Une coop d’habitation avec une ferme maraîchère dans le sous-sol en germination dans Saint-Sauveur

Le terrain vague au coin des rues Saint-Luc et Saint-Benoît où la coop d’habitation avec une ferme maraîchère sera construite.

Dans le quartier Saint-Sauveur, il y a un projet d’habitation communautaire tout à fait particulier, notamment parce que les plans incluent une ferme maraîchère commerciale en sous-sol. Un projet qui peut sembler, au premier abord, un peu fou, utopique même. Pourtant, l’immeuble unique en son genre poussera à la fin de l’été.


En ce mardi matin neigeux, nous étions plantés au coin des rues Saint-Luc et Saint-Benoît. C’est à côté de l’hôpital Sacré-Cœur, non loin de la rivière Saint-Charles. Devant nous : un terrain vague d’un peu plus de 850 mètres carrés (9150 pieds carrés) où se trouvait jadis une maison ayant abrité les jeunes catholiques de Marie-Jeunesse.

Sur cette friche, un groupe de citoyens motivés voient déjà un bâtiment écolo de quatre étages, 16 logements. Ils triment depuis quelques années pour lui donner vie. Et ils pensent pouvoir récolter le fruit de leur labeur bientôt. 

Les pieds dans la neige, la face au vent, Thomas Boisvert-St-Arnaud et Marie-Pier Robitaille se sont déplacés pour raconter au Soleil comment le rêve est devenu réalité, comment deux coopératives hors normes vont coexister dans le même immeuble de la Basse-Ville.

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COLLECTE DE FONDS CITOYENNE

Marie-Pier Robitaille et Thomas Boisvert-St-Arnaud 

Même la stratégie déployée pour acquérir le terrain de la rue Saint-Luc est «unique», au dire de nos deux guides. Des citoyens ont mis de l’argent de leur poche afin de créer une fiducie foncière communautaire qui a mis la main sur le lot convoité.

Vous l’avez sans doute remarqué, la valeur des terrains de la capitale a explosé au cours des dernières années. Et les promoteurs privés ont les moyens pécuniaires d’accaparer rapidement les lots disponibles, explique Thomas Boisvert-St-Arnaud, membre fondateur du projet coopératif et doctorant en administration. Cela contribue à l’embourgeoisement. Et rend difficile l’achat pour des projets citoyens qui prennent leur temps.

Histoire de démocratiser le développement des quartiers, des habitants peuvent cependant se regrouper afin de marchander des parcelles où ils escomptent faire germer leurs idéaux.

Ainsi, une fiducie foncière communautaire a émis des obligations qui seront remboursées avec un faible intérêt. L’opération a permis d’amasser environ 300 000 $. 

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CASSER LE MOULE

Le terrain sécurisé, les citoyens ont pu peaufiner leur projet de coopérative d’habitation Dorimène. Puis trouver les dollars nécessaires.

«Le financement est attaché», se félicite aujourd’hui Thomas Boisvert-St-Arnaud. Aussi, les permis ont été octroyés par la Ville. «Ça va commencer à se construire cet été.»

Une constellation d’investisseurs institutionnels participent à l’aventure, dont la SCHL, l’Office municipal d’habitation, la Ville de Québec, etc. Même le ministère des Forêts est dans le coup puisque le bâtiment de la coop sera une vitrine technologique avec sa structure de bois.

Autre membre fondatrice, Marie-Pier Robitaille note que les loyers de la moitié des logements, des 3 ½ à 5 1/2, seront subventionnés afin d’accueillir la clientèle diversifiée de Saint-Sauveur. 

Chargée de cours à l’Université Laval, Mme Robitaille indique que la coopérative Dorimène regroupe des personnes qui veulent s’éloigner du modèle de propriété résidentielle privée pour s’investir dans un projet social. «Le citoyen doit s’impliquer à l’intérieur de son milieu et être un acteur de changement.»

Voilà pourquoi, entre autres, il y aura une salle ouverte à la communauté dans la construction ainsi qu’une ferme urbaine de proximité.

Les coopérants espèrent pouvoir emménager avant l’été 2022. Le budget de construction oscille autour de 5 millions $.

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DES LÉGUMES ET FINES HERBES DE PROXIMITÉ

Projection architecturale de l'immeuble à construire sur les ruines de l'ancien immeuble Marie-Jeunesse coin rue Saint-Luc et rue Saint-Benoît

La mode est à l’agriculture de proximité, aux fruits et légumes qui parcourent le moins de route possible avant d’atterrir dans les assiettes. La ferme coopérative du Poisson Entêté entend pousser le concept d’un cran en s’installant dans la cave de la coopérative d’habitation Dorimène.

Ce n’est pas un passe-temps, fait valoir Thomas Boisvert-St-Arnaud. L’installation comptera plusieurs étages de semis superposés; des milliers de laitues pourront en sortir chaque semaine. «C’est commercial.»

L’entreprise vise donc la rentabilité. Notamment en vendant la production aux restaurants du quartier, aux épiciers aussi. Un kiosque fermier urbain est dans les cartons également.

Chauffer les humains

Pour baisser les coûts de production, la coop maraîchère a conclu un contrat de location avantageux avec la coop d’habitation. L’entreprise du sous-sol produira beaucoup de chaleur, expose Thomas Boisvert-St-Arnaud. Même l’hiver, il faudrait climatiser.

Ils ont plutôt développé un concept de transfert d’énergie avec le soutien d’une entreprise du quartier, Induktion géothermie. La chaleur de la ferme alimentera les réservoirs d’eau chaude et le chauffage des locataires du haut.

«À notre connaissance, c’est la première fois que les rejets de chaleur d’une ferme urbaine vont servir à chauffer un immeuble d’habitation.»

La production du Poisson Entêté sera composée de beaucoup de légumes feuilles, les plus adaptés à ce type d’installation. Des fines herbes également.

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DÉMOLIR POUR BÂTIR

L’élimination de la maison ancienne de la fondation Marie-Jeunesse qui était plantée à l’intersection des rues Saint-Benoît et Saint-Luc avait été autorisée par la Ville de Québec, rapporte le porte-parole municipal David O’Brien. «Étant donné l’état de dégradation de l’immeuble […] un permis de démolition a été délivré le 27 mars 2017 à la suite d’un avis favorable de la Commission d’urbanisme et de conservation de Québec (CUCQ).»

Le permis de construction pour la coopérative vient tout juste d’être imprimé, le 8 février 2021.

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DORIMÈNE QUI?

Dorimène est le prénom de la cofondatrice du Mouvement Desjardins, Dorimène Roy-Desjardins. Née le 17 septembre 1858 à Sorel dans une famille modeste, elle a été confiée à sa tante habitant Lévis en bas âge. C’est sur la Rive-Sud qu’elle rencontrera Alphonse Desjardins. Ils se sont mariés en septembre 1879 et ont eu 10 enfants. La première caisse a été ouverte en 1900. Dorimène Roy-Desjardins a ensuite participé activement à la gestion de l’institution

Dorimène Roy-Desjardins a droit à une fiche dans le Répertoire du patrimoine culturel du Québec.

La Commission de la capitale nationale du Québec a, par ailleurs, érigé un monument commémoratif pour honorer le couple. L’original est planté en bordure du boulevard Guillaume-Couture, au siège social de Desjardins de Lévis. Une réplique se trouve sur la rive du boulevard René-Lévesque Est, sur la colline Parlementaire, entre le Centre des Congrès de Québec et l’hôtel Hilton.

L'ancienne maison de la fondation Marie-Jeunesse a été détruite.