Aménager le territoire: pourquoi, pour qui, comment?

La ministre des Affaires municipales et de l’Habitation, Andrée Laforest

POINT DE VUE / Le 27 janvier dernier, la ministre des Affaires municipales et de l’Habitation, Andrée Laforest, annonçait le début d’une «grande conversation nationale en vue de l’élaboration d’une Stratégie d’urbanisme et d’aménagement des territoires».Quarante ans après l’adoption des lois régissant l’aménagement, l’urbanisme et la protection du territoire agricole, le temps est venu d’en moderniser le cadre politique et réglementaire.


De l’aménagement organique à l’aménagement volontariste

Du fait de leur seule présence en un lieu et des activités qu’elles y exercent, les collectivités humaines aménagent l’espace. Le processus est dit «organique». Ce qui a longtemps été la pratique à travers l’histoire, et encore aujourd’hui chez de nombreuses sociétés, mais aussi là où un cadre formel laisse une marge de liberté trop grande quant à l’édification des espaces de vie.

Les schémas d’aménagement du territoire et les plans et règlements d’urbanisme sont nés du besoin d’ordonner le vivre-ensemble, prenant en compte diverses considérations : hygiène, mobilité, harmonie, sécurité, facilités économiques, efficacité des infrastructures et équipements publics, protection et conservation de ressources et de patrimoines naturels et bâtis, etc.

Les sociétés évoluent

Comme les sociétés évoluent sur les plans économique, démographique, social et technologique, les impacts territoriaux de la croissance se diversifient et se modifient tout en générant plus de pression sur les milieux de vie. Pensons à l’étalement urbain et aux problèmes de congestion routière, aux effets du réchauffement climatique tels les îlots de chaleur et les inondations récurrentes, à la compacité de l’habitat dans les villes, à la détérioration des milieux naturels, etc.

Parallèlement aux effets négatifs associés à la croissance, de nouvelles demandes sociales émergent, donnant naissance à des tendances qui créent des rapports nouveaux entre l’activité humaine et l’espace habitable. Dans la poursuite des grands objectifs du projet de société, l’État est appelé à ajuster, sinon réformer son cadre institutionnel en matière d’aménagement et d’urbanisme.

L’aménagement n’est pas une opération de rentabilisation des investissements publics et privés. Il est d’abord au service du bon fonctionnement d’une société pour le bien-être individuel et collectif. Ce qui se traduira par une répartition équilibrée de l’activité économique, de l’emploi et des services publics, rapprochant ainsi les lieux de travail des lieux de résidence, tout en préconisant l’égalité des chances pour tous, quel que soit le lieu de vie.

Métropoles, régions, campagnes

Depuis les années 50 jusqu’à tout récemment, l’occupation du territoire a été marquée par l’hyperconcentration économique et démographique sur les pôles de Montréal et de Québec, principalement, et leurs extensions périurbaines. Beaucoup ont fui les régions et l’espace rural, vers les grands centres.

Alors qu’on entre résolument dans l’ère post-industrielle, on assiste depuis peu à l’avènement d’une nouvelle tendance : la délocalisation d’entreprises, de travailleurs indépendants ou salariés, et de familles vers le non urbain, campagnes et petites villes. Leurs motifs font qu’on pourrait aisément les qualifier de réfugiés existentiels. Ils sont à la recherche de meilleures conditions de vie, voire vivre autrement. Dans le paysage post-industriel, la révolution numérique a créé de vastes secteurs économiques libérés de la tyrannie de la concentration, et nombre d’emplois peuvent s’exercer à distance. Les régions offrent désormais des lieux alternatifs à la grande ville, à la fois désirables et viables.

Bien que toujours présente et active dans la «fabrication» des territoires, la banlieue se fait actuellement doubler par un courant nouveau : la reconquête des régions. Un mouvement dont témoignent les migrations interrégionales et les statistiques des transactions immobilières en région.

Au modèle hyperconcentré de l’occupation du territoire, on préférera désormais le modèle multipolaire mobilisant la trame urbaine régionale.

Le non urbain, la ruralité et ses îlots plus denses, petites villes et villages, plus précisément le non métropolitain sous toutes ses moutures, devient institution. Or, parler d’une institution, c’est parler de la vision du monde qui la sous-tend et des valeurs qu’elle porte. Attractive sur les plans économique et social, la région porte un groupe sociétal qui se distingue de celui des métropoles. Il semble donc maintenant exister quelque chose comme un espace, négligé, abandonné durant plusieurs décennies, qui est en voie de s’organiser en une institution puis en un groupe sociétal, non plus en marge mais au sein de la modernité.

Cette modernité active et dynamique repose sur trois piliers que l’aménagement du territoire devra englober dans sa vision : les agglomérations métropolitaines, le réseau des villes petites et moyennes qui polarisent et irriguent les territoires, et les campagnes qui se redéfinissent.

Aménager voudra dire à la fois orienter, stimuler, valoriser, encadrer et protéger. Il faudra maintenir la taille humaine des villes, mais aussi des structures et des instances, qui ne doivent pas perdre de vue les valeurs dont elles ont la charge et les objectifs qui ont mené à leur création. Des régions pourraient devenir victimes de leur succès et ressembler aux entassements. Il faudra apprendre à en reconnaître les signes avant-coureurs et comment intervenir. Le non-respect des valeurs ou encore l’épuisement des valeurs mène à l’effondrement des institutions et de la vision du monde du groupe sociétal qui les a fait naître.

Il sera beaucoup question, tout au cours de cette «grande conversation nationale», du risque de l’urbanisation des campagnes. Comprenons que la modernité n’est pas synonyme d’urbanité et qu’un aménagement rural spécifique reste à inventer.