Le mystère de la COVID longue

Fatigue, essoufflements, douleurs thoraciques, palpitations cardiaques, perte de mémoire ou de concentration, troubles digestifs, anosmie et agueusie, perte de cheveux, douleurs musculaires ou articulaires et troubles du sommeil comptent parmi les principaux symptômes rapportés par les patients.

Bien qu’il n’y ait pas encore de consensus sur sa définition, la COVID longue, aussi appelée syndrome post-COVID, suscite de plus en plus l’intérêt des chercheurs. Si la plupart des gens ne développent que des formes légères ou modérées de la ­COVID-19, certains se plaignent de symptômes persistants, au point où des cliniques dédiées à ces patients ont commencé à voir le jour au pays. Des enfants et des adolescents seraient aussi touchés. Dans le contexte de l’arrivée de variants plus transmissibles du SRAS-CoV-2, Le Soleil s’est intéressé à la question.


Dans un entretien avec l’AFP il y a quelques semaines, une responsable de l’OMS, la Dre Janet Diaz, invitait la communauté scientifique à s’intéresser rapidement et sérieusement à la COVID longue. Il faut, disait-elle, comprendre pourquoi certains malades de la COVID-19 présentent des symptômes pendant des semaines, voire des mois, après avoir été infectés par le coronavirus. 

Fatigue, essoufflements, douleurs thoraciques, palpitations cardiaques, perte de mémoire ou de concentration, troubles digestifs, anosmie et agueusie, perte de cheveux, douleurs musculaires ou articulaires et troubles du sommeil comptent parmi les principaux symptômes rapportés par les patients.

Un premier séminaire virtuel consacré à la COVID longue et rassemblant divers experts a été organisé par l’OMS le 9 février dernier afin notamment de mieux décrire la pathologie, en connaître la cause et savoir combien de personnes sont affectées. Les études disponibles montrent qu’environ 10% des personnes qui ont eu la COVID-19 présentent encore des symptômes plusieurs semaines après avoir été infectées.

Ce qui frappe avec la COVID longue, c’est qu’elle concerne des patients de tous âges, y compris des enfants, qui ont été touchés à divers degrés par la maladie, disait la Dre Janet Diaz à l’AFP. Il ne s’agit donc pas nécessairement de patients vulnérables ayant développé une forme grave de la maladie et nécessité une hospitalisation.

Depuis le début de la pandémie, les témoignages sur ce syndrome post-COVID se sont multipliés, et des groupes de soutien virtuels ont vu le jour. Au Canada, des cliniques post-COVID ont été créées pour répondre aux besoins de ces patients, notamment à Edmonton, à Vancouver, à Toronto, à Mont­réal et à Sherbrooke.

Au CIUSSS de la Capitale-­Nationale, on nous disait la semaine dernière que «si le besoin se fait sentir, nous pourrions évaluer la pertinence de développer ce genre de service pour ceux qui éprouvent des séquelles de la COVID-19 après leur rétablissement».

350 demandes en deux semaines

Ouverte le 12 février, la clinique post-COVID de l’IRCM (pour Institut de recherches cliniques de Montréal) a vite été inondée de demandes, témoigne sa directrice, la Dre Emilia Liana Falcone. «On a eu plus de 350 appels ou courriels. Il y a définitivement un besoin», dit la spécialiste des maladies infectieuses en entrevue au Soleil.

La mission de la clinique est non seulement d’offrir des soins aux nombreuses personnes de 18 à 90 ans qui souffrent de séquelles de la COVID-19, mais aussi de recueillir des données pour la recherche. «On voit surtout des gens entre 20 et 70 ans, un peu plus de femmes que d’hommes», observe la Dre Falcone.

Les patients disent ressentir des symptômes deux, trois, six mois, voire près d’un an après l’infection aiguë, note-t-elle. Certains ont été hospitalisés durant leur phase aiguë, d’autres ont été très symptomatiques sans toutefois que leur état nécessite leur hospitalisation. 

