«Je sais ce que ressent un athlète lorsqu’il se blesse», explique l’ex-skieur qui travaille aujourd’hui à la clinique PCN. «Je sais ce qu’il vit et ce qui l’attend parce que je l’ai moi-même vécu. Je suis donc en mesure de mieux l’outiller. Je sens que les gens ont confiance en ce que je leur dis. C’est donc certain que mon passé m’aide dans la pratique de ma profession.»
Pas facile de soigner un athlète. Marquis ne le cache pas. Non seulement les carrières sont éphémères mais de plus, la réalisation des objectifs n’est pas seulement une question de talent, de travail et d’efforts. Il faut aussi que les astres s’alignent. Une blessure peut souvent torpiller la seule chance qu’aura un athlète à prendre part aux JO. Quand ça arrive, plusieurs ont souvent le réflexe de précipiter leur retour à l’entraînement.
«Il faut retenir la majorité des athlètes et s’assurer qu’ils vont bien guérir de leur blessure. Je ne peux pas prendre le risque de précipiter les choses et de faire en sorte que 10 ans plus tard, ils devront composer avec des conditions de vie pénibles. Il y a une vie après une carrière sportive. Et des fois, quand tu es athlète, tu ne le réalises pas parce que tu es dans le moment présent.»
Plusieurs croient que c’est à cause de l’influence de son père François, un chirurgien orthopédiste réputé auprès des athlètes de la région de Québec, que Vincent choisit de travailler dans le domaine de la santé. Mais il n’en est rien. L’ex-athlète mentionne que ce sont les blessures avec lesquelles il a dû composer tout au long de sa carrière sportive qui lui ont permis de côtoyer des physiothérapeutes et de connaître leur profession et que son choix professionnel a été guidé par son désir de demeurer dans le monde du sport et de l’activité physique.
«Je ne pense pas que mon père ait influencé mon choix de carrière. Mais aujourd’hui, sa pratique influence beaucoup ma pratique du moment.»
Football et ski
Vincent Marquis avait 11 ans quand il s’initia au ski acrobatique. Aimant skier avec ses amis dans les bosses et dans les sous-bois, il croisa par hasard sur une piste un groupe de jeunes qui, cette journée là, construisaient un saut. Curieux, il s’arrêta pour aller jaser avec ceux-ci.
«Ils m’ont dit qu’ils partaient un club de ski acrobatique et ils m’ont demandé si je voulais en faire partie. C’est un sport qui répondait à mes besoins de skieur et de jeune garçon de 11 ans qui aimait être en gang, sauter en ski et faire de la bosse. Et ça été ça pendant plusieurs années, soit jusqu’à ce que je me rende compte que j’avais un peu de talent. C’est quand j’ai fait l’équipe du Québec que les choses se sont mises à débouler assez vite.»
Même si la pratique du ski acrobatique multipliait les risques de blessures, Vincent indique qu’il n’avait jamais senti de désapprobation de la part de ses parents quant à son choix. Au contraire! Il indique que ceux-ci l’avaient toujours supporté et encouragé.
«Ça été comme ça en ski acrobatique mais aussi au football où, à 5 ‘10 et 150 livres, les risques que je sois blessé étaient grands. Mais j’ai toujours senti que mes parents voulaient que j’aille du plaisir, que je me défonce et que je m’épanouisse et qu’ils voyaient dans le ski et le football, des sports qui me permettaient de le faire. Peut-être qu’en dedans d’eux ils étaient inquiets mais ils ne l’ont jamais laissé paraître.»
L’ex-skieur indique qu’à l’inverse, le fait d’avoir un père chirurgien orthopédiste avait été pour lui très rassurant. Quand il se blessait, il pouvait obtenir rapidement un diagnostic et savoir si sa blessure était grave ou non. Il pouvait ensuite obtenir des conseils judicieux afin de bien se rétablir.
Passionné de ski, Marquis l’était tout autant de football. Et pendant plusieurs années, il mena deux carrières de front. Il avait besoin autant de l’un que de l’autre. Il aimait autant le fait d’être responsable de son sort comme c’était le cas en ski que le partage d’émotions entre coéquipiers après une victoire ou une défaite au football. Le ski lui permettait d’être un meilleur joueur de football et vice-versa.
Marquis mis fin à sa carrière de footballeur après sa dernière saison comme quart-arrière avec les Élans du cégep Garneau. «Un choix qui s’est imposé par lui même. Je n’étais pas un mauvais joueur, mais j’avais des limites physiques et j’étais conscient qu’elles allaient me bloquer un moment donné. Mes chances de devenir le prochain Tom Brady étaient assez limitées. Et j’avais quand même un plan B intéressant avec le ski.»
