Chronique|

Efficaces, les couvre-feux?

La question est : sans le couvre-feu, est-ce que l’épidémie aurait poursuivi sa descente de la même manière?

SCIENCE AU QUOTIDIEN / «Est-ce que le premier ministre François Legault a raison de dire que c’est grâce au couvre-feu que le nombre de nouveaux cas baisse ? Dans la semaine du 10 janvier, les cas avaient déjà commencé à descendre et le couvre-feu a été instauré le 9 janvier. Alors je ne suis pas contre le couvre-feu, mais j’ai comme l’impression qu’on essaie de nous convaincre que c’est LA solution», demande Lucie Bergeron, de Québec.


Il est tout à fait vrai que la COVID-19 a commencé à reculer avant que le couvre-feu n’entre en vigueur. Le nombre quotidien de nouveaux cas a atteint un sommet le 6 janvier (2883 cas), puis s’est mis à redescendre. La moyenne mobile sur 7 jours des nouveaux cas quotidiens, elle, a culminé autour du 4-5 janvier avec 2600 cas, et est en baisse constante depuis. Un autre indicateur du même genre, le taux hebdomadaire de positivité (soit le pourcentage des tests de COVID-19 qui sont positifs), a pour sa part augmenté constamment au cours de l’automne jusqu’à s’approcher des 10 % pendant la semaine du 27 décembre, mais redescend depuis — il était à 4,8 % entre dimanche et jeudi derniers.

En outre, comme la COVID-19 a un délai d’incubation qui tourne autour de 5-6 jours en général, il y a toujours un décalage d’environ une semaine entre l’adoption d’une politique et le moment où ses effets deviennent perceptibles. Alors il est absolument indéniable que ce n’est pas à cause du couvre-feu que la COVID-19 a commencé à «battre en retraite» au Québec.

Maintenant, la question est : sans le couvre-feu, est-ce que l’épidémie aurait poursuivi sa descente de la même manière, ou est-ce que la contagion aurait fini par se stabiliser (voire, repartir à la hausse) ?

Il est extrêmement difficile de répondre à cela parce qu’il y a toujours beaucoup de choses qui se produisent en même temps dans une société. Le retour au travail après les Fêtes, avec la fin des rassemblements (même illégaux), a pu jouer. Peut-être que le masque obligatoire dès la 5e année a eu un effet. Peut-être y a-t-il eu autre chose.

Et peut-être, oui, que le couvre-feu remplit son rôle. Tant que les déplacements ne sont pas interdits, ceux qui enfreignent les règles peuvent se rendre à des rassemblements sans être inquiétés. Le couvre-feu vient donc leur compliquer la vie et faciliter celle des policiers, puisque les rues sont beaucoup plus faciles à surveiller que l’intérieur des résidences privées. Alors il est tout à fait possible que le couvre-feu ait bien marché. Mais il est extrêmement difficile d’isoler son effet de tout le reste.

Il n’y a par ailleurs pas grand-chose dans la littérature scientifique pour éclairer cette question — ce n’est pas un hasard si le directeur de la santé publique, Dr Horacio Arruda, a admis après l’annonce que «si vous me demandez s’il y a une étude contrôlée qui démontre ça [l’efficacité des couvre-feux], la réponse est non».

On en trouve tout de même quelques-unes, qui viennent en deux «sortes» différentes, pour ainsi dire. Il y en a qui comparent les pays entre eux pour voir si ceux qui ont adopté telle ou telle mesure s’en sont mieux sortis que les autres. Or voilà, non seulement y a-t-il toujours beaucoup de choses qui se passent en même temps dans un pays, mais la plupart des gouvernements tentent de moduler leurs mesures sanitaires en fonction de la gravité de l’épidémie. Ainsi, on commence par des mesures légères puis, si le virus continue de se propager, on en impose d’autres, de plus en plus lourdes. Les mesures les plus sévères, comme les confinements complets et les couvre-feux, ont donc généralement lieu dans les pays qui sont déjà les plus durement touchés — et peuvent donc être associés (artificiellement) à un plus grand nombre de cas et de décès.

