Peu après les manifestations antiracistes qui ont suivi la mort de George Floyd et les larmes à la mort de Joyce Echaquan, il était impossible d’ouvrir la radio ou lire les journaux sans entendre le mot qui commence par n - comme une chambre à écho ou une libération d’enfin pouvoir le dire et l’écrire au nom de nos libertés fondamentales? - et non comme des voix perpétuant des idées racistes que l’on dénonçait la veille, et qui a mis les mains aux oreilles de plusieurs… ou du moins de certain.es, pendant que d’autres brandissaient leurs poings. Se protéger les oreilles, un geste en signe d’un non pas encore... de quelque chose de pas mal plus substantiel qu’un simple soupir de lassitude. Une question qui porte son poids : quand va-t-on ouvrir une écoute réelle? Un désespoir dans des paupières qui s’embrassent, peut-être, le temps d’absorber l’histoire qui recommence. Hélas.
Un soupir, une accalmie. Un temps où des mains ont pu se libérer pour se joindre derrière le dos de nos enfants, ou de celles et ceux qu’on aime, en présence ou virtuellement. Nous faisions tout.es face à une pandémie, après tout. Nos structures néolibérales ont de la misère à tenir. Chacun en souffre à sa manière. Tout le monde souhaitait un renouveau alors qu’un temps des fêtes difficile annonçait une nouvelle année. Mais il y a des sujets tenaces. Surtout ceux qui entretiennent des menaces fictives en période de menaces réelles. La pandémie nous a donné l’occasion de constater et réfléchir aux menaces réelles fragilisant nos fondations sociales, et non seulement au virus qui illumine les ravages de la pyrrhotite dans nos structures. Mais l’histoire se répète, s’adapte, pour détourner les regards.
Une deuxième vague de chroniques portant sur la menace à la liberté académique et le clientélisme des étudiant.es universitaires. La première d’une série de chroniques de La Presse sur la menace d’étudiant/es woke et d’enfants-rois a été publié le 29 janvier 2021, jour de commémoration du massacre à la mosquée de Québec. Les autres étant publiés durant le mois de février, qui rappelons-nous est le mois de l’Histoire des Noirs.
Sentant une opportunité de récupération, l’occasion de protéger son paternalisme sous une bienveillance protectionniste, le gouvernement Legault s’est immiscé en instrumentalisant le discours dominant à ses propres fins, comme il sait si bien le faire. Dans un post Facebook, il écrit :
«La liberté d’expression fait partie des piliers de notre démocratie. Si on se met à faire des compromis là-dessus, on risque de voir la même censure déborder dans nos médias, dans nos débats politiques. On ne voudra plus rien dire. Personne n’osera parler d’immigration, par exemple, si chaque fois qu’on aborde ce sujet, on se fait crier des bêtises. Personne ne veut ça. Pas moi, en tout cas.»
Ce problème-là est parti de nos universités, et je pense que c’est là qu’on va devoir le régler en premier. La ministre de l’Enseignement supérieur, Danielle McCann, est en train de se pencher là-dessus avec les milieux universitaires pour agir rapidement.
«Nos universités devraient être des lieux de débats respectueux, de débats sans censure et de recherche de vérité, même quand la vérité peut choquer ou provoquer. On va faire ce qu’il faut pour aider nos universités à protéger notre liberté d’expression.»
Depuis des décennies le milieu académique protège sa liberté de pensée et essaye avec beaucoup de difficulté à se dissocier des manigances religieuses et politiques. La liberté académique, c’est aussi laisser la place à des voix qui nous confrontent, qui nous illustrent notre hypocrisie, avec rigueur et persistance. Des voix qui nous font voir comment, malgré tous nos progrès - et malgré les barrières à se faire entendre – que rien n’est encore acquis. La situation présente le démontre clairement. À un moment où enfin nous progressions sur les questions d’équité, diversité et inclusion dans nos milieux académiques, on nous montre qu’un discours dominant sera toujours là pour hennir. Nous n’avons pas besoin d’un gouvernement qui se protège, qui ne reconnait pas le racisme systémique sur son territoire et ses institutions, et qui utilise les armes racistes pour se faire une belle apparence. En disant vouloir protéger notre liberté académique, on est plusieurs à ne pas être dupes, même si certains syndicats et fédérations qui nous représentent se tiennent avec vous. Nous tenons à utiliser notre liberté critique afin de dénoncer ce qui tend à entraver véritablement la liberté académique : c’est-à-dire votre posture. C’est la liberté que nous tenons à protéger, en donnant un espace à nos étudiant.es qui essaient avec les moyens qu’ils ont à se faire entendre. On ne va pas les annuler une fois de plus.
Pour continuer à avancer vers une véritable liberté académique, les étudiant.es sont primordiales. En tant que professeur.es, nous avons la responsabilité de les écouter. Ce n’est pas ta place, cher premier ministre, de t’immiscer dans ce que tu ne reconnais pas, avec des coups de fouet sur leurs langues, et sur les nôtres au passage. Nous ne sommes pas les États-Unis, comme tu le dis. La nouvelle génération a son mot à dire. L’urgence est de les écouter. Les enfants-rois ont un monde à porter.