C’est à la suite de sa première participation à une Coupe du monde, présentée au mont Tremblant et où il termina sixième, que le Québécois réalisa qu’il avait le potentiel pour se frotter aux meilleurs. Très compétitif et vivant dans le moment présent, il avoue que, malgré ses succès et sa belle progression, son rêve de prendre aux Jeux olympiques vint sur le tard. Ce qui comptait pour lui, c’était la prochaine compétition. Il raconte d’ailleurs qu’après que Vancouver eut remporté la course pour la présentation des Jeux de 2010, les jeunes loups susceptibles d’y compétitionner avaient été invités à signer un document confirmant leur intention d’y prendre part. «Et j’ai oublié de le signer. Pour moi, c’était trop loin.»
Marquis se souviendra toujours des Jeux de Vancouver à cause de sa journée de compétition, mais aussi des expériences qu’il a vécues et des anecdotes qu’il a rapportées. Sachant que ces JO seraient ses derniers, il les vit comme la ligne d’arrivée de sa carrière, la cerise sur le sundae. Et aujourd’hui encore, il s’émeut encore quand il pense au moment où il s’est présenté pour prendre le départ de sa descente en finale.
«Quand l’annonceur a dit mon nom, les gens se sont mis à crier. J’ai senti une vague de vibration qui m’a rentré dedans juste avant que je parte. Ce feeling est marqué en moi à jamais comme le feeling que j’ai ressenti en entrant dans le stade pour la cérémonie d’ouverture. Je n’ai jamais vécu ailleurs une telle énergie.»
L’ex-athlète s’était mis beaucoup de pression à Vancouver. Il ne visait rien de moins qu’un podium. Mais il aimait performer sous la pression. Il termina finalement quatrième. Nullement déçu de son classement ou de sa performance, il préfère qualifier son résultat de frustrant. «J’ai terminé à 0.2 seconde du troisième. Ç'a été difficile d’être aussi proche du podium. C’est arrivé à une couple d’occasions que je regarde ma descente, je l’ai fait même dernièrement, et à chaque fois je me suis dit : “câline, si j’avais gardé les jambes un peu plus droites dans mon saut, ça y était. Je l’avais.”
«Ce fut une grosse journée avec beaucoup d’émotions. J’avais eu une qualification frustrante, mais j’avais fini avec une descente en finale qui était à la hauteur de la pression que je m’étais mise dans les circonstances. C’est pour ça que je n’ai jamais été déçu.»
C’est en vivant le moment présent que Marquis a vécu ses JO. Et jamais il ne pensa que la fin de sa carrière approchait. Il se souvient qu’après avoir passé la ligne d’arrivée de sa finale, la première chose qui lui passa par la tête fut : «c’est fini, c’est tout? Ça fait quatre ans que je m’entraîne et ç’a duré 23 secondes et c’est fini!» Compte tenu qu’il lui restait encore un mois de compétition sur le circuit de la Coupe du monde, il eut le temps de bien boucler la boucle afin de terminer sa carrière avec l’âme en paix. Sa décision était d’ailleurs bien mûrie, ses motivations étant son désir de terminer ses études et de ne pas attendre d’avoir atteint la trentaine pour fonder une famille.
«Les Jeux de Vancouver m’ont fait douter de ma décision pendant deux semaines environ. Je me suis dit : “wow! Ç’a été vraiment hot. Mais est-ce que je suis prêt à remettre quatre ans pour revivre ce moment là?“ Finalement, j’ai pensé : “bof, c’est correct. Tu es rendu ailleurs“.»
Parlant du deuil qu’il avait eu à faire de sa carrière, Marquis indique qu’il était venu à retardement, soit après qu’il eut commencé à travailler comme physiothérapeute. Au moment d’accrocher ses skis, il avait bien planifié les mois qui allaient suivre. Mais environ un an après avoir commencé à travailler, il a réalisé qu’il avait atteint tous ses objectifs et il a ressenti un certain vide. Il s’est cherché un peu et il s’est demandé comment il désirait se développer comme professionnel.
«Avec le sport, mes objectifs étaient clairs. Même chose avec mes études. Là, il a fallu que je me trouve des points de repère dans ma profession. Et parallèlement à ça, j’ai dû rentrer dans le beat de la vraie vie.»
Très fier de sa carrière lors de laquelle il prit part aux JO de Vancouver, gagna huit médailles en Coupe du monde et obtint 17 top 10, Marquis dit ne pas avoir beaucoup de regrets. Il a toujours eu l’impression d’avoir maximisé son potentiel. Mais si on lui donnait la chance de recommencer sa carrière de zéro, il dit qu’il y a probablement de petites choses qu’il ferait différemment.
