Le cerveau détecte la douleur quand il reçoit un signal électrique lui indiquant que quelque chose cloche. Ces signaux peuvent notamment circuler par ce que les scientifiques appellent des «canaux sodium»; un canal bien spécifique, le Nav1.7, pourrait jouer un rôle de premier plan dans la douleur chronique.
Les gens qui présentent des mutations du gène responsable de ce canal peuvent ressentir une douleur extrême et incessante - ou ne pas ressentir de douleur du tout.
«Ce qui a été révolutionnaire, c’est qu’on a découvert des gens qui avaient une insensibilité naturelle à la douleur, a expliqué le professeur Yves De Koninck, de l’Université Laval. Ça a lancé un champ où on s’est dit que si (le canal 1.7) est si important pour la transmission de la douleur dans les nerfs sensoriels, si on s’attaque à ce canal-là, est-ce qu’on va pouvoir bloquer la douleur? C’était une piste très intéressante.»
Des chercheurs de l’Université de la Californie à San Diego rapportent dans le journal médical Science Translational Medicine qu’ils ont réussi à «faire taire» le gène associé au canal 1.7.
Utilisant une technique qui ressemble (de loin) à celle utilisée par les vaccins contre la COVID-19 de Pfizer-BioNTech et Moderna, ils incitent les cellules de l’organisme à produire une protéine qui réduit au silence le gène du Nav1.7.
Les souris qui ont reçu cette thérapie étaient ensuite plus tolérantes à la douleur. Celles qui souffraient déjà d’une douleur chronique en ont aussi profité. Le soulagement a duré jusqu’à 44 semaines, dans certains cas.
Grande précision
On ne sait pas si la même stratégie fonctionnerait chez l’humain et des essais cliniques ne sont pas pour demain.
Il s’agit pour le moment d’une preuve de concept «très intéressante», estime le professeur De Koninck, qui prévient que la précision est de la plus grande importance.
«Il faut bloquer seulement (le 1.7), a-t-il dit. Il faut être très, très spécifique, parce que si vous bloquez (les autres canaux), vous allez tout bousiller. Au point de vue pharmacologique pour le moment, ça semble plutôt difficile.»
D’autant plus que la douleur, qu’on le veuille ou non, joue un rôle important dans la protection de notre santé en nous prévenant d’un problème à régler. Les gens qui ne ressentent aucune douleur ne vivent d’ailleurs habituellement pas très vieux.
«Il faut faire attention de ne pas enlever complètement la sensation de douleur, a dit la docteure Anne-Marie Pinard, une spécialiste de la douleur du Centre hospitalier de l’Université Laval. La douleur, ça sert à quelque chose. Si vous vous fracturez une cheville et que vous ne le savez pas, vous allez marcher dessus et vous allez vous blesser encore plus.»
Le professeur De Koninck abonde dans le même sens en disant que «l’approche ultime serait d’enlever l’aspect ‘anormal’, mais de garder quand même la transmission normale de la douleur intacte».
Problème répandu
Environ 20 % de la population vivrait avec une douleur chronique, et il n’est pas nécessaire qu’il s’agisse d’une souffrance digne de l’Inquisition espagnole pour que cela ait un impact négatif sur la qualité de vie du patient.
Les patients disent ne plus se reconnaître eux-mêmes et vivent le deuil de tout ce qu’ils pouvaient faire avant: s’entraîner, travailler, jouer avec leurs enfants ou leurs petits-enfants...
«L’importance de la douleur n’est pas la chose majeure, a dit la docteure Pinard. L’important, c’est la persistance, le fait que c’est là tout le temps, ça occupe beaucoup l’esprit. C’est aussi parfois le fait de dire qu’on n’arrivera pas à trouver de solution. La charge mentale qui vient avec ça peut être difficile à gérer.»
La douleur chronique a aujourd’hui, selon elle, un peu le statut qu’avait la santé mentale il y a vingt ans: ceux qui en souffrent peuvent être perçus comme des faibles ou, pire encore, des profiteurs qui abusent du système.
Peu d’armes ont été développées spécifiquement pour combattre la douleur chronique, déplore-t-elle, et on découvre maintenant que les armes dont on dispose, comme les opiacés, peuvent causer d’autres problèmes si elles sont utilisées à long terme.
La douleur chronique peut toucher des gens de tous les âges et ses causes peuvent être multiples. La population vit de plus en plus vieille, rappelle la docteure Pinard, ce qui veut dire que de plus en plus de gens vivent avec les séquelles de différents traitements.
Une annonce comme celle des chercheurs américains «nous donne toujours beaucoup d’espoir pour nos patients», a-t-elle dit.
«Les thérapies géniques s’en viennent, a conclu le professeur De Koninck. Je pense que la douleur, la douleur chronique où on vient cibler les nerfs sensoriels, est un bon sujet pour tester la valeur des thérapies géniques.»