pas avec les habitudes changeantes de testage (qu'on se souvienne du taux de positivité qui avait explosé à l'approche et pendant les Fêtes), et il n'est pas non plus soumis à la présence ou non de symptôme.
C'est vraiment un indicateur extrêmement solide (bien qu'encore imparfait, j'y reviens), et le portrait qu'il dépeint pour la Ville de Québec est celui-ci :
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Ce ne sont pas seulement les cas confirmés en labo qui augmentent, ce n'est pas qu'on fait plus de tests, ce n'est pas parce que les gens sont plus sensibilisés et vont se faire tester plus systématiquement quand ils ont des symptômes, ni rien de tout cela. S'il y a plus de virus détecté dans les eaux usées, c'est qu'il y en a plus dans la population, purement et simplement. Et à Québec, comme le montre le graphique, la hausse a débuté vers la mi-mars — environ une semaine avant que les autres indicateurs ne finissent par détecter la hausse, souligne d'ailleurs fièrement Peter Vanrolleghem, chercheur à l'Université Laval qui a mis sur pied ce système de suivi pour la Ville de Québec. (C'est lui, bien sûr, qui m'a transmis le graph ci-haut.) Tout indique donc qu'on est «dedans pour vrai», comme on dit.
La chercheuse Sarah Dorner, qui pilote le volet montréalais de ce projet à l'École Polytechnique, a elle aussi observé une augmentation dans les eaux usées de Montréal. Une grande partie des échantillons ont été analysés à son labo — le reste étant passé par celui du chercheur Dominic Frigon, de l'Université McGill.
(Mentionnons que la hausse que l'on voit pour février dans le graphique ci-haut n'était pas réelle, explique M. Vanrolleghem. C'est juste que son équipe était encore à peaufiner sa méthode et avait alors produit quelques résultats aberrants.)
Maintenant, ceux qui ont l'habitude d'examiner les graphiques et tableaux dans le menu détail auront sans doute remarqué la drôle d'unité dans laquelle la présence du SRAS-CoV-2 est exprimée : SRAS/PMMV. C'est que suivre un virus dans le temps par le biais des eaux usées est un exercice plus périlleux qu'il n'y paraît de prime abord, m'a expliqué M. Vanrolleghem.
Si tout le reste demeurait constant, on pourrait se servir d'une unité qui a intuitivement bien plus de sens, comme le nombre de copies virales par millilitre. Mais voilà, le reste ne demeure justement pas constant. Le débit des eaux usées varie pas mal selon les saisons et les précipitations, ce qui va diluer/concentrer le matériel génétique du virus (c'est ce qui est détecté, ici). «Aujourd'hui, même, avec la fonte et la pluie, le débit est environ cinq fois au-dessus de la normale», illustre M. Vanrolleghem. Lui et son équipe travaille sur une méthode qui viendrait annuler cet effet pour les égouts de Québec, mais ce n'est pas encore tout à fait au point, dit-il.
À cause de cela, il compare plutôt les quantités de SRAS-CoV-2 trouvées à celles d'un virus qui s'attaque aux poivrons — c'est le «PMMV» dans le graphique, pour pepper mild mottle virus, ou «virus de la marbrure légère du poivron» en français. L'humain, qui mange pas mal de «piments», rejette continuellement d'assez grande quantités de PMMV dans ses selles et, comme ce virus-là aussi est tout aussi dilué/concentré par les variations de débit que le SRAS-CoV-2, le rapport de l'un sur l'autre nous donne un indicateur qui ne dépend pas du débit des eaux usées. C'est ce que montre le graphique.
Certes, me diront certains, cela présume que la quantité de PMMV est constante dans le temps. Et il est vrai qu'on peut imaginer des patterns saisonniers, par exemple parce qu'on mangerait plus de poivrons en été quand ils sont bien frais. C'est une possibilité, mais une étude parue récemment dans la revue savant npj Clean Water a trouvé que les concentrations dans les eaux usées semblent remarquablement stables dans le temps. Il demeure possible que, localement, les habitudes alimentaires varient — «on travaille tous présentement à évaluer ce genre de possibilités-là», dit M. Vanrolleghem —, mais tout indique que les chiffres que montre le graphique sont extrêmement solides.
Malheureusement...