«Je suis surtout fier d’avoir pu garder un bel équilibre en tant que personne et athlète et d’avoir quand même été capable d’avoir du plaisir et de profiter de la vie pendant ces années-là tout en performant. Pour moi, le sport a été une belle opportunité que j’ai essayé de maximiser en sachant très bien que c’était éphémère et que j’allais avoir une vie après. Cette expérience a fait de moi une meilleure personne, quelqu’un qui a de belles valeurs.»
Parlant de son retour aux Jeux en tant que mentor de l’équipe nationale à PyeongChang, Marquis avoue qu’il avait apprécié le fait de découvrir toute la machine derrière les Jeux. Il indique que son rôle en Corée du Sud lui avait aussi permis d’aider les membres de l’équipe nationale et que sa présence lui avait donné l’occasion de vivre en famille des moments d’émotions intenses lors de la descente de son frère Philippe.
«Mais j’ai quand même réalisé que vivre les Jeux en tant qu’athlète, c’est quelque chose qui est difficile à surpasser. C’est vraiment le summum. À PyeongChang, j’ai senti qu’il me manquait quelque chose. J’aurais aimé être en haut de la piste, entendre la foule, descendre et de revivre ce moment-là de pression, j’aurais juste aimé avoir la chance de performer. Et par moment, j’ai trouvé ça difficile de ne pas être là comme athlète.»
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QUESTIONS/RÉPONSES
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Q Fait marquant?
R Les Jeux Olympiques de Vancouver en général, mais plus particulièrement la journée de ma descente. Pour toute l’émotion, mais aussi pour la performance. Ça n’a pas été ma meilleure descente à vie mais dans les circonstances, ç’a probablement été ma meilleure performance.
Q Entraîneur marquant?
R Rob Kober qui était coach avec l’équipe nationale au moment où j’y étais. Il a tout changé. Sans lui, je n’aurais pas été l’athlète que j’ai été.
Q Qu'est-ce qui te manque le plus de ta carrière?
R De performer, compétitionner.
Q Ce qui ne te manque pas?
R M’entraîner en gymnase. Je ne m’ennuie pas du tout de ça. Je le faisais et je m’appliquais, mais je le faisais parce que je savais que ça m’amenait à quelque chose. Et je n’ai jamais remis les pieds dans un gym depuis que j’ai pris ma retraite de skieur acrobatique.
Q Tu as tout ce qu’il faut pour performer dans les deux sports, tu choisis le ski acrobatique ou le football?
R Le football. Je pense qu’à la base, je suis une personne qui aime jouer. Après ma retraite, j’ai joué au frisbee et au soccer, etc.. Je continue aussi à m’entraîner mais encore là, on dirait qu’il faut que je fasse mes entraînements dans le cadre d’un jeu. Je pense aussi que je choisirais le football à cause de l’esprit d’équipe. Ça me manquait d’ailleurs beaucoup quand je faisais du ski. Oui.
Q Idoles de jeunesse?
R Je n’avais pas vraiment d’idoles. Mais en fin de semaine passée à la télé, ils parlaient de Tiger Woods et on revoyait son putt réalisé en 2001 lors du PGA Championship, je pense. J’ai dit à ma blonde que l’athlète qui m’avait le plus inspiré c’est Tiger Woods. Pourtant je ne suis pas un golfeur. Je n’y joue qu'à l’occasion. Mais il m’a inspiré pour sa capacité de performer quand il fallait. Plus le niveau de stress était élevé et meilleur il était.
Q Dans 10 ans?
R Je me vois encore physiothérapeute et bon père de famille. Dans 10 ans, mes enfants seront peut-être rendus à faire du sport organisé. En bon père de famille, je me vois les appuyer dans ce qu’ils voudront faire et à les encourager comme mes parents l’ont fait avec moi. Professionnellement parlant, je veux être encore là pour mes patients. Rien de spectaculaire donc.
Q Rêve?
R Je n’étais jamais allé voir une game de football aux États-Unis. Mais il y a deux ans, j’y suis allé avec mon père et mon frère. J’ai toujours été attiré par ce genre d’évènement, ce sont des choses que j’aime bien. Est-ce que ça sera le Super Bowl un jour, est-ce que ça va être de passer une fin de semaine au March Madness ou d’aller voir du football de la NCAA, Notre Dame ou Michigan, par exemple, dans un gros stade ça? Je ne sais pas, mais mon rêve pourrait bien être un rêve sportif.