«On cherche aussi à étudier ceux qui ont été asymptomatiques pendant leur phase aiguë. […] On a certaines personnes qui auraient eu [une COVID] très légère ou asymptomatique qui par la suite auraient développé des symptômes ou même des complications», comme de l’insuffisance rénale ou du diabète qui n’avait jusque là jamais été diagnostiqué, illustre la chercheuse.

Les symptômes post-COVID les plus souvent rapportés à la clinique de l’IRCM sont essentiellement les mêmes que ceux décrits dans les études publiées jusqu’à maintenant.

«Les gens nous parlent beaucoup de fatigue physique, d’épuisement, d’incapacité à faire leurs activités habituelles. Ils doivent par exemple faire le choix entre faire la lessive ou faire à manger [...]. Il y en a d’autres qui nous parlent d’un épuisement mental, qui avant lisaient des romans et qui maintenant ne sont presque plus capables de lire un article de journal», relate la Dre Falcone. Des problèmes d’essoufflement et d’insomnie seraient aussi fréquemment signalés, ajoute-t-elle.

Un syndrome pas exclusif à la COVID?

Pour le Dr Alexis Turgeon, professeur à la Faculté de médecine de l’Université Laval et intensiviste au CHU de Québec-Université Laval, les séquelles respiratoires de la COVID-19 ne sont pas tellement différentes des séquelles d’autres pathologies respiratoires virales ou bactériennes.

Ces effets secondaires ou conséquences à long terme, comme la fatigue et la diminution des capacités pulmonaires, « ne sont pas complètement inconnus pour les gens qui voient régulièrement des patients qui ont des infections aiguës », dit-il en entrevue. Idem pour l’anosmie (la perte d’odorat), qui, bien qu’elle semble plus fréquente avec la COVID-19, se voit aussi dans d’autres infections virales.

«La différence avec la COVID, c’est qu’on a plus de gens qui sont infectés en même temps, on a une maladie qui est plus dommageable globalement, qui donne plus de cas graves, et donc on a plus de gens qui ont des conséquences à long terme», analyse le Dr Alexis Turgeon.

S’il voit d’un bon œil qu’on s’intéresse au suivi des personnes qui vivent avec des conséquences à long terme de la COVID-19, le Dr Turgeon estime que ces programmes-là pourraient être «plus globaux» et inclure les patients qui ont été hospitalisés aux soins intensifs pour n’importe quelle maladie grave aiguë ou subite.

On n’a pas énormément de cliniques de suivi pour ces patients-là. Le pronostic long terme des patients qui passent des semaines aux soins intensifs n’est pas aussi bien connu qui pourrait l’être


Aussi chez les enfants et les adolescents

Selon la Dre Emilia Liana Falcone, les enfants et les adolescents peuvent aussi souffrir de COVID longue. « Ça existe. On le voit dans la littérature, il y a une longue COVID aussi dans la population pédiatrique. Nous on ne voit pas ces patients parce qu’on est spécialisé dans les adultes, mais il y aura certainement des cliniques [post-COVID] dans les hôpitaux pédiatriques», avance la Dre Falcone.

Sur la page du groupe de soutien virtuel J’ai eu la COVID-19, une mère de famille rapporte l’expérience de sa fille de 11 ans, qui a eu la COVID-19 à la fin de l’été, mais sans symptômes. Un peu plus d’un mois plus tard, la jeune fille aurait commencé à ressentir une grande fatigue et des douleurs musculaires et articulaires, puis à éprouver des difficultés cardiorespiratoires.

Une autre mère raconte que son fils de 13 ans aurait subi des complications environ deux semaines après avoir contracté une forme brève et légère de la COVID-19. L’adolescent se serait notamment mis à souffrir de fatigue, de tachycardie et d’essoufflement. 

Dans les deux cas, les médecins consultés auraient diagnostiqué un syndrome post-COVID.

