Pétrole en Gaspésie: le Centre québécois du droit de l’environnement craint un précédent inquiétant

L'appui pour le pétrole a déjà été plus fort que maintenant, dans la région de Gaspé.

GASPÉ — Le Centre québécois du droit de l’environnement est préoccupé par les actions de Gaspé Énergies Inc., une firme qui conteste le refus d’une demande d’autorisation de forage dans la propriété Galt, en Gaspésie.


Si cette contestation devait être validée par les tribunaux, un «précédent particulièrement inquiétant» serait créé, s’inquiète l’organisme environnemental.

Plutôt discret depuis plusieurs mois, le dossier de l’exploitation pétrolière en Gaspésie refait surface. Le Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE) dénonce une manœuvre de Gaspé Énergies qui « ouvrirait la porte à d’autres contestations du même genre » et qui pourrait faire invalider une partie importante du règlement sur les activités d’exploration, de production et de stockage d’hydrocarbures en milieu terrestre.

«En plus de contester un refus du ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles, on en profite pour tenter de faire invalider l’article 23 du règlement. On parle de conséquences très importantes pour la Gaspésie, mais aussi pour tout le reste du Québec!», déplore la directrice générale du CQDE, Geneviève Paul.

L’article en question interdit, sauf exception, le forage à moins d’un kilomètre d’un milieu hydrique.

«On tente de faire invalider une disposition qui protège les milieux. Ça pourrait ouvrir la porte à d’autres contestations, et on est particulièrement inquiet parce que ça vient s’inscrire dans une ‘’vague’’ de ce type de demandes. On tente de créer des précédents et d’invalider des protections essentielles pour nos populations et nos milieux; c’est une tendance qui est très inquiétante», soutient Mme Paul.

Si la Cour retenait les arguments de Gaspé Énergies Inc, une filiale de Ressources Utica, le cadre règlementaire des hydrocarbures s’en verrait fortement affaibli, selon l’organisme.

«Ça donnerait beaucoup plus de pouvoirs discrétionnaires au ministre, alors que présentement, on a un article qui protège ces milieux qui sont malmenés. Selon nous, on vise à écarter un des aspects les plus importants du règlement, soit que la manière dont on exploite les hydrocarbures au Québec se fasse dans une optique de développement durable», explique la directrice générale du CQDE.

Geneviève Paul rappelle que « l'aboutissement de ces règlements avaient déjà suscité de multiples préoccupations au sein de la population. Cela avait forcé le gouvernement du Québec à présenter en 2018 une nouvelle série de règlements pour encadrer de manière plus rigoureuse les activités d'exploration et d'exploitation des hydrocarbures. Sachant que le cadre réglementaire applicable aux hydrocarbures aujourd'hui comporte encore des lacunes, cette tentative d'assouplissement de la part de l'entreprise est d'autant plus inquiétante. L'intervention du CQDE visera donc à assurer le respect du droit des Québécoises et des Québécois de vivre dans un environnement sain et respectueux de la biodiversité».

Les audiences débuteront le 1er mars devant la Cour du Québec, où le ministre Jonathan Julien devra défendre son refus d’autoriser le forage sur la propriété Galt. Ce refus a été signifié le 13 octobre 2020.

La loi sur les hydrocarbures a été adoptée en 2016 et elle est entrée en vigueur en septembre 2018. Le règlement sur les activités d'exploration, de production et de stockage d'hydrocarbures en milieu terrestre a de son côté été adopté en 2018. Avec la collaboration spéciale de Gilles Gagné

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PUITS GALT : UN PARCOURS SINUEUX 

GASPÉ - Situés en terres publiques, les puits Galt, localisés à une vingtaine de kilomètres à l’ouest de Gaspé, ont été essentiellement explorés au cours de la décennie précédant l’automne 2016. La firme Junex a réalisé la plupart de ces travaux.

Les puits Galt 1, Galt 2 et Galt 3 ont été jugés sans avenir, Galt 4 a produit 14 000 barils de pétrole en quelques mois avant septembre 2016. Le puits Galt 5 est foré mais il n’a pas été soumis à des tests de production.

En septembre 2016, Junex a déposé une demande de permis d’exploitation au gouvernement du Québec, permis qui n’a pas été accordé jusqu’à maintenant.

Au cours de l’été 2018, la firme albertaine Cuda a acheté Junex pour former une filiale québécoise, Cuda Pétrole et Gaz. Le détenteur actuel de la propriété Galt, Ressources Utica, avait alors tenté sans succès d’acquérir Junex, dont le siège social était situé à Québec. Cette offre de Ressources Utica avait été jugé hostile par la direction de Junex.

Une seconde chance

Quelques mois plus tard, Cuda met en vente son actif québécois, et Ressources Utica profite de cette seconde chance. Elle annonce l’acquisition pour 10,6 millions (M)$ de l’actif de Cuda Pétrole et Gaz le 5 septembre 2019 et elle forme une filiale, Énergie Gaspé ou Énergie Gaspé. Cet actif comprend un immeuble, trois foreuses et le potentiel des permis d’exploration détenus par Cuda à Galt. Au fil des ans, 32 M$ ont été injectés en exploration à cet endroit et en 2016, Junex prévoyait investir 30 M$ de plus pour forer six autres puits.

La venue de Ressources Utica incite le juriste Colin Pratte, pour le compte de l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS), à publier, le 25 septembre 2019, un texte établissant un lien entre le controversé géant français du pétrole, Total, et Ressources Utica. Jean de Ridder, administrateur de Ressources Utica était à l’automne 2019 vice-président de Total USA. Ce lien ne garantit toutefois pas que Total soit actionnaire de Ressources Utica.

Colin Pratte souligne aussi qu’un autre administrateur de Ressources Utica, David Mansel Thomas, travaille au siège social de Lansdowne Partners à Londres. Or, Lansdowne Partners constitue le premier actionnaire institutionnel en importance de la firme albertaine Questerre. Cette même Questerre intente une poursuite contre l’État québécois en 2018, en visant la législation sur l’encadrement du procédé de la fracturation hydraulique, une action aussi dénoncée par le Centre québécois du droit de l’environnement.

Officiellement, le projet de relance d’exploration aux puits de Galt est évalué par le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement, le BAPE. Aux dernières nouvelles, le BAPE attendait toujours des documents de Ressources Utica pour entamer son évaluation. De plus, les discussions entre Ressources Utica et les Mi’gmaqs de Gespeg n’ont toujours pas débouché sur une entente, une condition incontournable pour les autochtones.