C’est sans doute pour cette raison que certaines de ces études ont accouché de résultats un brin étrange. Celle-ci par exemple, parue au août dernier dans EClinicalMedicine, n’a trouvé aucun effet des couvre-feux et des confinements sur la mortalité causée par la COVID-19, mais a observé un effet sur… le nombre de gens guéris de la COVID-19 par million d’habitants.

Notons quand même que d’autres études du même type ont conclu à l’efficacité des couvre-feux. On lisait ainsi dans Nature – Human Behaviour en novembre dernier que «les restrictions aux mouvements individuels (incluant les couvre-feux, l’interdiction des rassemblements et des mouvements pour se rendre à des activités non-essentielles, ou des mesures qui segmentent la population) figurent parmi les mesures les plus efficaces». Mais d’autres travaux, parus notamment dans Science, amènent des nuances, car tout cela dépend des autres mesures qui sont déjà en vigueur : les couvre-feux et les confinements complets ont un effet moins marqué quand les écoles/universités et les commerces non-essentiels sont déjà fermés.



Québec après le couvre-feu

Éclairante France

Pour y voir plus clair, des chercheurs ont décidé de ne considérer qu’un seul pays et de faire des comparaison avant-après — c’est la deuxième sorte d’études. Ici non plus, il n’y a pas grand-chose à se mettre sous la dent. Néanmoins, une équipe française a récemment accouché de résultats intéressants. Il ne s’agit que d’une «prépublication», c’est-à-dire d’une étude qui n’a pas encore passé à travers les étapes de révision par les pairs qui mènent à la publication dans la littérature scientifique, et que l’on doit donc considérer avec prudence. Mais la manière dont la France a imposé son couvre-feu en octobre dernier la rend assez éclairante, je pense.

«On avait une situation quasi-expérimentale en France à ce moment-là», dit Stéphane Luchini, co-auteur de l’étude et chercheur à l’École d’économie de l’Université d’Aix-Marseille. Un premier couvre-feu (entre 21h et 6h) a été imposé le 17 octobre à huit villes majeures ; puis la mesure fut étendue une semaine plus tard à 38 départements ; et un confinement complet a enfin été décrété à partir du 31 octobre. Cela a permis d’observer non seulement un «avant-après», mais également une gradation.

Les résultats suggèrent que le couvre-feu a bel et bien freiné la transmission de la COVID-19, mais ils montrent qu’en France aussi, la contagion avait commencé à diminuer avant l’entrée en vigueur du couvre-feu. Pour M. Luchini et ses collègues, la population pourrait avoir anticipé la mesure : l’annonce du couvre-feu imminent aurait envoyé une sorte de «signal d’alarme» à la population, qui aurait alors changé ses comportements avant même que la mesure ne soit appliquée.

Il n’est pas impossible que l’annonce du couvre-feu par le gouvernement Legault ait provoqué le même genre d’anticipation au Québec. Peut-être… Mais «il faut être prudent, avertit Miriam Teschl, co-auteure de l'étude et elle aussi de l’École d’économie d’Aix-Marseille. On ne dit pas que les couvre-feu peuvent remplacer toutes les autres mesures. Ce qu’on dit, c’est que dans la situation particulière qui prévalait en France l’automne dernier, on voit que le couvre-feu a freiné pas mal la circulation du virus. (…) Maintenant, cette situation peut changer dans le temps et peut-être que ce n’est pas la même au Canada».

Bref, on a d’assez bonnes raisons de penser que les couvre-feux fonctionnent, mais on n’en est pas certain — et ce n’est pas demain la veille qu’on sera fixé.

* * * * *

Vous vous posez des questions sur le monde qui vous entoure ? Qu’elles concernent la physique, la biologie ou toute autre discipline, notre journaliste se fera un plaisir d’y répondre. À nos yeux, il n’existe aucune «question idiote», aucune question «trop petite» pour être intéressante ! Alors écrivez-nous à : jfcliche@lesoleil.com.