Pour le pédiatre au CHU Saint-Justine Olivier Drouin, il est difficile d’estimer la prévalence de symptômes plus « chroniques » chez les enfants ayant été infectés par le SRAS-CoV-2, d’une part « parce qu’on n’a pas beaucoup d’enfants qui ont eu des manifestions sévères de la maladie », mais aussi parce que ces patients ne se présentent pas nécessairement à l’hôpital pédiatrique.

«Il y a quelques cas anecdotiques dont j’ai entendu parler, mais ça concernait plus des adolescents, et c’était des symptômes qui s’apparentaient à ce qu’on voit chez les adultes», comme la fatigue et les maux de tête, note le Dr Drouin. «Mais c’est quelque chose [le syndrome post-COVID pédiatrique] qu’on va commencer à regarder à Sainte-Justine, évidemment dans la mesure où les patients se présentent», ajoute-t-il.

En Suède, la chaîne de télévision publique SVT rapportait récemment que plus de 200 enfants avaient reçu un diagnostic de COVID longue à Stockholm. Il s’agirait surtout de jeunes âgés de 11 à 13 ans souffrant principalement de fatigue, de maux de tête, de maux de gorge et de nausées, mais aussi de problèmes de mémoire et de concentration.

Syndrome inflammatoire multisystémique

Chez les enfants, ce qui retient particulièrement l’attention des médecins est le syndrome inflammatoire multisystémique, qui se manifeste notamment par une forte fièvre, des éruptions cutanées, des problèmes gastro-intestinaux, des yeux rouges ainsi qu’une enflure des mains et des pieds, et qui apparaît environ un mois suivant l’infection au SRAS-CoV-2. Il s’agit d’une très rare réaction immune post-virale dont la cause n’a pas encore été élucidée.

«Ce qu’on pense, c’est qu’après avoir rencontré le virus, le système, pour une raison X, s’emballerait et s’attaquerait au corps», causant de l’hyper inflammation, explique la rhumatologue pédiatre du CHU Sainte-Justine Marie-Paule Morin. Selon elle, il est difficile d’évaluer la prévalence de ce syndrome au Canada et au Québec «parce que ce ne sont pas tous les hôpitaux qui rapportent les cas». Au CHU Sainte-Justine, il y en aurait eu une cinquantaine depuis le début de la pandémie.

«Clairement, l’incidence augmente trois à quatre semaines après le pic d’incidence de la pandémie. Donc on a eu une première vague de syndrome inflammatoire trois ou quatre semaines après le pic de la première vague, et on en a eu une deuxième vague à la fin janvier-début février, après le congé des Fêtes», indique la Dre Morin, précisant qu’il y a encore «quelques cas par semaine» au CHU Sainte-Justine. «Mais ça reste quand même une complication très rare sur le nombre total d’enfants qui ont eu la COVID-19», rassure la pédiatre.

Selon la Dre Marie-Paule Morin, la grande majorité des enfants atteints de ce syndrome récupèrent complètement. «Dans quelques cas, ils peuvent avoir une atteinte cardiaque [une dilatation des vaisseaux du cœur], et dans de rares cas, cette atteinte cardiaque peut persister dans le temps», précise la Dre Morin.

En Angleterre, le journal The Gardian rapportait plus tôt en février que la présence du variant plus transmissible avait provoqué une augmentation du nombre d’enfants hospitalisés en raison de cette complication post-infectieuse.

Les patients disent ressentir des symptômes deux, trois, six mois, voire près d’un an après l’infection aiguë.

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«Les médecins n’osent pas se prononcer»

Julie Cloutier, préposée aux bénéficiaires à Montréal, a contracté la COVID-19 fin octobre, tout comme son conjoint et son fils de 10 ans. Quatre mois plus tard, Mme Cloutier souffre encore de tachycardie et de problèmes digestifs, en plus de perdre ses cheveux et la mémoire. Son fils, lui, a développé un étrange «rash» sur la peau.

