Pour être cohérent avec la science, le budget Girard doit prévoir 3 milliards $ de plus pour la nature

Jérôme Dupras, professeur agrégé au Département des sciences naturelles de l’Université du Québec en Outaouais, titulaire à la Chaire de recherche du Canada en économie écologique et membre des Cowboys Fringants

POINT DE VUE / Un an après le début de la pandémie, les défis qui attendent le Québec sont nombreux. Parmi ceux-ci les changements climatiques en sont un plus criant que jamais, et c’est une relance verte qui se doit d’être au cœur du prochain budget du gouvernement du Québec.


Si le Québec veut être cohérent avec la science, cette relance devra lutter efficacement contre les changements climatiques, et ce en tablant sur des solutions technologiques et naturelles. Si les premières, comme l’électrification des transports et l’efficacité énergétique, ont été mises de l’avant dans le Plan pour économie verte dévoilé l’automne dernier, les secondes sont encore sous-financées.

La science est très claire: la lutte et l’adaptation aux changements climatiques passent par les solutions basées sur la nature dans un ordre de 30 à 40 %. C’est donc dire qu’environ le tiers de nos efforts collectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre (GES) et de stockage et séquestration de carbone passeront par la nature.

Si l’on considère, selon l’avis d’experts, que les solutions basées sur la nature représentent de 30 à 40 % de la solution pour la lutte et l’adaptation aux changements climatiques, la portion du budget qui leur est consacrée devrait être également proportionnelle aux sommes investies dans la stratégie de lutte aux changements climatiques du Gouvernement du Québec, enchâssée dans le Plan pour une économie verte (PEV) et doté d’un budget de 6,7 milliards $ sur six ans.

Or, moins de 5 % des sommes investies dans le PEV est consacré aux solutions naturelles, alors qu’il priorise la réduction des émissions de GES principalement par l’entremise du secteur des transports. Si on souhaite respecter ce que recommande la science, il faudrait ainsi ajouter de 2 à 3 milliards $ aux sommes actuellement engagées. Un investissement qui serait rentable considérant que les solutions naturelles sont parmi les plus efficaces et les moins coûteuses pour stocker et séquestrer le carbone. Ceci éviterait une éventuelle fuite de capitaux majeure liée à l’achat de crédits carbone manquants à l’atteinte des objectifs du Québec sur la Bourse du carbone, et de voir ainsi nos milliards de dollars être envoyés en Californie.

Concrètement, ces investissements pourraient permettre de financer une meilleure gestion du carbone forestier, un déploiement massif des pratiques agroenvironnementales et des mesures améliorées de protection du territoire. Les révélations des dernières semaines relativement à la gestion des forêts en sol québécois démontrent bien l’ampleur du travail qu’il reste à faire pour s’assurer d’une gestion durable de nos ressources naturelles. Une reconnaissance et une meilleure gestion du carbone forestier permettraient à la fois de compenser les émissions de gaz à effet de serre sur notre territoire, et de contribuer à la protection des milieux humides et des vieilles forêts et par le fait même, les écosystèmes et la biodiversité qu’ils abritent.

En matière de conservation, le gouvernement Legault annonçait en décembre dernier l’atteinte de l’objectif de 17 % de protection du territoire en 2020. Dans la foulée, plusieurs ont souligné le fait que cela avait été réalisé en priorisant des projets dans le Nord-du-Québec. Le prochain objectif national, soit la protection de 30 % du territoire d’ici 2030, indique que de plus amples efforts devront être faits dans le Sud. Dans cette optique, les 83 projets d’aires protégées proposés par les communautés et délaissés par le gouvernement dans son annonce de décembre constituent assurément un potentiel d’investissement intéressant, autant pour préserver la biodiversité, lutter contre les changements climatiques que développer une véritable économie écologique.

De nombreux travaux scientifiques réalisés au Québec et dans le monde montrent que le recours aux infrastructures naturelles est l’une des solutions les plus efficaces d’un point de vue de la résilience environnementale, de l’acceptabilité sociale et de la rentabilité économique. En matière de séquestration du carbone, ces mesures sont considérées comme étant plus économiques (jusqu’à 10 fois moins onéreuses) et efficaces que les nouvelles technologies. Il est ainsi primordial de sécuriser les puits de carbone, d’éviter le délestage et de stimuler la séquestration par les milieux naturels en investissant massivement dans les solutions naturelles.

Bien qu’il soit impératif pour le gouvernement de continuer de soutenir les citoyens et les entreprises à travers une gestion adéquate de la crise sociosanitaire et la relance de l’économie, il est également de son devoir de déployer les moyens nécessaires pour assurer la prospérité de la société québécoise. Et plus que jamais, cette ambition devra passer par un plus grand investissement dans notre capital naturel.

Jérôme Dupras est aussi professeur agrégé au Département des sciences naturelles de l’Université du Québec en Outaouais.