Lorsqu’il a contracté le virus, le fils de Mme Cloutier a été malade pendant environ deux semaines, ses symptômes se résumant alors surtout à de la fatigue, un peu de fièvre, des maux de tête et quelques courbatures.

L’enfant s’est bien remis de l’infection, mais, il y a deux ou trois semaines, il s’est mis à avoir une importante éruption cutanée, «plein de petits boutons qui le démangent un peu partout sur le corps». «Mon fils a toujours eu un peu d’eczéma, mais jamais de cette ampleur-là. Il y a à peu près juste le bas des jambes qui n’est pas atteint. Et il s’est mis à avoir les yeux enflés et cernés», témoigne sa mère.

Julie Cloutier s’est rendue avec lui à l’urgence, a consulté le pédiatre. On lui a dit de lui donner du Reactine pour adultes extra-fort pendant deux mois et de lui appliquer une crème à la cortisone. «Mais ça fonctionne plus ou moins. Le soir, je dois lui donner en plus du Benadryl pour enfants, sinon il se gratte et se retrouve avec plein de plaies», se désole Mme Cloutier. Selon elle, quand le problème semble vouloir se résorber, «ça revient».

«J’ai demandé aux médecins si ça pouvait être lié à la COVID-19, mais ils disaient que c’était probablement un virus», rapporte la mère de famille, qui doute de cette hypothèse, d’autant que sa sœur a eu elle aussi ce problème d’éruption cutanée et de démangeaisons après avoir eu la COVID-19. «Ils ne se sont pas vus depuis longtemps, ce serait étonnant qu’ils aient attrapé le même virus!»

Rien d’anormal

Sur la page du groupe de soutien J’ai eu la COVID-19, plusieurs personnes ayant été infectées par le coronavirus ont témoigné d’éruptions ou de lésions cutanées, a pu constater Le Soleil.

«Ce qui arrive, c’est qu’on en parle tellement peu [du syndrome post-COVID] que les médecins n’osent pas se prononcer» sur les symptômes, croit Julie Cloutier. 

Dans son cas, les tests qu’elle a passés pour le cœur n’ont rien révélé d’anormal. Pourtant, elle n’arrive pas à reprendre le dessus, la moindre activité la mettant à bout de souffle, comme si elle était «toujours en train de courir un marathon».

«Aujourd’hui [mardi], c’était ma première journée de travaux légers, et j’ai été essoufflée toute la journée […] Mon médecin est comme désemparé, il ne sait plus quoi faire avec moi. Il n’a plus rien pour me garder à la maison parce que tous mes tests sont beaux. Et sans diagnostic de COVID long, je dois retourner au travail», dit Mme Cloutier, qui n’exclut pas de se tourner vers une clinique post-COVID.

Le Dr Alain Piché, qui dirige depuis mai 2020 la clinique ambulatoire post-COVID de l’Hôtel-Dieu de Sherbrooke, confirme que certains patients atteints de COVID longue ont des symptômes «très débilitants» comme de la fatigue, des essoufflements et des problèmes de concentration qui les empêchent de retourner au travail. «Et ce ne sont pas des patients qui ont nécessairement fait des maladies sévères», souligne le Dr Piché.

«Avant de conclure à un diagnostic de post-COVID, il est important d’éliminer d’autres causes. […] Mais la plupart du temps, on ne va rien trouver d’anormal chez ces patients-là» après leur avoir fait passer différents examens, notamment cardiaques et pulmonaires, dit le médecin.

Mais alors, que se passe-t-il dans le corps de ces patients? «C’est une excellente question à laquelle j’aimerais bien pouvoir répondre. C’est pour ça que la recherche sur la longue COVID est importante. Il faut essayer de comprendre la pathophysiologie de ce problème-là pour éventuellement pouvoir adapter des traitements plus adéquats pour eux. Parce que pour l’instant, on n’a pas beaucoup de choses à leur offrir», indique le Dr Piché. Élisabeth Fleury